Le Conseil des ministres du 27 mai 2020 a pris un ensemble de mesures afin de lever les doutes qui planaient sur l’aboutissement de l’année scolaire en cours. Il a été décidé, entre autres, la reprise des cours le 1er juin pour les élèves en classe d’examen, le passage d’office en classe supérieure des élèves de CP1, CE1 et CM1 ainsi que le choix de la plus forte moyenne des deux trimestres pour les autres élèves du primaire et du secondaire. Radars Info Burkina a tendu son micro à quelques acteurs du monde de l’éducation pour recueillir leur appréciation de ces différentes décisions.
Ouédraogo Bila, enseignante du primaire : « Il est vrai que cette décision a été prise dans le but de préserver la santé des élèves, mais à coup sûr cela va se répercuter sur leur niveau scolaire. D’abord le 3e trimestre n’a pas eu lieu ; en ce qui concerne le 2e, ce n’est pas sûr que tout le monde ait pu faire l’essentiel, même s’il y a eu composition. Et pour éviter que cela pèse sur les élèves, il faut nécessairement, à la reprise, reprendre le programme du 3e trimestre sous forme de révision ou, au besoin, faire les leçons sinon si on saute pieds joints dans le programme de la classe supérieure, il y aura beaucoup de difficultés. Les programmes dans les différentes classes ne sont pas les mêmes et les élèves n’ont pas tous la même capacité d’assimilation ; de ce fait, ce sont les plus dégourdis qui vont s’en sortir. Pour les élèves de la ville, on peut dire que la situation est moins dramatique parce qu’il y a la télévision ainsi que des activités qui leur permettent de se ressourcer. Mais dans les villages, une fois les cours terminés, les enfants mèneront d’autres activités, oublieront souvent même l’école et cela va faire baisser le niveau scolaire. Il faut que les parents essayent de combler plus ou moins le vide en attendant la reprise. Sinon les enseignants auront beau faire, il y aura toujours des lacunes. A la rentrée prochaine si rien n’est fait pour terminer les programmes des classes antérieures, cela risque de se ressentir sur les résultats des examens de fin d’année ».
Souleymane Badiel, Secrétaire général de la F-SYNTER : « D’entrée, il faut dire qu’il existe plusieurs scénarios pour achever l’année scolaire 2019-2020, au regard à la fois de la crise sociale qui caractérise notre pays mais également de la pandémie de COVID-19. Ces scénarios comportent aussi bien des avantages que des inconvénients. Mais il y en a qui comportent plus d’inconvénients que les autres. Et la solution choisie par le gouvernement entre dans le scénario que nous avons qualifié de scénario a minima et qui comporte plus d’inconvénients liés à la qualité du système éducatif, mais également à l’équité des apprenants. Donc la décision qui est prise n’est pas, selon nous, la meilleure. Nous dirons même que c’est la pire de toutes. Elle va programmer l’échec massif des élèves pour au plus dans une année et les autres années à venir. Toutes ces générations que l’on va faire passer en classe supérieure sans qu’elles aient effectivement consolidé les acquis des classes inférieures vont aller se bloquer quelque part et ce sera un investissement inutile et pour les parents et pour l’Etat. En outre, la fermeture a concerné aussi bien les écoles que les universités. Les décisions qui viennent d’être prises n’englobent pas l’ensemble des secteurs de l’éducation et de la recherche. Il y a aussi le contentieux des suspensions et coupures de salaires de certains personnels du monde de l’éducation qui reste sur la table. Objectivement, vous ne pouvez pas chercher les solutions dans le système de l’éducation aujourd’hui en occultant le contentieux qui existe et qui concerne la question de la motivation des personnels. Il y a des centaines de travailleurs dont les salaires ont été suspendus. Et pour quelques-uns d’entre eux on a même réglé la question, en laissant la grande majorité. Nous attendons toujours le ministre qui, depuis un mois, a promis de nous revenir ».
Jean Paul Sompougdou, parent d’élève : « J’apprécie positivement les décisions prises par le gouvernement pour sauver l’année scolaire même si elles comportent des limites et qu’il y a des questions qui sont aussi restées en suspens. Faire passer d’office les élèves du CP1, du CE1 et du CM1, peu importent leurs moyennes, je ne sais pas ce que cela va donner dans les classes supérieures. Et pour ceux des autres classes, choisir les meilleures moyennes je ne suis pas sûr que cela reflète le vrai niveau des enfants. Sans compter le programme du 3e trimestre n’a pas été abordé. Comment le ministère compte rattraper cela, d’autant plus que la prochaine rentrée scolaire est prévue pour le 1er octobre ? On aurait pu essayer de reprendre un peu plus tôt les cours afin d’évacuer les programmes non abordés. Et puis concernant la scolarité, qu’est-ce qui est prévu pour ceux qui ont déjà tout soldé et dont les enfants ne sont pas en classe d’examen ? Va-t-on reporter le reliquat sur l’année prochaine ou bien on n’en parle plus ? Il fallait que le ministère se prononce clairement sur cet aspect pour que les responsables d’établissement et les parents d’élèves soient situés ».
Clauvis Sankara, professeur des lycées et collèges : « A mon avis, ces mesures s'apparentent beaucoup plus à des mesures politiques, vu que cela ne répond à aucun objectif pédagogique. Comment évaluer le niveau réel d'un apprenant sur la base d'un trimestre et d'une seule note du deuxième trimestre comme c'est le cas pour beaucoup de lycées et collèges ? De plus, en ce qui concerne la reprise des élèves en classe d'examen le 1er juin, les décideurs oublient que beaucoup de lycées et collèges ont un contrat qui va jusqu'en fin mai avec les enseignants vacataires. Qui prendra donc en charge leurs salaires de juin et juillet quand on sait que la plupart des établissements peinent déjà à payer leurs vacataires jusqu'en fin mai ? Cette décision est donc, à mon avis, illusoire. Autre problème, les dispositifs de lave-mains. Quand on connaît les réalités de certaines zones, je pense que beaucoup d'APE ne pourront rien faire. Il faut dire qu'il y a beaucoup de limites à ces mesures : l'accessibilité de certaines zones à partir dès premières pluies, la disponibilité des élèves eux-mêmes car beaucoup iront plutôt aider les parents au champ d'où justement on tire leurs frais de scolarité, et surtout le préalable des syndicats, notamment le remboursement intégral des salaires coupés et suspendus ».
Propos recueillis par Armelle Ouédraogo