Maïmouna N'Diaye, actrice burkinabè d’origine sénégalaise, est à la fois comédienne de théâtre et de cinéma, auteure-réalisatrice de films documentaires. Passionnée de cinéma, elle a incarné Tou Hema, une avocate dans le film « L’œil du cyclone » du Burkinabè Sékou Traoré, ce qui lui a valu le prix de la meilleure interprétation féminine à la 24e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Dans cette interview accordée à Radars info Burkina, la talentueuse artiste nous livre sa perception du cinéma africain.
Radars Info Burkina : Où en êtes-vous dans votre carrière cinématographique et quels sont vos projets ?
Mouna Ndiaye : Des projets, il y en a toujours. Je suis en train d’écrire sur un projet de documentaire que je veux réaliser qui est un peu une suite d’un premier documentaire que j’ai fait, qui sera en panorama au FESPACO. Je suis également sur un projet d’écriture d’une autre pièce de théâtre, un autre monologue parce que j’en ai écrit et joué l’année dernière. Donc je suis, disons, dans l’écriture théâtrale et l’écriture cinématographique.
RIB : Vous avez reçu le prix de la meilleure interprétation féminine à la 24e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Qu’est-ce que ça fait de recevoir un tel prix ?
MN : C’est bien et ce n’est pas bien. Ce n’est bien pas seulement pour moi mais, pour toutes les femmes qui sont dans ce métier, parce que c’est une reconnaissance du métier d’acteur. Cela m’a beaucoup fait voyager, je suis allée dans des pays où j’ai eu aussi le même prix. C’est une très belle reconnaissance qui met la barre un peu haut, parce qu’après cela on se dit qu’on ne peut plus aller en dessous. C’est le côté positif. Mais le côté le moins bien, c’est que cela vous met dans une solitude, les gens n’osant plus vous appeler parce qu’ils se disent qu’elle a eu un prix, donc cela veut dire qu’on ne peut plus l’aborder. Il y a des gens aussi qui m’ont dit : « Maintenant que tu as reçu le prix tu vas t’expatrier comme tous les acteurs qui s’expatrient ». Je dis pas du tout. J’ai eu le prix ici, je continue à travailler ici. Donc il y a ce revers de la médaille qui fait que ça vous met dans une espèce de solitude et d’isolement, on ne vous appelle pas sur les plateaux, mais comme j’ai plusieurs cordes à mon arc, je n’attends pas qu’on m’appelle, je me crée moi-même des opportunités de travail.
RIB : Vous êtes sur l’affiche de la 26e édition du FESPACO qui est en même temps le cinquantenaire, que représente ce festival pour vous ?
MN : Le FESPACO représente beaucoup pour toute l’Afrique, pour le Burkina, pour le continent africain, et aussi pour la diaspora qui fait du cinéma. Ça parle de l’Afrique, ça fait connaître notre cinéma, on essaie d’être compétitif par rapport aux autres festivals et aux autres cinémas même si nous sommes encore très jeunes dans le cinéma. Le FESPACO, c’est un tremplin, une passerelle qui permet à de jeunes réalisateurs de montrer leur travail, d’échanger avec d’autres personnes, de rencontrer des producteurs, de rencontrer des réalisateurs. C’est une plateforme en fait aussi bien pour les acteurs que les producteurs. C’est une belle plateforme de rencontres.
RIB : Certains réalisateurs sénégalais ont fait part de leur déception de la grande absence du Sénégal dans la sélection officielle pour l’Etalon d’or. Que pensez-vous de cela ?
MN : Déjà il y a 54 pays en Afrique. Tous les pays ne sont pas égaux au niveau de leur production cinématographique. Tous les pays ne font, disons, pas dix films tous les deux ans. Souvent les gens attendent le FESPACO pour tourner les films. Il y a des pays qui font de grands films, tels que l’Afrique du Sud, les pays arabes, les pays de l’Afrique subsaharienne. Mais la compétition est rude. Sur 1000 films qui ont été proposés, il faut en sélectionner une quinzaine ; cette année il y a 20 films qui ont été sélectionnés. Il y a des gens qui n’attendent que le FESPACO pour faire des premières à l’étranger. Et je pense qu’il y a des critères de sélection. D’abord les films doivent faire moins de deux ans, pour avoir le FESPACO. En plus, il y a des critères de courte ou longue durée ; en outre je pense qu’il y a des critères de qualité. A mon avis, les films n’ont pas été choisis par rapport au pays mais par rapport à leur qualité et par rapport à d’autres films qui ont été en compétition. Peut-être qu’ils ne remplissaient pas tous les critères. Il y a deux ans, la sélection du FESPACO a été beaucoup critiquée en ce qui concerne la qualité. Cette année, je pense que le FESPACO a innové en ce sens qu’il y a eu une vingtaine d’experts étrangers, constitués de directeurs artistiques de festivals, de directeurs de festivals, de programmateurs qui ont fait partie du comité de sélection.
RIB : A l’occasion du cinquantenaire du FESPACO, le président du Faso a octroyé un fonds à hauteur de 1 milliard de FCFA. Si certains ont apprécié cela, d’autres par contre trouvent que c’est à la limite une insulte. Quel est votre avis sur la question ?
On n’a pas encore compris que le cinéma est une industrie qui rapporte. Il faut que nos Etats comprennent cela. Aujourd’hui quand on voit le cinéma de Nollywood, même si tout le monde n’est pas d’accord avec leur cinéma ils sont autonomes. Ils produisent leurs films, les Nigérians consomment leurs propres films. C’est vrai en Afrique les gens consomment le cinéma. Vous allez demander pourquoi ils ne consomment pas le cinéma africain ? Parce qu’il n’y a pas assez de productions. C’est un peu le serpent qui se mord la queue, il n’y a pas assez de productions donc ils vont aller consommer du cinéma d’ailleurs. Si on a plus de production, si on a un budget qui permet de réaliser des films, si nos Etats s’impliquent dans la production des films, le public va consommer, et on va pouvoir créer notre propre industrie. Je pense qu’il faut qu’on en arrive là. Je pense que le cinéma est une source énorme de revenus. Tourner un film, c’est faire travailler une équipe.
Propos recueillis par Edwige Sanou