Le général Pascal Facon, commandant de la force Barkhane, a déploré le jeudi 9 juillet que la branche sahélienne du groupe État islamique ait recours à des « enfants-soldats endoctrinés et entraînés » qui se retrouvent exposés aux opérations militaires françaises. « Cette exploitation abjecte nous met en difficulté dans le cadre de nos opérations », a-t-il souligné. Pour cerner les différents contours de cette question, Radars Info Burkina a pris contact, tour à tour, avec Philippe Chapleau, écrivain et journaliste français, spécialiste des questions de défense, et Mahamoudou Sawadogo, ancien gendarme et spécialiste de l'extrémisme violent dans le Sahel.
Philippe Chapleau est l’auteur du livre Enfants-Soldats, victimes ou criminels de guerre ? paru en 2007. Pour lui, cette déclaration du général Facon est assez surprenante. « Dès le lancement de l’opération Serval en janvier 2013, il est apparu que des mineurs combattaient dans les rangs des groupes armés. Certains de ces enfants ont été tués lors des combats dans le massif des Ifoghas, par exemple, quelques autres ont été capturés. Donc il y a des antécédents », affirme-t-il.
En revanche, il y a peut-être une recrudescence des recrutements d’enfants-soldats par les groupes armés sahéliens, ce qui ne serait absolument pas surprenant. Le général Facon a dû recevoir des rapports des services de renseignements qui confirment ce que les troupes africaines et françaises ont dû constater lors des affrontements récents », a-t-il indiqué.
Il a en outre déclaré que les raisons de ces recrutements sont multiples. « Problème d’effectifs des Groupes armés terroristes (GAT) qui enrôlent des mineurs, adhésion de jeunes désœuvrés et démunis dans les rangs de ces groupes où ils sont nourris et certainement payés, recrutements forcés de jeunes garçons », a précisé M. Chapleau.
Mais quelles peuvent être les éventuelles conséquences de cette situation dans la poursuite des actions militaires françaises au Sahel ?
«L’armée française a déjà été confrontée à des enfants-soldats, par exemple lors de l’opération Artémis en Ituri (dans l’est de la RDC) en 2003. Il y a donc des consignes et des procédures qui ont été mises en place pour tenter d’épargner ces enfants que le droit international humanitaire protège. Par exemple, s’ils sont capturés, ils sont remis à des ONG comme la Croix-Rouge », a-t-il expliqué.
«En revanche, il reste difficile dans les phases de combat de discriminer les enfants-soldats des combattants adultes et de neutraliser sans les blesser ou les tuer des assaillants mineurs. Toutes les armées ne prennent pas nécessairement en compte l’âge de ceux qui les combattent. En France, l’âge de l’ennemi (lorsque l’on peut le connaître ou l’estimer) est pris en compte, même si ce paramètre complique les formes de combat au risque même de faire annuler certaines frappes ou actions. Je ne pense donc pas qu’il y aura des conséquences sur les modes opératoires de la force Barkhane », a poursuivi le spécialiste des questions de défense.
Mais de l’avis de Mahamoudou Sawadogo, ce n’est pas évident que nos armées nationales prennent nécessairement en compte l’âge de ceux qui les combattent. « Etant donné qu’ils ne sont pas en position de force et sont plutôt dans la défense, ils n’ont vraiment pas le discernement nécessaire pour le faire pendant les combats », a-t-il analysé. Cette situation explique-t-elle la réticence de certains pays européens à s’engager dans la force Takuba ?
«Sur certains théâtres d’opérations, en particulier en Afrique mais aussi au Moyen-Orient, il existe toujours un risque d’être confronté à des combattants mineurs. Les forces américaines en ont fait l’expérience en Irak. Les armées des pays européens qui s’engagent ou hésitent à s’engager dans Takuba doivent connaître ce paramètre. Et je suis sûr qu’ils le connaissent. S’il y a des réticences, elles tiennent davantage à la crainte des opinions publiques de voir les troupes nationales engagées dans des opérations sans fin. Des opérations qui peuvent s’avérer coûteuses aussi en termes politiques. D’où le refus de certains gouvernements et de certains Etats de s’engager dans cette force alliée au Mali », a conclu Philippe Chapleau.
Quand tirer sur un enfant-soldat ? Lorsqu’en opération les militaires devront choisir entre tuer ou être tués. En 2017, le Canada a été le premier pays à avoir doté ses militaires d’un guide pour faire face aux enfants-soldats sur les champs de bataille. Pour l’auteur Philippe Chapleau, « l’enfant-soldat est une réalité incontournable de la guerre contemporaine et un défi à la formation et à l’éthique ».
Aly Tinto