Le peuple sénégalais s'est rendu aux urnes le samedi 24 mars 2024 pour choisir le cinquième président de la république. Dès la soirée du dimanche, les tendances révélaient le candidat de l'opposition Bassirou Diomaye Faye comme vainqueur du scrutin avec 56,13% des voix. En attendant les résultats officiels de la commission électorale, Radars Info Burkina a contacté Mamadou Lamine BA, journaliste sénégalais, consultant en médias et communication, pour qu'il donne sa lecture sur cette actualité politique. Diplômé du Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (Cesti) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, il a travaillé dans plusieurs médias sénégalais et étrangers, dont la radio internationale allemande, la Deutsche Welle, et est présentement, rédacteur dans un journal privé et consultant en médias et communication.
Radars Info Burkina : Quelle perception avez-vous des tendances des résultats provisoires en attendant les résultats officiels de la commission électorale ?
Mamadou Lamine BA: D’abord, je me félicite de la tenue de cette élection qui a charrié tant de tension, de pression et de stress collectif. A un moment, il y a eu des incertitudes qui ont inquiété plus d’un citoyen sénégalais. Il y a eu finalement élection et à la fermeture de bureaux, une tendance s’est dégagée entre un candidat de l’opposition et le candidat de la mouvance présidentielle. Tard dans la nuit du 24 mars 2024, cette tendance indiquait une nette avance du candidat Bassirou Diomaye Faye sur ses concurrents. Lundi, en début d’après-midi, le candidat Amadou BA a appelé et félicité le jeune vainqueur pour sa victoire dès le premier tour. A sa suite, Macky Sall a félicité Bassirou Diomaye Faye, concédant ainsi la défaite du camp du pouvoir sortant. C’est un soulagement général dans le pays et c’est tant mieux.
Radars Info Burkina : Bassirou Diomaye Faye a été libéré de la prison le 14 mars 2024, après y avoir passé 11 mois pour outrage à magistrat, diffamation et diffusion de fausses nouvelles, peut-on parler d'un retour de Nelson Mandela à la Sénégalaise ?
Mamadou Lamine BA: Oui, symboliquement, on peut l’estimer ainsi. Lui-même ne l’a jamais imaginé ainsi. C’est également dire que les secrets du Seigneur sont insondables.
Radars Info Burkina : De votre point de vue, le candidat du Pastef Bassirou Diomaye Faye, annoncé comme probable Vainqueur, peut-il être l'homme de la situation du Sénégal ?
Mamadou Lamine BA: Je ne crois pas à un messie à la tête d’un pays. Maintenant, c’est lui qui est élu, c’est lui le nouveau Chef de l’Etat qui va devoir prouver qu’il a les épaules assez larges pour supporter la charge de Président de la République parce que le poste de Président de la République est très sérieux. C’est des décisions parfois difficiles à prendre, c’est des arbitrages, c’est des conciliations, c’est la diplomatie, c’est la transparence dans la gestion des affaires publiques avec des acteurs parfois plus enclin à œuvrer pour leurs propres intérêts que pour l’intérêt général. La situation du Sénégal n’est pas si critique que certains veulent la présenter mais il y a des défis à relever et il n’aura pas de période de grâce, tant les attentes sont nombreuses, les défis sont majeurs et les sénégalais sont devenus hyper exigeants, notamment les jeunes. Son parti a beaucoup mis de la pression sur le régime sortant, il y aura forcément un retour du bâton. S’il s’entoure des hommes qu’il faut et qu’il fasse preuve d’attention et d’ouverture, il peut avancer sans grands obstacles. Mais il lui faudra beaucoup de courage, d’énergie, de tolérance et de patience pour diriger le Sénégal.
Radars Info Burkina : Lors de sa campagne, il parlait d'un régime présidentiel moins fort, où l'accent serait mis sur un régime parlementaire, selon vous est-ce une bonne idée ?
Mamadou Lamine BA: C'est l'expression d'un souhait parce qu'effectivement au Sénégal, on constate un pouvoir presidentialiste hyper fort. Le Président de la République a trop de pouvoirs au Sénégal. Il a droit sur tout, il a beaucoup de pouvoir entre ses mains. Il décide quasiment seul dans des domaines divers et sur plusieurs dossiers. Certains estiment qu’il faut les réduire, d’autres pensent que c’est parfois nécessaire dans un contexte africain où certains citoyens abusent de la démocratie, telle qu’elle est importée de l’Occident. Il me parait utile d’encadrer ces pouvoirs par des contrepouvoirs institutionnalisés.
