Le Burkina Faso est en proie à une crise sécuritaire sans précédent depuis près de 8 ans. Celle-ci semble avoir accouché d’une crise de confiance entre les acteurs des médias et la population en ce qui concerne la production de l’information. Sur la question, des chercheurs, des acteurs de médias et des citoyens se sont exprimés. Reportage
Dans le contexte burkinabè, l’activisme des groupes armés sur le territoire national a coulé la gloire du journalisme burkinabè débouchant sur une crise d’identité professionnel ont déclaré le 24 mai 2023 lors d’un colloque scientifique à l’Université Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougou en visioconférence Dr Sobzanga Edouard Sawadogo enseignant chercheur à l’Université Norbert Zongo et Hamidou Sangla doctorant en science de l’information et de la communication à l’Université Joseph Ki-Zerbo. « Le droit d’informer de manière rigoureuse et complète que l’on confère aux journalistes est critiqué par l’opinion dominante. Traités d’apatrides, les menaces et les critiques contre ces journalistes se multiplient sur les réseaux sociaux numériques avec les agissements des internautes. L’identité professionnel du journaliste est remise en cause » ont-ils indiqué.
Dr Sawadogo et M. Sangla se sont interrogés de savoir « pourquoi les médias et journalistes burkinabè sont traités d’apatrides dans ce contexte d’extrémisme violents » ? En réponse, ils estiment que l’avènement du discours conspirationniste et la remise en cause d’identité professionnel sont à l’origine du traitement du journaliste burkinabè d’apatride.
Aussi ils disent avoir cherché à comprendre l’orientation du discours des journalistes en analysant certaines productions sur l’insécurité et des raisons de la méfiance que nourrit la société mais aussi du discours des acteurs sur les réseaux sociaux numériques notamment Facebook.
« Dès le début de la crise en 2016, les médias burkinabè ont eu un langage centré sur les entrepreneurs de la violence. Lors de la survenue d’un évènement de la propagande de ces groupes armés, attentat ou incursions dans une localité du pays, les médias dans leur ensemble analysent la situation et font parfois une rétrospective des évènements similaires écoulés. Ils permettent aux citoyens à partir de la critique de mieux comprendre les facteurs de la crise. Cependant pour l’opinion publique, les médias sont les relais des groupes armés terroristes. Pour l’Etat également, ils participent plus ou moins à l’installation de la psychose chez les populations et sèment le doute sur les capacités de l’armée burkinabè à faire face à la crise et exposent donc les militaires engagés à la lutte contre l’extrémisme violent ce qui les démoralisent. » ont-ils expliqué.
Ainsi, l’Etat a donc affiché sa volonté de rester maitre de l’espace public pour contrôler la circulation de l’information. De ce fait l’avènement d’un nouveau lexique issu de la crise, a entrainé l’avènement d’une nouvelle identité des journalistes burkinabè à savoir le journalisme de communication. Or le rôle du journaliste est d’informer et non communiquer. Finalement, le journaliste burkinabè a aujourd’hui le traumatisme des évènements terroristes mais aussi de leur nouvelle identité acculée par la société « les apatrides » ont conclu Dr Sawadogo et M. Sangla.
Mais que disent les acteurs des médias et leurs lecteurs sur cette problématique ?
Selon le président du comité de pilotage du Centre de presse Norbert Zongo (CNP-NZ), Inoussa Ouédraogo, il y a plutôt une incompréhension entre les journalistes et les populations. « Je ne parlerai pas de manque de confiance entre les populations et les journalistes. Je pense qu’ils sont incompris. En effet, quand il y a un manque de confiance, il y a rupture. Mais dans le cas du Burkina, je n’ai pas le sentiment que le public cherche à rompre avec les médias ou les journalistes parce que les Burkinabè continuent de consommons les informations journalistiques » a-t-il indiqué.
Cependant il y a une attente d’une partie de la population vis-à-vis des journalistes, a-t-il poursuivi. Pour lui, ces derniers voudraient que les journalistes ne parlent que de bonnes nouvelles. Ils en ont peut-être marre des informations sur la guerre et ses conséquences. C’est pour cela on a l’impression qu’on s’attaque aux journalistes.
