Environnement au Burkina : La déforestation toujours criarde
Ce jour samedi 15 juillet, est célébrée la 5e édition de la Journée nationale de l’arbre au Burkina. A cette occasion, il y a eu le lancement d’une campagne de reforestation. Quel est l’état de la déforestation aujourd’hui au Burkina malgré les multiples actions de plantation d’arbres ? Lazare Doulcom, coordonnateur national de l’association « Héritiers et continuateurs de l’œuvre de Thomas Sankara pour l’environnement », dans cette interview accordée à Radars Burkina, donne des éléments de réponse.
Radars Burkina : Quel est l’état de la déforestation au Burkina, selon vous ?
Lazare Doulcom : La situation, selon moi, est quand même inquiétante. En effet, selon le 4ᵉ rapport sur l’état de l’environnement au Burkina Faso, publié en 2017, les statistiques montrent que le Burkina Faso perd plus de 247 000 ha de forêts par an. Le même rapport précise que de 1092 à 2002, notre pays a perdu plus d’1 000 000 d’hectares de forêts. Quand on fait un calcul arithmétique, il y a de quoi s’inquiéter pour les années à venir au regard de l’augmentation de la population, donc du besoin en ressources naturelles.
Par exemple, au moment de l’institutionnalisation des campagnes de reboisement, le pays comptait à peu près 7 000 000 d’habitants. Aujourd’hui, nous sommes environ vingt-deux millions. Cela veut dire que la population burkinabè a pratiquement triplé alors que la superficie du territoire national n’a pas évolué, bien au contraire. Si 90% de ces 22 000 000 utilisent le bois de chauffe comme principale source d’énergie et qu’on y ajoute les défrichements et les besoins d’espace en matière d’habitations, il y a de quoi s’inquiéter.
Radars Burkina : La célébration de la 5e édition de la Journée nationale de l’arbre a lieu ce 15 juillet dans la région de Centre. Quelle est votre appréciation des éditions passées et de leurs impacts ?
Lazare Doulcom : Il faut avant tout saluer cette initiative qui, depuis 2019 effectivement, contribue à sensibiliser la population à l’importance de l’arbre dans son environnement et dans l’amélioration de ses conditions de vie. Depuis l’institution dudit évènement, vous aurez remarqué que c’est toujours sous le très haut patronage du chef d’État lui-même qu’il se tient. C’est la preuve que la question de l’arbre est une préoccupation des plus hautes autorités. Cependant, à mon humble avis, il faut renforcer les mesures de protection et le suivi des plants mis en terre en impliquant fortement toutes les couches sociales. Parlant d’impacts de cette journée, on peut citer le nombre important d’arbres qui survivent, l’encouragement des acteurs dynamiques par leur dotation en matériel et les distinctions honorifiques décernées à certains d’entre eux, ainsi que la prise de conscience de l’importance de l’arbre.
Je ne dispose pas de chiffres sur le taux exact de prise des plants mis en terre au cours des éditions passées. Cependant, il est certain qu’il y a de l’évolution, même si l’objectif n’est pas encore totalement atteint.
Radars Burkina : On a l’impression que malgré les multiples actions de plantation, la situation va de mal en pis. Qu’en pensez-vous ?
Lazare Doulcom : La population burkinabè a triplé en 30 ans sur la même superficie (274 000 km2) et la principale source d’énergie des ménages reste le bois de chauffe, ce qui rend insuffisants les efforts de plantation. Ainsi, malgré les sacrifices, on a effectivement l’impression que la situation se détériore. Et si rien n’était fait depuis tout ce temps pour la restauration du couvert végétal, vous vous doutez bien que nous n’aurions pas de quoi vivre actuellement !
Radars Burkina : Quelles sont vos attentes sur la campagne nationale de reboisement qui sera lancée ce 15 juillet ?
Lazare Doulcom : Le ministre de l’Environnement a annoncé des chiffres très intéressants. Vivement que les résultats soient meilleurs que ceux des campagnes précédentes ! Si nous obtenons 70 à 80% de taux de prise des arbres plantés, cela donnera plus d’espoir dans la lutte contre la désertification. Chaque citoyen(ne) est donc interpellé(e).
Le ministère a aussi annoncé un système de géolocalisation qui permettra de suivre les plants mis en terre, de voir leur évolution. C’est une bonne chose, certes, mais je pense qu’il faudra davantage mettre l’accent sur la protection et l’entretien.
Radars Burkina : N’est-il pas nécessaire de revoir la politique de cette campagne en tenant compte des espèces selon la qualité des sols ou selon la rentabilité des plants ?
Lazare Doulcom : Les techniques existent déjà. Il y a plusieurs outils et guides très pertinents mais il faut les adapter à la population, aux réalités du terrain. C’est une question de volonté et d’engagement à tous les niveaux. Par exemple, la régénération naturelle assistée, qui consiste à aider les arbres et la végétation indigène à se rétablir de façon naturelle, est une pratique agroforestière très efficace mais encore peu connue des Burkinabè. Le président Thomas Sankara avait initié la récolte populaire de semences forestières. C’était une vision noble et je pense qu’il faut la perpétuer aujourd’hui.
Radars Burkina : Avez-vous un appel à lancer aux autorités et à la population ?
Lazare Doulcom : J’invite chaque chef de famille burkinabè à avoir le réflexe d’offrir un arbre à chacun des membres de sa famille, même à l’enfant qui vient de naître. Ainsi, nous planterions plus facilement des arbres. Si nous arrivons à le faire et que nous plantons par exemple plus de 20 millions d’arbres en 5 ans, le Burkina redeviendra vert. On peut également penser à planter un arbre à chaque évènement : mariage, naissance, baptême, prise de service, départ à la retraite et, pourquoi pas, même en cas de décès en mémoire du disparu. C’est vrai qu’on met l’accent sur le reboisement pendant la saison des pluies pour profiter de l’eau, mais on pourrait aussi planter du 1er janvier au 31 décembre. J’invite par conséquent le ministère de l’Environnement à davantage impliquer les populations à la base, particulièrement les paysans, de sorte que planter et entretenir un arbre devienne un réflexe.
Propos recueillis par Flora Sanou