Le monde ne vit plus sans médias. Ces médias sont une arme de communication de masse. Mais ils (médias) sont parfois confrontés à d’énormes défis, notamment la restriction de la liberté d’expression, les violences, les discours de haine et bien d’autres. Aujourd’hui, ces défis sont de plus en plus récurrents dans un contexte de guerre, d’insécurité à travers le monde dont le Burkina Faso. Ainsi, le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a échangé avec les journalistes ce 6 septembre 2022 à Ouagadougou sur les questions autour des droits humains, des discours de haine, notamment comment détecter les discours de haine, comment les combattre. Il s’est agi d’outiller les journalistes sur comment promouvoir dans leurs écrits, face à des situations sensibles, les valeurs d’humanité, les valeurs de morale dont le monde a besoin. La question sur la liberté de la presse en droit international a également été au cœur des échanges.
Au cours des échanges, trois communications ont été données par trois experts membres du haut-commissariat des Nations unies depuis Genève. La première, qui a porté sur la liberté de la presse en droit international et la protection des journalistes, a été faite par Thibault Guillet.
Le droit international et le droit de l’homme indiquent la protection de la liberté d’opinion, a-t-il souligné. A la différence de ces droits, la liberté d’expression ne souffre aucune restriction car protégée dans l’article 19 du pacte international qui dispose : « Toute personne a droit à la liberté d’expression, la liberté de rechercher, de recevoir et de répondre aux informations et aux idées de toutes espèces sur le plan financier, écrit, moral, artistique ou par tout autre moyen de son choix. »
De plus, la liberté d’expression ne peut être restreinte que dans un cadre précis : il s’agit de la condition de la légalité, la nécessité et le professionnalisme. Elles sont fondamentales parce qu’elles permettent d’éviter les restrictions. Cependant, comment traiter et faire face aux discours haineux dans un droit fondamental ?
Selon Thibault Guillet, face à des discours haineux, le journaliste doit chercher à résoudre les causes des discours de haine. Pour cela, il faut faire face aux causes qui sont à l’origine des discours, chercher à connaître ce qui a occasionné les discours de haine.
Par ailleurs, il a précisé que dans l’article 20, le droit international n’interdit pas les discours de haine en tant que tels, mais interdit l’incitation au discours de haine. L’article 20 du pacte international interdit « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ».
La deuxième communication, donnée par Renaud Gautin De Vilaine, a également porté sur le droit international des droits de l’homme et les défis auxquels les journalistes sont confrontés.
Pour lui, l’article 19 du pacte civil international est la base de la liberté de presse. Cet article permet aux journalistes d’avoir accès aux informations sur les affaires publiques et le droit du public de recevoir l’information donnée par les médias.
Cependant, ce droit peut être restreint mais ces restrictions doivent répondre aux textes prévus dans l’article 19 alinéa 3 du pacte international relative au droit civil et politique. En effet, la restriction doit d’abord être prévue par la loi. D’une part cette restriction doit être légitime : quand il s’agit du respect des droits et de la réputation d’autrui, de la sauvegarde de la sécurité nationale et de l’ordre public, de la sûreté ou de la moralité publique.
La restriction doit être nécessaire : la nécessité dépend du contexte. Par exemple dans un contexte de guerre, les restrictions des médias ne sont pas les mêmes que dans un contexte de paix.
Les défis auxquels les journalistes font face dans le monde et qui mettent à risque leur protection sont, entre autres, les attaques physiques qu’ils subissent.
En effet, 55 journalistes ont été tués en 2021 à travers le monde, selon l’observatoire de l’UNESCO, et 45 ont été tués en 2022 dans le contexte de guerres comme celle en l’Ukraine. Un grand nombre de journalistes meurent dans le contexte d’investigation sur les questions de corruption.
D’autres défis auxquels les journalistes font face sont les détentions. 223 journalistes ont été détenus à travers le monde à la date du 31 décembre 2021, contre 193 en 2018. Les pays qui emprisonnent plus les journalistes sont la Chine, le Vietnam, l’Égypte et la Russie.
D’autres défis sont les attaques en ligne, particulièrement contre les journalistes femmes. Selon l’enquête de l’UNESCO, près de 900 femmes interrogées, 73% ont confirmé avoir été victimes d’attaques en ligne (violence sexuelle, menaces de publier des images intimes sur Internet..). 30 % des femmes journalistes ont subi des attaques physiques.
Par ailleurs, il y a les poursuites en série des journalistes d’investigation sur des sujets de corruption, le harcèlement juridique, la surveillance ciblée des journalistes grâce aux technologies d’information.
Comment faire face à ces défis ?
Il y a des mécanismes du droit international des droits de l’homme.
D’abord le haut-commissariat des droits de l’homme a pour mission de surveiller la mise en œuvre des droits de l’homme à travers le monde pour renforcer la protection des journalistes et la liberté des médias, le renforcement des capacités des acteurs étatiques et non étatiques. Ensuite, il y a l’assemblée générale des Nations unies et le conseil de sécurité adoptent des résolutions qui entrent dans le cadre de la protection des journalistes, la liberté de la presse et des médias.
Il y a aussi les Procédures spéciales en matière de droits de l’homme.
La communication finale a été donnée par Michael Wener sur l’incitation à la haine. Qu’est-ce qui constitue l’incitation ? Où sont les limites de la liberté d’expression ? A quel moment on se trouve dans une situation de discours de haine ?
L’incitation à la haine repose sur 6 critères, selon Wener.
Il y a d’abord le contexte dans lequel le discours a été donné : il peut avoir une conséquence directe sur la causalité. Le contexte doit être, d’abord, d’évaluer sur la base sociopolitique qui existe au moment où le discours a été prononcé. Dans plusieurs cas, c’est dans le contexte électoral où les politiques tiennent des propos pas catholiques.
Ensuite, il y a le rôle que joue l’orateur et son statut dans la société. Il y a une relation entre le contenu du discours et la personnalité de l’orateur.
Le troisième critère est l’objet et l’audience. Le journaliste doit faire attention à ce qui a été dit pour savoir si le discours a un caractère appelant à l’incitation à la haine. L’on a besoin d’un acte d’appel et d’incitation.
Le quatrième critère est le contenu et la forme du discours : il faut analyser le contenu pour évaluer le degré de provocation du discours, s’il est direct ou indirect. Ça peut être dans un contexte académique, dans un discours politique, donc il faut une profonde analyse.
Le cinquième critère est l’ampleur du discours : est ce que c’était un public ? Quelle était la taille de l’audience ? Est-ce que les moyens de diffusion étaient des médias publics, ou par Internet, les réseaux sociaux ?
Le dernier critère est la probabilité qui conclut l’évidence : il faut identifier le lien de causalité, le risque. L’action du discours d’incitation à la haine n’a pas à être commise pour que ce discours soit considéré comme un acte. Mais il faut identifier le niveau de risque que le discours peut engendrer. Les juridictions déterminent la probabilité raisonnable que le discours peut inciter les actions concrètes indirectes tout en reconnaissant le lien de causalité qui devrait être direct.
La question de la coupure d’Internet ou la restriction d’accès aux réseaux a été abordée. À ce sujet, Thibault Guillet souligne que la loi permet aux gouvernements de résoudre les problèmes de la société mais dans la pratique, les minorités sont persécutées parce que les gouvernements utilisent abusivement les législations.
Flora Sanou