Niger : « La CEDEAO doit user de tout pour ne pas faillir au Niger » (Dieudonné Tankoano, sociologue, enseignant et écrivain)
L’ultimatum lancé par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) aux militaires nigériens pour réinstaller Mohamed Bazoum dans le fauteuil présidentiel a expiré depuis le dimanche 6 août 2023. A l’expiration de cette échéance, un nouveau sommet extraordinaire a été programmé par ladite Communauté pour le 10 août. La CEDEAO va-t-elle persister dans son option de recourir à la force pour déloger la junte au pouvoir ? Va-t-elle réussir à ramener Bazoum aux affaires ? Dieudonné Tankoano, sociologue, enseignant et écrivain, et Sampawendé Ouédraogo, coordonnateur du C.A.M.A.R.A.D.E. (Cadre d’action des mouvements et associations révolutionnaires pour l’accès au développement endogène), font chacun une analyse de la situation.
Pour Dieudonné Tankoano, la CEDEAO a le droit de rappeler à l'ordre constitutionnel au sein de ses pays membres et le pays qui ne veut pas s'aligner derrière cet ordre doit au préalable se retirer de l'institution. « Les régimes normaux sont fatigués de voir leurs réalisations en matière de développement bafouées ou stoppées par des putschistes dont l'agenda caché n'est autre que de se faire de l'argent. Si les peuples africains ne veulent plus d'un régime, ils n'ont pas à faire recours à des coups d'Etat mais à des élections raisonnées ou à des soulèvements populaires. La place d'un militaire n'est ni à l'Elysée, ni à Kosyam, encore moins à Koulouba », a-t-il lancé.
Ainsi, il estime que l'institution CEDEAO a assez tergiversé sur les questions qui relèvent des fondements même de son existence, notamment le respect strict des normes et principes de gouvernance qu'est la démocratie et que la récréation devrait prendre fin !
A l’en croire, la CEDEAO doit user de tout moyen pour ne pas échouer au Niger car Bazoum a été élu par le peuple nigérien, ce n'est donc que par les urnes qu'on peut le remplacer.
« La CEDEAO n'a plus de cartouche. Sa crédibilité était déjà en jeu. Si elle a failli devant les coups d'Etat au Mali, en Guinée et au Burkina, elle devra tout faire pour ne pas faillir au Niger. Sa faillite au Niger sera égale à sa suppression et à sa disparition des radars », dit-il. C’est pourquoi il pense qu'en cas de réaction efficace, ce sera une occasion pour l'institution de se repositionner en tant que garante d'un système laïc et alternatif de gouvernance qu'est la démocratie, car « les putschistes qui ne font que de la comédie jusque-là doivent déserter et accepter un gouvernement de consensus national nigérien ».
« Si la CEDEAO échoue une énième fois en Afrique avec le cas du Niger, elle aura créé sa propre tombe : plus aucune crédibilité, aucun financement, aucune puissance, donc aucune raison d'être. Elle légitimerait en même temps les coups d'État en Afrique noire et le prochain pays sera sans doute le Sénégal, suivi de la Côte d’Ivoire, du Togo et enfin du Bénin », a-t-il renchéri.
Du point de vue de Sampawendé Ouédraogo du Cadre d’action des mouvements et associations révolutionnaires pour l’accès au développement endogène (C.A.M.A.R.A.D.E.), la CEDEAO est disqualifiée pour donner des leçons de démocratie ou imposer la démocratie dans ses pays membres en ce sens qu'elle s'est « délégitimée en restant muette sur des tripatouillages de Constitutions au Burkina, au Sénégal, en Côte d'Ivoire et en Guinée ».
Selon lui, tant que la CEDEAO ne deviendra pas une CEDEAO des peuples, « elle sera toujours combattue par les populations qui ont trop souffert et continue de souffrir de sa politique machiavélique et de clans ». M. Ouédraogo est persuadé que l’institution sous-régionale ne mènera aucune attaque contre le Niger en ce sens « qu’il ne faut pas s'attaquer aux conséquences, mais aux causes. La CEDEAO doit se refonder pour être en phase avec les aspirations de ses peuples ».
« Autant nous pensons que les coups d'États ne sont pas la solution idéale à nos problèmes, autant nous condamnons aussi l'attitude de la CEDEAO. Le peuple nigérien est maître de son destin et c'est à lui seul de décider de son sort », a conclu Sampawendé Ouédraogo.
Flora Sanou