Dans la réalité on ne sait pas ce que ça va donner mais d'ores et déjà, il ne peut pas d'un coup de baguette magique balayer, ce qu'il a trouvé comme système institutionnel et remplacer par un nouveau système. Il va falloir qu'il propose une loi à l'assemblée nationale pour ajouter le poste de vice-président dans la nomenclature des institutions de la république. Sinon il ne peut pas se lever un bon jour, prendre un décret pour l'imposer, ce n'est pas possible.
Je souhaite par exemple, que pour choisir certaines personnes pour diriger certaines institutions du pays, que ce soit un appel d’offre.
Je souhaite que les rapports d’enquête de l’Inspection Général de l’Etat soient directement transmis directement au Procureur de la République et non mis à la disposition du Président de la République qui, selon que les gestionnaires épinglés sont des proches, des parents ou amis, peut les classer sans suite ou les transmettre à la justice.
C’est une exigence du peuple sénégalais qui ne comprend pas que les voleurs de poulets soient punis et que les voleurs de milliards soient épargnés. Maintenant, je ne vois pas comment il va instaurer un régime parlementaire sans un projet de Loi voté à l’assemblée nationale. Encore que rien n’assure que cette Loi passe avec la composition actuelle du parlement. Je peux également comprendre qu’il mette à ses côtés quelqu’un comme Ousmane Sonko et des gens expérimentés qui l’assistent mais je ne crois pas au partage du pouvoir, dans un contexte africain. Dans notre socio-culture, quand on arrive à une instance de décision, surtout celle de Président de la République, c’est perçu comme une opportunité de s’enrichir par les parents, la communauté, les collègues et les amis. Pire, les engrenages du pouvoirs sont étroits et les désirs individuels peuvent parfois prendre le dessus sur l’intérêt général ou même les accords politiques. Je peux citer l’exemple de l’actuel président Gambien, Adama Barrow. En 2016, il avait conclu avec Oussainou Darboe que s’il était élu, il ferait trois ans au pouvoir et il démissionnerait. La suite, on la connait. Aujourd’hui, il est à son deuxième mandant. C’est dire, comme le disait Jacques Chirac, que les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent. Mieux, Abdoulaye Wade disait, dans le même ordre d’idées, que les promesses politiques n'engagent que ceux qui y croient. Je crains qu’il y ait des malentendus dans les rangs du nouveau parti au pouvoir parce qu’il y aura forcément des gens qui se sont battus et qui vont réclamer des dividendes politiques de leurs efforts. Et c’est là où les premiers clashs vont éclater entre eux.
Radars Info Burkina : L'on sait que Faye a été désigné comme candidat de substitution par Ousmane Sonko lui-même, si toutefois celui-ci remporte la victoire des urnes, pensez-vous que Sonko aura une influence ?
Mamadou Lamine BA: Ousmane Sonko aura forcément une influence sur le Président FAYE. Ils ont cheminé ensemble depuis des années. Ousmane était le maitre à penser du Pastef et Bassirou est réputé être un des plus fidèles à Ousmane Sonko. Pendant la campagne, les sénégalais ont constaté qu’il a beaucoup de limites dans son raisonnement et dans sa manière de s’exprimer. Il a un langage corporel à parfaire et une présentation physique à améliorer pour correspondre au statut de Chef de l’Etat. La République, c’est l’élégance et ses premières sorties en tant que Président de la République, lundi soir, ont déçu de nombreux concitoyens. Il a effectivement besoin d’être coaché et assisté et Ousmane Sonko va devoir jouer un rôle à ses côtés pour l’aider à porter le lourd fardeau du manteau de Président de la République. Maintenant, s’ils ne font pas attention, ça risque de créer une dualité à la tête du pays, comme on en a connu entre Abdoulaye Wade et son ancien Premier ministre, Idrissa Seck mais également entre Macky Sall et son ancien ministre des Affaires étrangères, Alioune Badara Cissé. C’est une complémentarité qui nécessitera beaucoup d’habileté et d’humilité.
Radars Info Burkina : Aux termes du mandat de Bassirou Faye si toutefois il remporte les élections, est-ce que Sonko voudrait éventuellement se présenter comme candidat malgré les charges qui pèsent contre lui en justice et qui ont prévalues à son incarcération ?
Mamadou Lamine BA: Je pense que Diomaye ne va pas terminer son mandant. Le schéma que je vois, c’est qu’il va dissoudre l’Assemblée Nationale et organiser des nouvelles élections législatives. Et si Ousmane Sonko passe comme président de cette institution, Diomaye démissionne de la présidence de la République et ce dernier le remplace, comme le dispose la Loi constitutionnelle. Si ce schéma se confirme, Diomaye ne sera donc pas candidat en 2029. C’est Plutôt Ousmane Sonko, en tant que Chef de l’Etat, qui va se représenter. C’est cette éventualité qui me parait vraisemblable.
Propos recueillis par Flora SANOU