Le monde des médias au Burkina Faso a célébré le jeudi 20 octobre 2022 la Journée nationale de la liberté de la presse. Pour le Professeur Serge Théophile Balima, outre des défis comme ceux relatifs à l’éthique, à la déontologie et au professionnalisme, il y a celui même de la sécurité du métier de journaliste qui est de taille. Faisant un rappel historique, le professeur titulaire de sciences de l’information et de la communication admis à la retraite depuis près de 8 ans raconte dans les lignes qui suivent les péripéties de la lutte pour la liberté de la presse au Burkina Faso.
Radars Info Burkina : A partir de quelle date la problématique de la liberté de la presse a commencé à se poser au Burkina Faso ?
Pr Serge T. Balima : Moi, je dirai que c’est même depuis les indépendances. Aussitôt que nous avons accédé à la souveraineté internationale, la question de la liberté de la presse s’est posée, d’abord à travers l’action syndicale qui devait être relayée à travers les canaux existants à l’époque. Ces canaux étaient d’abord officiels, mais à côté il y avait beaucoup de publications imprimées qui circulaient comme des feuilles d’information et permettaient aux militants d’accéder à l’information. Souvent ces publications faisaient l’objet de répression de la part du pouvoir, qui ne comprenait pas comment on pouvait promouvoir des informations qui remettaient en cause la pertinence de ses décisions dans certains domaines. Et au fur et à mesure, la presse privée est apparue avec le journal L’Observateur en particulier, qui a su s’affirmer sur la scène médiatique en ouvrant ses colonnes aux intellectuels. C’est une initiative qu’il faut saluer parce qu’à cette époque-là, les intellectuels écrivaient beaucoup. L’Observateur n’avait certes pas beaucoup de journalistes, mais ses productions étaient bien fournies grâce aussi à des interventions extérieures. Cette pluralité des idées de cet organe de presse lui a donné une certaine crédibilité à tel point qu’après la IIIe République sous la révolution, il y a une fraction relativement sectaire qui s’en est prise à ce quotidien. Evidemment cela a suscité l’émoi dans le milieu des défenseurs de la liberté de presse. Donc ça fait déjà quelques années, on peut le dire, que les gens se battent pour cette liberté de la presse, avec les Norbert Zongo par la suite et vous savez ce qui lui est arrivé, il a donné sa vie pour la liberté de la presse et depuis cette date le Burkina a fait beaucoup d’acquis et les pouvoirs ont compris qu’il fallait carrément céder cet espace à toutes les femmes et à tous les hommes qui ont des idées et qui peuvent contribuer à l’amélioration de la gouvernance.
Radars Info Burkina : Après Norbert Zongo, est-ce qu’on a d’autres icônes du domaine qui se sont battues pour la liberté de la presse, même si elles n’y ont pas laissé la vie comme lui ?
Pr Serge T. Balima : Je pense qu’il faut penser à un certain Boniface Kaboré, qui avait créé un hebdomadaire à son temps et qui essayait de faire passer un certain nombre d’idées, notamment des idées syndicales. Je pense que nous pouvons citer également le doyen Edouard Ouédraogo qui s’est battu pour cela. Et en ce sens, il a été soutenu par l’un de ces frères, en l’occurrence Martial Ouédraogo, qui était un industriel à l’époque et qui a accepté d’investir dans le journal. Il faut rendre hommage à tous ces grands hommes. Il y a également Boureima Jérémie Sigué qui s’est battu pour la liberté de la presse, qui a beaucoup souffert à un moment donné sous la révolution et a dû même s’exiler quelques années, mais l’appel patriotique à son niveau a été tellement fort qu’il est revenu au Burkina et a créé son journal, Le Pays. La nouvelle Constitution d’alors, celle de la IVe République, a permis à ce journal de surtout développer un certain nombre d’idées démocratiques et tout cela, je crois, a contribué à assainir et à agrandir l’espace médiatique.
Radars Info Burkina : Comment appréciez-vous le niveau de la liberté de la presse aujourd’hui au Burkina?
