samedi 23 novembre 2024

Grogne sociale : « … chacun doit mettre de l’eau dans son vin », Me PACERE

Me PacéréL’actualité nationale au Burkina Faso, reste marquée par de nombreuses crises sociales qui mettent à l’épreuve la paix et la stabilité du pays. Depuis l’avènement de l’insurrection populaire d’octobre 2014, le front social est coutumier des grèves à répétition, des actes de vandalisme, de défiance de l’autorité de l’Etat et d’un incivisme parfois jamais égalé. Un vieux assis voit plus loin qu’un jeune debout, dit-on. C’est pourquoi, l’équipe de Radars Info Burkina s’est approchée de Maître Frédéric Titinga PACERE,  avocat, homme de lettres et de culture, chef traditionnel burkinabè pour analyser cette « période chaude » que traverse le pays.

 

Radars Info Burkina (RIB) : Actuellement au Burkina Faso, presque tous les corps sont en ébullition. Quelle lecture vous faites de la situation sociale qui prévaut en ce moment?

Frédéric Titinga PACERE (FTP) : (Avec un air déconcertant). J’ai envie de m’adresser aux travailleurs, aux étudiants, aux élèves, somme toute à mon pays. Mais avant tout, je dois me contrôler parce que j’ai eu des expériences de par le monde qui m’ont beaucoup traumatisé. Je ne veux pas que ce que j’ai vécu dans certains pays se passe au Burkina Faso.

Vous savez, il y a très peu d’africains qui ont l’expérience de Me PACERE. A un moment donné de ma vie, j’ai été nommé par les Nations unies comme expert indépendant sur la situation dans droits de l’homme en République démocratique du Congo (RDC). De 1996 jusqu’à 2015, j’étais donc pratiquement à l’international et avec les expériences que j’ai eues, je dois pouvoir  tirer matière à réflexion.

Des grognes sociales ! J’en ai vues et assistées de par le monde. Et aujourd’hui, c’est avec douleur que vis cela dans mon pays. (Soupire). Pour moi, toutes ces revendications sont légitimes, mais tout est relatif sur la terre. Il ne faut pas revendiquer alors que l’Etat n’a pas les moyens. Je ne suis pas l’avocat des gouvernants (rires). Beaucoup disent que le gouvernement est de mauvaise foi, qu’il faut presser le citron et cela va finir par secréter quelque chose. Vous savez, les autorités ne peuvent pas utiliser l’argent du peuple comme ils veulent. Ils n’ont pas intérêt à cacher puisqu’on peut faire des audits. Certains pays sont plus riches que le Burkina mais j’admire nos gouvernants, car je ne sais d’où vient l’argent pour payer tout le monde. Je crois surtout que la richesse du Burkina Faso,  c’est la paix et la stabilité. Le pays est presque sous perfusion, mais il fait plaisir. C’est pourquoi, le pays attire beaucoup de bailleurs de fonds. Nous devons travailler à conserver cela.

Servir les Nations unies, m’a permis de voir et de comprendre beaucoup de choses. J’ai vu des syndicats hurler, les yeux hors des orbites pour revendiquer. Dans un pays où je tairais le nom, les revendications perlées et aveugles ont poussé les bailleurs de fonds à se retirer, laissant ainsi le pays dans un état catastrophique.

 

RIB : On le sait, certains corps ont eu gain de cause tandis que d’autres peinent à se faire entendre. Aujourd’hui, le gouvernement n’est-il pas pris dans son propre piège ?

FTP : J’ouvre une parenthèse qui n’engage que moi. Certaines premières revendications sont certainement légitimes et ont été satisfaites alors que le problème des revendications devrait se poser à l’échelle nationale en fonction de la disponibilité des ressources du pays, des catégories, des diplômes et des spécificités. Mais, les premières revendications ont connu une satisfaction totale. Ce qui a ouvert la boîte de Pandore. Tout le monde est en droit de réclamer les mêmes ajustements. Excusez-moi, je respecte les autorités publiques mais je trouve qu’on est allé trop vite en besoin.

 

 RIB : A qui la faute ? Au régime de Roch Marc Christian KABORE ou à la Transition qui n’a peut-être pas joué son rôle?

FTP : (Coupant la parole au journaliste). Cette problématique date de très longtemps. Du fait qu’il éclate maintenant, ce n’est pas grave. Ce qui est important, c’est de trouver des solutions avant que le pire n’arrive. Tous les acteurs doivent s’asseoir sur la même table afin que le gouvernement mette à nue ses capacités.

