Régularisation des mutations de parcelle : « Il est possible de négocier des paiements échelonnés », Arzouma Marcel Sawadogo, directeur du GUF-O
Dans un communiqué datant du 5 février 2024, la Direction générale des impôts annonçait mettre fin à la certification des procurations que les populations obtiennent dans le cadre de l’acquisition des parcelles. A cet effet, il invitait les populations à engager les procédures régulières de mutation concernant les transactions de parcelles au plus tard le 30 avril 2024. Plus question de vendre ou d’acheter une parcelle avec une fiche d’attribution. Les procurations ne sont plus certifiées. Dans cette interview, Arzouma Marcel Sawadogo, directeur du guichet unique du foncier de Ouagadougou (DGUF-O), apporte plus de précisions.
Radars Info Burkina : Que faut-il entendre, de façon précise et simple, par mutation de parcelle ?
Arzouma Marcel Sawadogo : Une mutation de parcelle, c’est le fait que les droits portant sur cette parcelle passent d’une personne à une autre. La mutation résulte d’un acte juridique comme la vente, la donation, le partage et la dation, entre autres, ou bien d’un fait juridique comme une succession en cas de décès, c’est-à-dire l’héritage.
Dans notre cas, lorsqu’on parle de mutation, dans l’esprit de la majorité de nos compatriotes, il s’agit de la vente/achat des parcelles. Un achat de parcelle est un acte important dans la vie des individus et des entreprises. Il faut donc s’entourer d’assez de précautions pour ne pas être victime d’erreur ni d’escroquerie car il y en a malheureusement.
De façon pratique, lorsqu’un tiers veut acquérir une parcelle, il peut vérifier l’authenticité des documents y afférents. Ensuite, s’il y a accord entre l’acheteur et le propriétaire vendeur, les deux signent un acte de vente en bonne et due forme. Il y aura des droits à payer mais le paiement d’impôt permet à l’Etat de sécuriser le territoire national, donc la parcelle également.
Les droits à payer sont proportionnels à la valeur des biens et il faut accepter de déclarer le prix sincère car en cas de problème, la réclamation ne peut pas excéder ce qui est indiqué sur l’acte de vente.
Radars Info Burkina : Que peut-on retenir des mesures sur les procurations ?
Arzouma Marcel Sawadogo : L’arrêt des certifications des procurations est une mesure qui a été nécessaire à un moment donné, d’où la note du 5 février qui remet au cœur du débat la question de la régularité de la situation foncière des uns et des autres. Il a été constaté depuis un moment en effet que nos concitoyens, lorsqu’ils achètent une parcelle, se contentent de signer une procuration et une promesse de vente et ne font rien après.
Or, cette situation n’est pas conforme à la loi, car si vous achetez ou vendez une parcelle, vous avez un délai de trente jours pour en faire la déclaration à l’administration fiscale. Ensuite, du côté de l’acquéreur même, il est possible que des erreurs qui auraient pu être détectées et corrigées immédiatement deviennent presque impossibles à corriger lorsque vous attendez des années avant d’engager la procédure.
Il arrive souvent, en effet, qu’il y ait non-conformité entre le nom de la personne figurant sur le P-V d’attribution, par exemple, et celui inscrit sur la pièce d’identité qu’elle a utilisée au moment de signer la procuration. Si vous ne retrouvez pas l’intéressé après, vous ne pouvez pas facilement avoir une correction de son nom pour poursuivre la procédure. Pour ce qui est des droits à payer, plus vous attendez pour engager la procédure, plus vous allez payer des montant élevés d’impôts, car la valeur de la parcelle ne fait qu’augmenter, en principe, dans le temps.
Les procurations pour couvrir des acquisitions de parcelle n’offrent pas vraiment une sécurité foncière, il faut s’en démarquer. Elles vous exposent à coup sûr à payer plus d’impôts.
Radars Info Burkina : Est-il désormais impossible de vendre ou d’acheter une parcelle avec une fiche d’attribution ?
