Attaqué depuis 6 ans par les terroristes, le Burkina Faso, est-on tenté de dire, cherche toujours ses marques en termes de lutte contre l’hydre terroriste, qui ne cesse d’endeuiller la nation. Comment expliquer que nos forces armées nationales, supposées être beaucoup mieux formées, peinent à prendre le dessus sur les forces du mal, dont le modus operandi est pourtant maintenant notoirement connu ? Dans cet entretien qu’il a accordé à Radars Info Burkina, Atiana Serge Oulon, journaliste-écrivain auteur du livre « Comprendre les attaques armées au Burkina Faso. Profils et itinéraires des terroristes », se prononce sur la problématique de l’efficacité des FDS burkinabè face à ces groupes armés.
Radars Info Burkina (RIB) : Peut-on parler d’inefficacité de l’armée, vu qu’on sait comment les terroristes fonctionnent mais qu’on continue de tomber dans leur piège ?
Atiana Serge Oulon (ASO) : Il est évident que dès lors qu’il y a attaque, c’est que quelque part c’est un échec de toute la chaîne de lutte contre le terroriste. On doit pouvoir prévenir et anticiper ou, au moins, riposter. En effet, il y a un principe qu’il faut garder à l’esprit, à savoir qu’aucun pays n’est à l’abri du terrorisme. C’est un phénomène qui ignore les frontières. Mais dans le cas du Burkina, on est en droit de se poser des questions : Qu’est-ce qui fait qu’on a cette régularité des attaques ? Ce nombre de morts que nous enregistrons ? Ça veut dire que quelque part, nous mettons beaucoup trop de temps à nous adapter, à tirer des leçons, beaucoup trop de temps à faire face et à mieux contrer, voire endiguer, ces actions terroristes. Je crois que c’est à ce niveau que la question se situe.
RIB : Concrètement, qu’est-ce qui nous manque ?
ASO : Le premier problème au Burkina, c’est que le diagnostic, on ne le connaît pas. Est-ce qu’on estime que c’est juste une criminalité ou un problème de sécurité intérieure qui se pose ? Est-ce que c’est un problème de défense du pays en termes de territoire, de superficie qui se pose ? Si on fait un bon diagnostic, on peut trouver la solution appropriée. Le deuxième élément, c’est que le Burkina n’a pas de stratégie nationale de lutte contre le terrorisme. Ainsi, il gère les situations au cas par cas et n’a pas de vision globale pour gérer les problèmes.
RIB : Qu’en est-il de la collaboration des populations ?
ASO : On peut déplorer le fait qu’il n’y ait pas l’information à temps. Mais au même moment, il faut le rappeler, il n’y a jamais eu d’attaques sans qu’il y ait des alertes. Il y a toujours eu des alertes, des informations sur une probable attaque. Maintenant, quelles sont les dispositions qu’on met en place pour traiter efficacement et rapidement les informations pour apporter les solutions appropriées ? Qu’est-ce qu’on fait pour pouvoir y faire face ? Je crois que c’est là toute la question. On peut espérer une grande collaboration, on peut avoir une plus grande entente, mais ce n’est pas le seul élément qui explique notre échec. C’est vrai que dès lors qu’il y a attaque, ça veut dire que les groupes armés ont suffisamment préparé le terrain, ont eu des informations. Ça veut dire que des gens ont collaboré, qu’il y a eu des complicités au sein de la population. Est-ce que les informations ont été transmises en temps réel pour qu’on puisse prendre les dispositions idoines ? Est-ce que tout fonctionne normalement ? Est-ce qu’on n’a pas un problème d’organisation et de coordination ? C’est, selon moi, là que réside le problème.
RIB : Comment comprendre que notre armée de l’air participe au maintien de l’ordre avec l’armée nigérienne, pendant qu’une escorte longue de près de 1km n’a pas d’appui d’aérien ?
ASO : Non, il ne faut pas faire d’amalgame. Dans l’armée, vous avez des opérations ponctuelles et des opérations militaires organisées, planifiées. Ces deux types d’actions sont totalement différents en termes de moyens. Contrairement à une attaque qu’on signale au temps T, est-ce qu’on a un avion prédisposé ? Est-ce qu’on a les renseignements nécessaires par rapport à la localisation pour intervenir ? Ce n’est pas si simple que ça et il y a des paramètres qu’il faut prendre en compte. Pour l’opération menée à la frontière nigérienne, il faut se dire que ce n’est pas quelque chose qui a été fait du jour au lendemain. Il y a eu une préparation en amont et en aval. Pour ce qui est de l’attaque d’Arbinda, on peut se poser des questions sur la coordination et l’organisation. Par exemple, est-ce qu’il n’y a pas eu de la négligence ou de la défaillance quelque part ?
RIB : Peut-on établir un lien entre le procès des présumés terroristes et l’attaque d’Arbinda ? Il y a seulement 5 jours d’intervalle entre les deux faits.
ASO : Concernant ce qui s’est passé à Arbinda, on ne peut pas faire de lien direct. Néanmois, la tenue du procès des présumés terroristes peut être source de représailles sur le moyen terme. Ce n’est pas nouveau. En effet, quand il y a eu des interpellations dès la phase de l’enquête préliminaire, il y a eu toujours des menaces ou des attaques de commissariats ou de brigades de gendarmerie pour tenter de libérer des prévenus. Donc c’est une source à ne pas négliger. Mais faire le lien aujourd’hui, ce ne serait pas très juste. De façon pratique, pour qui sait comment s’organisent les attaques, c’est un peu difficile. Les groupes armés ne se lèvent pas du jour au lendemain pour mener des attaques. Ils leur faut des informations sur l’itinéraire des FDS, mobiliser leurs membres, réunir le matériel, mettre une stratégie en place. Parce que qui dit embuscade dit mise en place d’une stratégie avant l’attaque proprement dite. Cela nécessite des réflexions, donc en une semaine, ce n’est pas faisable.
RIB : Est-ce à dire qu’il y a des taupes dans notre service de renseignement ?
ASO : C’est difficile à dire. Aujourd’hui, il y a beaucoup des non-dits, d’opacité ; on n’a pas peut-être toutes les informations mais je crois qu’à ce jour, on n’est pas encore arrivé à ce stade. Les taupes, c’est peut-être certaines populations civiles qui filent des informations sur l’itinéraire des FDS. Les terroristes aussi bougent, recrutent, font du renseignement, ont une capacité d’infiltrer la population, et il faut garder cela à l’esprit.
RIB : Une récente enquête a révélé que les armes utilisées proviennent de l’Europe, notamment de la Serbie. Cela ne pose-t-il pas un problème de collaboration entre les Etats ?
ASO : Ce n’est pas nouveau. Dans tous les cas, les pays sahéliens n’ont pas d’industries d’armement, donc ça ne peut que venir des pays qui en fabriquent. Quelque part, on se dit que cette situation d’insécurité fait l’affaire des pays fabriquant des armes. C’est plutôt à nous de voir ce que nous pouvons faire pour couper l’approvisionnement des terroristes, faire en sorte que les gens ne puissent pas se sucrer, s’enrichir ou se faire des devises étrangères sur les souffrances des autres.
Sié Mathias Kam