élèves grévistesRIB : On a l’impression d’assister à un dialogue de sourds, est-ce le cas ?

FTP : C’est un débat de sourds. C’est pourquoi je ne veux pas m’y mêler. Je vous ai dit que j’ai beaucoup travaillé à l’international. Et tenez-vous bien, dans un des pays où j’ai eu à déposer mes valises, le premier président  de la plus haute juridiction touchait l’équivalent de quinze mille (15 000) francs CFA parce que les bailleurs de fonds avait quitté le pays du fait de la fronde sociale. L’Etat était devenu tellement pauvre qu’il ne pouvait plus prendre en charge les salaires des fonctionnaires. Ce sont les parents qui payaient les enseignants. L’insécurité et la violence s’y disputait la vedette. Dans une des provinces, quarante-trois mille femmes ont été violées en un an.

 (Soupires). Si je vous raconte cela, c’est pour dire que nous devons faire très attention. Je demande à tout le monde de rester ouvert au dialogue. On négocie afin de trouver des solutions, le cas échéant, sachez que le politique risque d’avoir le dernier mot. Dans les pays où le politique a le dernier mot,  la liberté d’expression est annihilée et les populations s’exilent pour être des réfugiés. Nous devons donc nous réveiller et nous écouter pour ne pas en arriver à ces extrêmes.

 

RIB : Certains analystes estiment que dans le Burkina post-insurrection, le régime est laxiste. Quel est votre avis ?

FTP : J’ai appris que des jeunes sont sortis à Boussé et ont bloqué la route à des militaires qui se rendaient au Nord pour protéger le pays. J’ai même vu des gens qui ont barricadé des voies à Saponé, des jeunes qui ont aiguisé leurs machettes et des enfants qui ont mis le drapeau en berne à Koudougou. (L’indexe pointé). Je ne suis pas d’accord qu’on soit aussi laxiste. On ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs. Je suis contre la terreur mais, la situation aujourd’hui est telle que le gouvernement doit serrer les vices, mais cela n’engage que moi (rires).

 

RIB : Qu’est qu’un régime démocratique peut faire devant ces actes d’incivisme ?

FTP : J’estime qu’il faut être sévère en restant dans la légalité. La justice doit agir pour recadrer les exagérations.  Tout le monde doit comprendre qu’on ne peut pas laisser le pays aller à vau-l’eau. Je comprends que le régime peut être laxiste parce qu’il ne veut pas blesser mais s’il laisse faire, il payera les pots cassés. Il y a des gens qui disent qu’ils feront chuter le régime avec ces mouvements d’humeur. Ce n’est pas comme cela que des citoyens doivent s’exprimer dans une nation.

 

RIB : Si le régime privilégie la force, les syndicats entrent en action. Du coup, on se retrouve dans une sorte de mythe de Sisyphe avec un éternel recommencement.

FTP : Oui, c’est pourquoi, je demande qu’on accepte la négociation, qu’on ait le courage de ne pas aller à la provocation et à l’incivisme. Chacun doit comprendre que l’Etat a des limites budgétaires. Je voudrais que chaque partenaire social se remette en question pour l’intérêt de la nation. Je le répète, il faut éviter qu’on en arrive au pire.

 

RIB : Quelle peut être la part contributive de l’opposition politique pour désamorcer cette grogne sociale ?

FTP : Chaque groupe social, chaque parti de l’opposition a sa part à jouer. Ils peuvent organiser des  colloques et faire des propositions. Je pense que si chacun met de l’eau dans son vin, si chacun met en tête le sens de l’Etat et la survie du pays, on peut juguler la crise. Mais si chacun reste dans sa tour d’ivoire, je pense que le pays va tomber et tout le monde va perdre. Nous n’avons pas encore atteint le seuil de non retour. Nous pouvons encore sauver ce pays que nous aimons tant. Pour ce faire, chacun doit accepter se remettre en cause et surtout savoir qu’il a des droits, mais aussi des devoirs.

 

RIB : Pour vous, la tolérance doit alors être le maître mot pour apaiser le climat social ?

FTP : Absolument ! D’ailleurs, nous avons les autorités coutumières et religieuses qui apportent constamment leur expertise dans la résolution des crises.

 

Propos recueillis par Richard TIENE/ retranscrits par Candys Solange PILABRE/ YARO

 

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