Lors de son grand entretien avec une journaliste de la télévision nationale et un autre de Savane médias, diffusé le vendredi 3 février 2023, le chef de l’Etat burkinabè a réfuté l’idée d’un musellement de la presse nationale. Il a ajouté que le gouvernement n’a pas l’intention de retirer aux médias leur liberté d’expression ni de presse mais qu’il s’agit d’une des phases des opérations de lutte contre le terrorisme. Suite à cette sortie médiatique du capitaine-président, Radars Infos Burkina a voulu savoir l’appréciation qu’en fait les acteurs du secteur de la presse. A cet effet, l’une de ses reporters a réalisé un entretien avec Geoffroy Vaha, journaliste, directeur des rédactions de 3TV et de Wat Fm.
Radarsburkina.net : Que pensez-vous de la réponse du président Traoré sur la question du traitement de l’information par la presse, précisément en cette période de crise sécuritaire ?
Geoffroy Vaha : En la matière, je me baserai sur le constat le plus partagé : c’est que nous avons au Burkina une presse professionnelle et responsable. Et cette qualité dans le traitement est transversale aux différentes typologies d’actualités qui sont abordées, celle sécuritaire y compris. Le président aborde le journalisme sous la spécificité du reporter de guerre : celui qui a pour rôle de fournir au public des informations complètes et précises sur un conflit, donc logiquement qui se retrouve sur des zones sensibles. L’opportunité sera donnée de toucher du doigt certaines réalités et de les traduire au mieux ; je crois que c’est cela, l’idée. Cela est salutaire mais, pour l’instant, n’exclut pas que les autorités soient plus accessibles sur certaines questions qui préoccupent le citoyen et sur lesquelles les journalistes ne demandent qu’à les interroger.
Radarsburkina.net : Peut-on parler de liberté de presse au Burkina aujourd’hui, même si le président a soutenu que le gouvernement n’a pas l’intention de retirer la liberté de presse ?
Geoffroy Vaha : La liberté, quelle qu’elle soit, n’est jamais un acquis. C’est une lutte de tout temps. Il faut reconnaître que le contexte aujourd’hui pour le journaliste est devenu plus difficile, tant certains sont allergique à la critique, même quand elle est objective.
Je rappelle d’ailleurs le dernier éditorial des Organisations professionnelles des médias du Burkina Faso. Elles ont dit prendre « l’opinion nationale et internationale à témoin sur les graves menaces qui pèsent sur la presse au Burkina Faso et sur la nécessité de ne pas briser ce rempart si cher à la démocratie et à l’Etat de droit ». La préoccupation exprimée est assez claire pour qu’on puisse se faire une idée de la réponse à la question posée.
Radarsburkina.net : « Il faut que les gens prennent l’exemple de certains pays en guerre. La presse joue un rôle très important ; il faut avoir une technique de communication pour galvaniser le combattant parce qu’il risque sa vie pour la patrie, donc il n’y a pas de raison de parler pour le décourager », a affirmé le président Traoré. Est-ce à dire que les médias burkinabè communiquent pour décourager les combattants ?
Geoffroy Vaha : Nous sommes dans une guerre injuste imposée par des gens qui veulent faire disparaître l’Etat tel que nous le concevons. Les médias ont un rôle important à jouer et personne ne saurait trouver son compte dans la démoralisation des troupes. L’exemple de certains pays en guerre souvent évoqué pour interpeller les médias tient aussi pour l’autorité. Les points de presse du gouvernement ont disparu, les ministres se ferment aux médias, une distance se crée avec les espaces que leur offre les médias. Il y a des lucarnes qui leur sont offertes et qui sont désertées. Ça commence par là : accepter d’occuper ces espaces, expliciter sa dynamique, rassurer, galvaniser. Il faut aussi le dire. La critique objective doit avoir sa place parce qu’elle est constructive pour peu que la bonne oreille soit tendue. Le laudateur n’est pas plus utile. Les défis sont nombreux et énormes.
Les médias, ici, assument assez bien leur responsabilité sociale, sont des artisans de la construction de la paix si chère, contribuent à la cohésion sociale et consolident les liens entre les communautés. Ils devraient plus être perçus comme des partenaires privilégiés dans cette lutte multidimensionnelle. Il y a plus tôt une méfiance qui ne se justifie pas. Il y a la réalité des activistes, qui ont été érigés en alternative de communication, diffusant des informations reçues de première main, ce qui s’est avéré plus dommageable. Mais ça, c’est un autre débat.
Radarsburkina.net : Quelle place occupent les médias privés sous cette transition, surtout qu’on se rappelle que lors de la visite du président à Bobo-Dioulasso le 3 janvier 2023, le journal « L’Express du Faso » titrait à sa Une : « presse privée déclarée persona non grata » ?
Geffroy Vaha : Les médias privés se battent comme ils peuvent, dans un genre de confinement de fait. La presse nationale est le canal logique de l’exécutif et cela est naturel. Le plus intrigant, et entre confrères nous en discutons, c’est l’impossibilité pour nous d’avoir un membre de l’exécutif sur nos plateaux. A cela s’ajoute le fait que les points de presses au SIG, qui permettaient des échanges directs avec l’autorité sur les questions de l’heure, ne se tiennent plus. Même s’agissant des Conseils des ministres, auxquels nous ne sommes plus conviés à leur terme, les contenus viennent souvent très tardivement. Ce sont des préoccupations qui ont été soumises et j’ai foi que les choses évolueront positivement sur ce plan.
Radarsburkina.net : Que pensez-vous de la communication du gouvernement ?
Geoffroy Vaha : C’est une communication dont le maître mot semble être la prudence. Cela est compréhensible dans notre contexte, mais il est des degrés d’ouverture qui sont possibles. Et la presse devrait surtout être vue comme un partenaire. Et cela est essentiel.
Propos recueillis par Flora Sanou