Selon le compte rendu du Conseil des ministres du mercredi 3 mai 2023, trois décrets ont été adoptés au titre du ministère de la Fonction publique. Il s’agit du prélèvement volontaire à la source des cotisations syndicales des agents publics de l’Etat et ses modalités de mise en œuvre, des procédures de traitement et modalités de liquidation de la retenue pour faits de grève et de la fixation du nombre et des modalités de désignation des agents publics de l’Etat bénéficiaires de la mise à disposition auprès des organisations syndicales. Ces décrets gouvernementaux sont-ils du goût de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) ? Moussa Diallo, secrétaire général de ladite structure, nous répond dans cette interview.
Radars Burkina : Quelle appréciation faites-vous des décrets adoptés en Conseil des ministres au titre du ministère de la Fonction publique le 3 mai dernier ?
Moussa Diallo : Nous avons demandé des copies desdits décrets mais jusqu’à présent, nous n’en avons pas eu. Dire qu’on apprécie un texte sans avoir pris connaissance de son contenu, objectivement ce n’est pas possible.
Radars Burkina : Pourquoi la CGT-B n’a-t-elle pas encore eu ces décrets ?
Moussa Diallo : Personnellement, quand j’ai demandé à voir ces textes, on m’a répondu qu’ils n’étaient pas encore signés. Hier, j’ai appelé pour les redemander en insistant. Ceux qui ont amené le projet pour adoption en Conseil des ministres disent qu’on leur a dit que ce qu’ils ont soumis au conseil est différent de ce qui a été adopté.
Néanmoins, des avant-projets avaient été soumis pour amendement à l’Unité d’action syndicale (UAS) et avaient été analysés par la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) avec des observations précises concernant ces trois décrets. Des propositions avaient été faites et transmises aux autorités sous le mandat du président Roch Marc Christian Kaboré.
Pour ce qui est du décret portant prélèvement volontaire à la source des cotisations syndicales des agents publics de l’Etat et ses modalités de mise en œuvre, nous avons relevé que le fait de dire que l’État va désormais contrôler les finances des organisations syndicales est contraire au système comptable OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires). Une disposition du système OHADA exempte en effet les organisations syndicales du contrôle de l’État. Selon l’article 11 de la convention 87, l’État doit se garder de toute intervention dans la gestion du fonctionnement des programmes des syndicats.
Le fait de dire que l’État va intervenir pour contrôler la gestion des cotisations syndicales est une ingérence de l’État dans les affaires des syndicats. Les syndicats doivent être totalement indépendants.
Concernant l’arrêté sur les procédures de traitement et modalités de liquidation de la retenue pour faits de grève, nous avions dit que le principe du 30e indivisible pose problème parce que dire qu’un agent a fait une grève toute la journée alors qu’il n’a fait qu’un sit-in de 2h, c’est injuste. On avait suggéré qu’on puisse aller jusqu’à la moitié de la journée de travail sans considérer qu’on a perdu toute la journée.
Donc aujourd’hui, qu’on vienne nous parler du principe du 30e indivisible nous ramène en arrière par rapport à ce qu’on avait eu comme négociations. On avait rejeté ce principe du 30e indivisible. Mais pour l’instant, comme nous n’avons pas vu le contenu du texte et que c’est ce que le ministre d’État, Bassolma Bazié, a dit, on suivra les choses de près.
Quant au troisième décret portant fixation du nombre et des modalités de désignation des agents publics de l’Etat bénéficiaires de la mise à disposition auprès des organisations syndicales, notre problème avec cet arrêté, c’est qu’on avait déjà fait des propositions pour les centrales syndicales, les fédérations syndicales, les syndicats autonomes et les unions régionales. Nous n’avons pas encore le texte mais selon les explications du ministre Bassolma Bazié, ce sont les secrétaires généraux des confédérations et fédérations qui sont concernés. Pourtant pour nous, il s’agit d’un certain nombre de membres du bureau qui devraient être déchargés. Mais comme le ministre dit que c’est une seule personne par centrale et par fédération et que les syndicats autonomes, les unions régionales des centrales syndicales ne sont pas pris en compte, on s’en tient à cela.
Radars Burkina : Le ministre de la Fonction publique, Bassolma Bazié, a indiqué que ce sont des décrets à contenu fortement historique parce que ce sont des préoccupations posées depuis des années, qu’en dites-vous ?
Moussa Diallo : Il nous faut voir d’abord les textes pour pouvoir apprécier ce qui a changé véritablement. Pour nous, l’adoption n'est pas une victoire, parce que sur le « check of », on a adopté un arrêté. Nous avons essayé de l’opérationnaliser mais le régime MPP (Mouvement du peuple pour le progrès) avait refusé de faire la retenue pour les syndicats. Nous avons déposé des fiches aux ministères de l’Education, de la Santé, mais elles n’ont pas été utilisées. Ils ont créé des blocages dans l’opérationnalisation.
Une chose est de prendre des textes, mais une autre est de les appliquer. Donc, on ne peut pas se réjouir du fait que les textes aient été pris. Sinon si cela suffisait, nous avons acquis le principe de la permanence syndicale, il y a plus de dix ans et c’est maintenant qu’on vient de prendre le texte. On peut le prendre et faire dix ans encore pour l’opérationnaliser. Nous pensons que l’essentiel, c’est que les textes soient pris et mis en œuvre.
Pour les permanences syndicales, c’est la première fois qu’un texte est pris au Burkina. C’est une avancée. Le fait que le texte soit pris est bien, mais le plus important c’est qu’il soit mis en application et c’est ce qui permettra de dire que c’est un acquis.
Radars Burkina : Selon le ministre d’État, le prélèvement permettra aux organisations syndicales d’être financièrement indépendantes, que faut-il comprendre par là ?
Moussa Diallo : Dans le projet que nous avions reçu, il est dit que l’État va se charger du prélèvement et collecter les fonds pour nous et que l’Autorité supérieure de contrôle d’État et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) peut auditer les comptes des syndicats. Ce n’est pas parce que l’Etat a aidé les syndicats à récolter les cotisations que ce sont ses fonds !
Dire que ça donne une indépendance aux syndicats, ça signifie qu’ils auront suffisamment d’argent pour fonctionner et peut-être ils pourront se passer de la subvention de l’État parce que l’État subventionne les activités des syndicats. Mais le gouvernement considère que lorsque les précomptes seront faits, ce seront des sommes importantes, donc il doit venir vérifier ce qu’on fait de cet argent. Si ce sont nos militants qui doivent approuver le programme d’activités, on ne voit pas pourquoi l’État viendrait remettre cela en cause. Selon les textes actuels, seuls les militants peuvent approuver ou rejeter la gestion financière des bureaux.
Propos recueillis par Flora Sanou