Droit international humanitaire (DIH): « Le DIH est d’une importance cruciale aujourd’hui étant donné que le Burkina Faso est entré dans une situation de conflit armé non international », Laurent Saugy, chef de la délégation du CICR
Ces derniers temps, les armées du Sahel sont accusées de graves abus, d'exactions et de violations des droits de l'homme. Selon Florence Parly, ministre française des Armées, le soutien international aux pays du Sahel pourrait être remis en cause si ce non-respect du DIH devait se développer. Radars Info Burkina s'est entretenu avec Laurent Saugy, chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Burkina au sujet du DIH dans un contexte d’insécurité.
Radars Info Burkina (RB) : Après les accusations d’exactions portées ces dernières semaines contre les FDS du Burkina Faso comme d’autres pays du Sahel, dans un communiqué le 2 juillet le CICR a appelé toutes les parties et acteurs de violence à faire preuve de retenue, notamment auprès des personnes qu’ils capturent. Vous dites que toute personne arrêtée doit être traitée avec humanité et dignité et que le pouvoir des armes ne donne pas un droit illimité sur les personnes ; au contraire, il donne de la responsabilité. Quelles sont les règles essentielles du DIH ?
Laurent Saugy (LS) : Dès 2006, le CICR s’est attelé à promouvoir le DIH. C’est une organisation neutre, impartiale et humanitaire. La promotion du DIH consiste à s’assurer qu’un Etat comme le Burkina Faso ratifie les instruments juridiques principaux du DIH mais également que les porteurs d’armes en particulier les FDS sont sensibilisés et formés sur les obligations qui leur incombent en ce qui concerne le DIH. C’est quelque chose que nous avons fait et continuons de faire depuis notre arrivée au Burkina. Le DIH est d’une importance cruciale aujourd’hui étant donné que le Burkina Faso est entré dans une situation de conflit armé non international.
Dans les 4 Conventions de Genève du 12 août 1949, il y a l’article 3 qui fait référence aux situations de conflits armés non internationaux. Cet article en lui seul est en quelque sorte une mini-convention et contient les principes essentiels du DIH.
On fait la distinction entre les populations civiles ou celles qui ne participent pas ou plus aux hostilités et les combattants. Cette distinction est centrale dans l’application du DIH.
Un 2e principe, au-delà de la distinction, c’est effectivement le principe d’humanité et un certain nombre de règles qui indiquent que toute personne à tout moment dans toute circonstance doit être traitée avec humanité. Par exemple, le mauvais traitement tout comme la torture ne sont pas tolérés par le DIH. La proportionnalité du DIH aussi tente de limiter les moyens mis à la disposition ou pris par les partis au conflit pour mener leurs actions. Ce principe est absolument fondamental. Il contribue effectivement à la protection des populations civiles qui se retrouvent dans une situation de conflit.
Cet article dispose que sont et demeurent prohibées, les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ; les prises d’otages ; les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable rendu par un tribunal régulièrement constitué.
Cet article 3 a un aspect de référence qui est extrêmement proche au mandat du CICR quant à la situation des personnes blessées et malades. Il dispose que les blessés et malades sont recueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial tel que le CICR pourra offrir ses services aux parties au conflit.
Ces passages donnent une idée de l’importance du DIH dans une situation telle qu’aujourd’hui au Burkina. Le DIH stipule dans son esprit mais aussi à la lettre que même les guerres ont des limites. Donc le DIH donne un cadre juridique quant aux situations de conflits. Raison pour laquelle nous avons tenu à le répéter dans le communiqué de presse récent.
Le communiqué de presse récent ne faisait pas réponse à un quelconque rapport d’une autre organisation. Ce communiqué est important pour le CICR. Le précédent communiqué date de janvier 2020. Notre mode opératoire de dialogue avec les parties au conflit est principalement basé sur la confidentialité et le dialogue bilatéral. Là effectivement, quelques mois après la conviction que le Burkina Faso traverse une situation de conflit armé non international il apparaissait important de rappeler un certain nombre d’éléments extrêmement importants, traduisant aussi notre préoccupation qui se veut par définition humanitaire. Donc c’est un communiqué humanitaire, neutre étant donné qu’il rappelle les obligations à toutes les parties quelles qu’elles soient au conflit, aux acteurs de violence.
RB : Après votre communiqué du 2 juillet, le Premier ministre Christophe Dabiré vous a accordé une audience le 10 juillet. Est-ce qu’avec le chef du gouvernement vous avez évoqué la sensibilisation et la formation des FDS dans le domaine du DIH ?
LS : J’ai eu l’occasion de mentionner à Son Excellence le Premier ministre que la promotion du DIH est quelque chose que le CICR fait parce que c’est son rôle. Mais aussi que le CICR invite les forces armées elles-mêmes à l'appliquer. Depuis plusieurs années, nous travaillons avec les services du ministère de la Défense dans leur propre travail de diffusion et de formation en la matière. J’ai eu l’occasion de mentionner ça non seulement comme une activité menée par le CICR, mais comme une nécessité pour tout chef de gouvernement de s’assurer que les Forces armées et de sécurité soient sensibilisées et formées dans ce domaine.
RB : Quelle appréciation faites-vous de l’initiation des soldats du Sahel aux notions du DIH ?
LS : Ce n’est pas le rôle du CICR de faire une appréciation ou de donner des notes. Ce que le CICR sait par expérience depuis sa naissance est que le DIH requiert de sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier. On ne peut pas conclure du jour au lendemain qu’il y a une connaissance suffisante du DIH. L’aspect connaissance est absolument essentiel. Par la suite, l’évaluation du respect du DIH est une deuxième question qui fait l’objet d’un dialogue principalement bilatéral et confidentiel avec les autorités concernées.
Interview réalisée par Aly Tinto