Arzouma Marcel Sawadogo : Une fiche d’attribution de parcelle n’est pas un titre de jouissance reconnu par la loi et c’est pour cette raison qu’on n’admet pas que l’on puisse vendre sa parcelle sur la base de ce document. On exige au moins l’attestation d’attribution, signée par le receveur, car elle est établie après des vérifications minutieuses. Cette exigence vise à protéger la personne qui achète tout comme l’administration qui ne veut pas prendre le risque de laisser passer les fiches et être interpellée en cas de litige. Il y a eu, par exemple, des cas de fausses fiches d’attribution que des individus malintentionnés ont utilisées pour escroquer d’innocents citoyens.
Le refus de la fiche n’est pas le problème, c’est plutôt dû au fait que beaucoup de nos compatriotes n’ont pas le réflexe de mettre à jour leurs documents. Ils attendent à la dernière minute, au moment où ils veulent vendre la parcelle, pour parler d’urgence et demander qu’on laisse faire. Ceux qui estiment qu’on complique la situation doivent s’en prendre à eux-mêmes, à leur propre négligence. On ne peut pas vendre des parcelles comme on vendrait des arachides. Chacun doit chercher à se mettre en règle en faisant établir au moins son attestation d’attribution. Les impôts comme la taxe de jouissance peuvent être payés à tempérament, il ne faut pas tout le temps se réfugier derrière cette question de taxes.
Radars Info Burkina : À combien peut-on estimer le nombre de parcelles dont le processus de mutation n'est pas achevé ?
Arzouma Marcel Sawadogo : Je ne dispose pas de statistiques globales sur la question, mais des statistiques de l’année 2023 il est ressorti, au niveau du Guichet unique du foncier de Ouagadougou, un nombre global de 9500 procurations contre environ 5000 actes de vente signés. Le rapprochement de ces deux données dégage grosso modo 4500 procurations correspondant à des mutations inachevées. Ces chiffres permettent de savoir qu’il y a quand même un véritable problème auquel il fallait s’attaquer. Ce phénomène des procurations n’a pas toujours existé. Une administration doit, à un moment donné, prendre des mesures pour corriger des situations et comportements déviants, surtout lorsqu’ils portent préjudice aux citoyens.
Radars Info Burkina : Quel est le manque à gagner pour le budget de l'État ?
Arzouma Marcel Sawadogo : Il n’y a pas d’évaluation précise de l’impact financier en termes de manque à gagner. Il est clair cependant qu’il existe bel et bien. En effet, celui qui fait la procuration au lieu de l’acte de vente pour qu’on liquide les droits diffère au moment où il paye les impôts. Certains sont venus 20 ans après. Le cas extrême que j’ai vu est une mutation inachevée qui date de 1982. Etant un service qui doit mobiliser des ressources pour l’Etat, si nous avons 10 personnes qui paient à tempérament cent mille francs chaque mois, ça nous fait un million et ce montant pourrait servir à couvrir des dépenses de l’Etat.
Radars Info Burkina : Quelles sont les sanctions prévues contre les différentes parties impliquées dans la non finalisation ?
Arzouma Marcel Sawadogo : Plusieurs personnes pensent qu’après la vente d’une parcelle, il n’y a plus d’obligation une fois l’argent empoché. Ce n’est pas vrai. En effet, la loi fait peser sur le vendeur et l’acheteur l’obligation de déclarer la mutation ; même pour le paiement, il y a ce qu’on appelle la solidarité qui permet à l’administration de poursuivre l’un des deux pour obtenir le paiement de l’impôt dû en raison de la mutation. Il vaut mieux pour le vendeur veiller à cette déclaration enseignant un acte de vente avec un prix sincère tout au moins.
Un nombre non négligeable de personnes jouent à un jeu qui consiste à minorer le prix sur l’acte de vente. C’est un jeu à haut risque car cela constitue du faux et des poursuites pénales peuvent en découler.
Sur le plan fiscal, si l’on découvre cette minoration, vous allez subir des amendes de 200% du prix reconstitués. Certains ont été pris la main dans le sac en 2023 par exemple et ont payé des montants importants d’amende et de pénalités même après remise partielle.
Nous sommes ravis chaque fois qu’un compatriote acquiert un terrain et vient pour en faire la déclaration ; mais il faut que chacun s’engage à être sincère, transparent car cela fortifie la société. Le respect de la loi coûte moins cher toujours en vérité.