Pr Serge T. Balima : Aujourd’hui, la liberté de la presse au Burkina est même plus qu’acceptable. Il faut être réaliste. Il ne faut pas rêver d’une liberté absolue, ça n’existe nulle part au monde parce que l’espace de liberté est aussi un espace de pouvoir ; c’est un espace d’enjeux de pouvoir, de lutte permanente, à tel point qu’il faut toujours rechercher des compromis existentiels, parce qu’il y a des proues de pouvoir qui s’exercent sur les médias, donc il y a comme une lutte d’influence. Cela fait qu’on a l’impression que parfois, on veut limiter la liberté des journalistes, mais en réalité c’est une lutte pour la conquête du pouvoir. Alors, il faut l’accepter comme telle mais, de manière générale, on peut dire qu’au Burkina Faso, nous avons quand même la liberté de la presse. Mais c’est un terrain qui n’est jamais définitivement acquis, il faut rester vigilant, éviter de commettre des fautes professionnelles graves qui pourraient donner raison aux détracteurs de la liberté de la presse. Donc ce qu’il y a à faire, c’est de demeurer exemplaire, de respecter la déontologie, l’éthique dans bien des cas, pour donner plus de dimension, plus de grandeur au métier et à tous ceux et toutes celles qui l’exercent.
Radars Info Burkina : Quels sont les défis auxquels les médias burkinabè font face au quotidien ?
Pr Serge T. Balima : Le premier défi, pour moi, reste la question de la formation. Ce n’est pas parce que certains n’ont pas fait des écoles de journalisme qu’ils ne sont pas formés en tant que tels. Mais la formation en journalisme, il y a deux voies. On peut se former directement par l’école, mais on peut se former aussi sur le tas, à partir du milieu professionnel, mais à condition d’avoir des encadreurs rigoureux qui vous apprennent non pas seulement à lire et à écrire, mais aussi qui vous apprennent à accéder à des types de méthodes, notamment le doute méthodique qui est l’un des piliers de la profession, et qui vous donnent un certain nombre d’enseignements qui permettent à ces gens qui ne sont pas passés par l’école d’avoir plus de rudiments pour exercer le métier. Et ceux qui sont passés aussi par l’école doivent se dire que la formation n’est jamais achevée en journalisme. Chaque année, le journaliste doit donc toujours se former, c’est-à-dire se cultiver, s’instruire davantage, accroître ses sources d’informations et savoir les respecter, savoir les exploiter et ça, c’est une formation permanente dans laquelle doit s’inscrire tout journaliste qui exerce la profession. Le deuxième défi qui relève plus de la vertu et de la morale, c’est l’humilité. Le journaliste doit être humble parce que c’est un serviteur qui n’a pour boussole que ses lecteurs, ses auditeurs et ses téléspectateurs. Seuls compte pour lui, en priorité, ces différents acteurs de la société que je viens de citer, et non pas les pouvoirs établis. Et ce comportement, qui relève plus de l’éthique, n’est pas toujours très bien assimilé par certains, qui préfèrent suivre dans bien des cas, les lignes de pouvoir, plutôt que de suivre les lignes de la société. Et je pense qu’il y a un choix à faire de la part du journaliste et c’est de toujours choisir l’intérêt du plus grand nombre, l’intérêt de la société, c’est cela qui doit toujours primer. Le troisième défi à relever, il est d’ordres social et économique, c’est-à-dire comment faire pour que le journaliste qui accède à ce métier puisse avoir une carrière accomplie jusqu’à sa retraite. Ça veut dire que le métier doit être suffisamment sécurisé, pour qu’il y ait un plan de carrière pour les journalistes, pour qu’ils puissent non seulement se nourrir et s’occuper convenablement de leurs familles à partir des revenus obtenus par l’exercice de ce métier, mais aussi connaître une certaine évolution dans l’échelle sociale à partir de l’exercice de ce métier. Et ça, c’est un défi majeur qui fait que tant qu’il n’est pas vraiment relevé, le journaliste s’expose toujours à de petites corruptions et aux per diem, à la « recherche du communiqué final » comme on dit ; or cela est de nature à dénaturer la profession de journaliste.
Interview réalisée par Etienne Lankoandé