Il a proposé aux médias et organisations professionnelles de médias de sensibiliser davantage les populations sur les rôles et fonctions du journaliste car dit-il, « certains pensent très souvent que nous nous mêlons de ce qui ne nous regarde pas ou qu’on cherche des poux sur un crâne rasé. Pourtant, le journaliste ne fait que son travail. Les populations doivent comprendre que ce qu’elles attendent de nous n’est pas le rôle du journaliste mais celui des communicateurs.
« Il y a des incompréhensions. Le rôle de l’autorité, c'est d’assurer la sécurité de tous les citoyens. C’est un droit constitutionnel. Par exemple, si je suis une autorité et qu’on me fait le point sur la prise en charge de tous les déplacés internes, je deviens comme un père de famille à qui on informe que tous les enfants ont mangé tandis que l’aide-ménagère m’interpelle sur la situation d’un enfant qui n’a pas eu à manger. L’autorité doit plutôt remercier la personne qui lui a donné l’information et prendre des dispositions pour que l’enfant puisse manger. Une mère qui entend cette information ne peut pas en vouloir à la servante elle va la remercier et chercher à manger pour son enfant. C’est de cette même façon que nos autorités doivent prendre en compte le travail du journaliste. Quand nous disons qu’il y a des insuffisances, ce n’est pas parce que nous sommes contre l’autorité. C’est parce que nous voulons que ces insuffisances soient corrigées pour améliorer leur gestion. C’est pourquoi je parle d'incompréhension », a-t-il expliqué.
Pour lui, l’objectif du journaliste n’est pas de faire du mal mais de contribuer à la guerre, à apporter des solutions aux problèmes que le pays traverse et de ce point de vue en dénonçant les insuffisances, la mal gouvernance.
« Nous sommes des patriotes au même titre que tous les autres Burkinabè. Les discours qui consistent à traiter certains de patriotes et d’autres de non patriotes ce sont des discours diviseurs. Or dans le contexte actuel du Burkina nous avons besoin de discours de rassemblement, qui unit tout le monde, qui appelle tout le monde partout où il est à être suffisamment responsable et à contribuer à sa façon à la lutte contre le terrorisme » a-t-il terminé.
Daouda Sawadogo directeur de publication du journal en ligne Éclair infos soutient qu’il y a un problème de méfiance entre les journalistes et les populations et non une crise de confiance.
Selon lui, les journalistes sont traités de tous les noms face à un certain nombre de sujets qu'ils ont à et cela ne date d’aujourd’hui. Mais qu'à cela ne tienne, ils arrivent toujours à avoir des informations auprès des citoyens qui ne tardent pas à communiquer ou à opiner sur la situation nationale quand bien même aujourd'hui, il y aurait des textes qui essaient de limiter les opinions, en l'occurrence la mobilisation générale et la mise en garde. Ceux-ci sont un peu prudents quant à leur opinion sur la situation nationale.
En outre, il se pose un problème de compréhension car selon lui, ceux qui qualifient les journalistes de non patriotes, pour la plupart, ne savent pas la fonction réelle du journaliste, les règles qui régissent la profession. Ainsi les journalistes sont traités de tout et de rien. « Ceux qui insultent les journalistes ne sont pas instruits pour la plupart ou ont un faible niveau d'instruction, ce qui ne leur permet pas de distinguer le travail du journaliste de celui du citoyen lambda. Ce sont ceux mêmes qui souhaitent s'exprimer devant les micros lors des manifestations ».
De plus, parlant des difficultés lors des collectes d’informations en cette période de crise, il estime que cela dépend du sujet que l’on traite. « Je me rappelle que lors d’une manifestation de soutien à la place de la nation lors du premier coup d'État (24 janvier 2022), lorsque le président Damiba est arrivé au pouvoir, il y a un groupuscule de personnes qui nous ont pris à partie que nous sommes des journalistes français, que pourquoi nous ne nous exprimons pas en mooré ? Avec tant de question, ils nous ont dit que nous sommes des infiltrés. Je leur ai fait comprendre que nous sommes tous Burkinabè, ce n'est pas parce que nous faisons du journalisme, nous tenons des micros que pour autant on sera qualifié d’infiltrer » a-t-il témoigné.
Pour lui, le journaliste est un citoyen d'un pays et il travaille sur la base de règles et en cas d'infractions il est interpellé par le conseil supérieur de la communication.
Donc, « que des individus opinent sur des sujets traités par les journalistes, ils ne sont pas juges et toutefois qu'un journaliste viendrait à manquer à une obligation, il sera rappelé à l'ordre par les régulateurs de l’information.