Radars Info Burkina : Beaucoup de citoyens se plaignent du délai donné pour la régularisation, qu'est-ce que la DGI envisage à cet effet ? Une prolongation est-elle possible ?
Arzouma Marcel Sawadogo : Nous sommes conscients de la longueur des délais et nous travaillons à le réduire. Une chose est constante cependant : toutes les administrations qui ont pu raccourcir les délais de façon significative ont d’abord informatisé le foncier. Tel n’est pas encore le cas au Burina Faso, alors même que cela a été envisagé il y a bien des années. Nous notons toutefois que la Transition en a fait une priorité, la DGI aussi, et sans être absolument dans le secret des dieux je pense que l’attente de ne devrait plus être très longue.
S’agissant de la prolongation concernant les procurations, je ne peux pas en dire quelque chose car la mesure a été prise au niveau de la hiérarchie. Je préfère que les personnes concernées s’efforcent de régulariser leur situation plutôt que d’être dans l’espoir incertain d’une prolongation.
Radars Info Burkina : Les plaintes se situent également au niveau des coûts ; les usagers avancent des raisons tournant autour de la situation actuelle du pays. A combien s'élèvent les frais de mutation ?
Arzouma Marcel Sawadogo : Les droits de mutation (droit d’enregistrement) sont calculés en appliquant au prix déclaré (s’il nous parait sincère) ou à la valeur retenue par l’administration à défaut, le taux de 5% depuis 2023. Ce taux est même inférieur à celui en vigueur dans certains pays européens. Certains paient des terrains à 100 millions mais viennent déclarer un prix de 20 millions sur l’acte de vente. Ils veulent payer 1 millions de droits au lieu de 5 millions. Donc, l’argument du montant élevé des droits, est insoutenable. C’est un prétexte pour eux, car il faut reconnaitre que certains de nos compatriotes n’ont pas encore compris que notre dignité collective de pays, de Nation, passe notamment par la contribution financière de chacun.
Radars Info Burkina : Une situation atténuante est-elle possible en proposant des coûts forfaits ?
Arzouma Marcel Sawadogo : Actuellement, depuis janvier 2023, les droits sont déterminés en appliquant à la valeur le taux de 5%. Les atténuations sont possibles, cependant, elles concernent uniquement les pénalités encourues en cas de retard ou de minoration.
Le forfait n’est plus à l’ordre du jour. Malgré le forfait, beaucoup de personnes n’ont pas régularisé leur situation foncière. C’est pour dire que chacun de nous doit prendre la décision personnelle de régulariser sa situation en matière foncière et dans les autres aspects légaux et administratifs.
La DGI a décidé de faire un effort de communication pour que les citoyens puissent être avertis, informés. Pour ce qui est du paiement, nous sommes tous conscients de la situation et pour ce faire, la possibilité de négocier des paiements échelonnés existe pour une régularisation souple des situations.
Radars Info Burkina : Que conseillez-vous à ceux qui envisagent de faire des mutations de parcelles à l'avenir ?
Arzouma Marcel Sawadogo : Il faut qu'on crée la confiance entre l'administration et les citoyens. La Direction générale des impôts s’est résolument engagée sur le chemin de l’amélioration de la qualité du service.
J’invite toute personne qui envisage faire une mutation, de passer se renseigner auprès du guichet unique de Ouaga ou Bobo ou encore des services des domaines, ainsi que les Cabinets des notaires qui sont des officiers ministériels, pour avoir la bonne information. Il y a aussi des intermédiaires professionnels qui peuvent vous renseigner de sorte que vous réalisiez votre opération en toute sécurité.
Le vendeur et ses accompagnateurs peuvent être souvent intéressés plus par ce qu’ils gagnent en termes d’argent, que la sécurité de l’acquéreur dans la transaction. L’administration est au service de la population et il faut que les uns et les autres viennent se renseigner avant de poser des actes qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur eux. Agir sans être suffisamment informé, c’est prendre des risques inutiles pour soi-même, sa famille et son entreprise.
Propos recueillis par Flora Sanou