Par ailleurs, pour faire raisonner ces personnes qui pensent que les journalistes sont des apatrides, il propose de les sensibiliser sur les règles qui régissent la profession du journaliste. « Le journaliste n'est pas un ennemi de la nation. Il pratique un métier qui obéit à des règles. S'il manque à une de ses obligations (éthique et la déontologie) il peut être rappelé à l'ordre mais s'il respecte on ne peut nullement le reprocher sur son travail. Cependant, que les uns et les autres s'enflamment sur des sujets traités par les journalistes, c'est leur opinion et d'ailleurs tout travail peut être critiqué. C'est aux journalistes aussi de ne pas s'apitoyer en disant qu'ils sont victimes. Nous ne sommes pas victimes, c'est la réalité de notre profession » s’est-il exprimé.
Toujours sur cette problématique de crise de confiance entre médias et populations, Lamine Traoré, correspondant du journal VOA Afrique, tout en rappelant que les journalistes évoluent dans un contexte difficile aujourd’hui, pense que tant qu’ils sont professionnels dans le traitement de l’information, ils sont patriotes.
De ce fait, leur demander d'être patriotes sème une confusion. « Je ne sais pas ce qu'on leur demande exactement. Ce que je sais c'est qu'il faut être un journaliste professionnel. Mais si un journaliste est professionnel est-ce qu'il n'est pas patriote » s’interroge-t-il.
De sa conviction, « quand on essaie d'être professionnel, il n'y a pas plus grand patriotisme que ça. Donc les gens peuvent opiner là-dessus comme ils veulent mais il notifie que nous sommes dans une grave crise sécuritaire non maîtrisée par les forces de défense et de sécurité et c'est la même chose pour les journalistes qui essaient de s'adapter pour faire leur travail. C'est une guerre asymétrique selon les autorités, dit-il, et les journalistes doivent être davantage professionnel.
Dans cette entrevue, il n’a pas manqué de relever les difficultés actuelles pour obtenir l’information.
« C’est difficile aujourd'hui d'avoir des informations. Aujourd'hui même les sources officielles sont rares pour les journalistes non seulement pour les locaux mais aussi ceux qui travaillent à l’inter. Les espaces de liberté ont été réduits. Cela fait que les sources d'informations se tarissent. Par exemple au niveau des conseils des ministres les journalistes avaient accès pour poser certains nombres de questions. Dernièrement ils ont repris quelques points de presse du gouvernement organisés par le service de l’information mais ce n'est pas aussi régulier que ça c'est quand le gouvernement veut communiquer. Pourtant c'était un cadre organisé, institutionnel hebdomadaire à la limite, à des temps passés récents. C'est difficile également sur le terrain parce que certains pensent que les médias internationaux sont dans une mauvaise démarche dans ce contexte où à tout vent on parle d'impérialisme » » a-t-il confié.
Et d’ajouter qu’« on traite certains médias et journalistes qui travaillent à l'international d'impérialistes ».
« Cependant ce n'est pas tout le monde. On arrive parfois à expliquer notre démarche, notre façon de faire, certains le comprennent » a-t-il reconnu.
Tout compte fait, il pense que les journalistes qu'ils soient à l'International ou au plan local doivent continuer à travailler de façon professionnelle.
Dans la foulée, Sandrine Bado, journaliste à Mousso News pense qu’il y a une certaine méfiance des populations vis-à-vis des journalistes sur le terrain. « Ils se méfient au début mais quand tu trouves la façon de leur expliquer les choses, ça passe ».
Interrogé sur ce qu’il pense des médias et de leurs productions actuellement au Burkina un citoyen affirme : « A vrai dire, c'est mieux qu’on ferme tous les médias sauf la télévision et radio nationale. Après le terrorisme ils vont continuer leur travail ».
Un autre citoyen pense qu’il n'y a pas de crise entre les journalistes et les populations mais ce sont plutôt « les autorités qui ont choisi de diaboliser les journalistes et certaines composantes de la population parce qu’elles veulent maîtriser la communication sur la crise sécuritaire. Le journalisme, c'est l'information juste, ce qui n'est pas toujours du goût des dirigeants ».
L’on retiendra qu’il n’y a pas une crise de confiance entre les médias et les populations comme estiment certaines personnes, il y a plutôt un problème de compréhension, une méfiance, une méconnaissance du métier du journalisme par ces personnes.
Flora Sanou