Débutée le 29 juin 2018, la phase des interrogatoires des accusés dans le cadre du procès du putsch de septembre 2015 s’est achevée ce vendredi 25 janvier 2019 par l’interrogatoire complémentaire du sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo. Tout comme ses coaccusés qui se sont prêtés à ce deuxième exercice, le sergent-chef maintient ses premières déclarations à la barre, à savoir qu’il ne reconnaissait pas certains éléments contenus dans son procès-verbal. Qualifié d’élément incontrôlé et indiscipliné, il a tenu à remettre les pendules à l’heure en affirmant que jusqu’à la dissolution du Régiment de sécurité présidentiel (RSP), il n’a jamais refusé d’exécuter un ordre. De même, il affirme n’avoir jamais engagé de résistance contre le désarmement, contrairement à ce qu’ont affirmé certains officiers lors de leur grand déballage.
Pour son interrogatoire complémentaire, le sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo a été confronté au procès-verbal de son arrestation en terre ivoirienne où il avait trouvé refuge après le putsch de septembre 2015. De ce procès-verbal, le parquet note que contrairement aux dires de l’accusé à la barre, il fait partie des éléments qui ont fait irruption dans la salle du Conseil des ministres pour arrêter le président de la Transition Michel Kafando, son Premier ministre Yacouba Isaac Zida et deux autres de ses ministres. Mais l’accusé explique qu’au regard de la torture dont il a été victime avant son transfèrement au Burkina Faso, il a été obligé de dire ce que ses bourreaux voulaient entendre pour sauver sa peau. « On avait déjà dirigé les Ivoiriens sur ce qu’il devait faire. Dans le but d’arrêter les éléments dits incontrôlés, le Burkina Faso a donné des informations militaires secrètes à un pays voisin et ami. Ils ont dit que je suis un civil et que j’ai braqué une douane et que j’avais de par-devers moi beaucoup d’argent. Les Ivoiriens de leur position, ils avaient toutes les informations sur les chefs militaires qui commandaient au Burkina Faso. Ils avaient le film de ma carrière et même la photo de peloton d’une mission sécrète que j’ai effectué à Khartoum. J’ai été déposé nu dans la cellule de Blé Goudé qui est une cellule glaciale, les pieds et les mains attachés… Les autorités militaires ivoiriennes étaient conditionnées. Elles avaient un fil conducteur. Je ne pouvais que les suivre dans leur logique, sinon, elles pouvaient me buter et jeter dans un caniveau comme on le voit souvent dans ce pays. Donc je leur ai dit ce qu’elles voulaient entendre », a-t-il expliqué avant d’insister la main sur le cœur qu’il n’a pas participé à l’arrestation des autorités de la transition. « Au cours des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants, je n’ai fait que les missions d’observation, d’escorte et de maintien d’ordre », a-t-il martelé. Pour ce faire, il rejette les propos contenus dans les procès-verbaux d'Abidjan et les questions y afférentes.
Mais pour le parquet et la partie civile, cette version de l’inculpé est montée de toutes pièces, car il a conscience que le procès-verbal ivoirien l’accable davantage quant à son implication dans l’exécution du coup d’Etat. « Lorsqu’on se rend compte que certaines choses qu’on a eu à dire nous accablent, on dit maintenant que ces propos sont sortis sous la torture », note Me Kam. En outre, selon, Alioun Zanré et ses pairs, le sergent-chef ne sait pas comment se défendre, car il ne savait pas que ce procès-verbal allait lui être opposé eu égard au fait que lors de son premier passage, ce P-V n’a pas été évoqué. Toute chose qui indigne son conseil Me Badini, car pour lui, l’indifférence du parquet suite à la torture vécue par son client et à la divulgation des secrets militaires burkinabè est offusquante. « Le parquet ne veut pas évoluer dans ce dossier, sinon, je ne vois pas dans quel intérêt revenir sur le P-V ivoirien. C’est un acquis que durant les évènements, il était chauffeur et a fait une mission d’observation. C’est un acquis aussi qu’il n’a pas été de ceux qui ont arrêté les autorités de la Transition », estime l’homme à la robe noire.
Quoi qu’il en soit, la partie civile reste convaincue de la culpabilité du sergent-chef au regard de son mutisme face à ses questions et estime que ce qu’il appelle du maintien d’ordre, n’a été en réalité que l’usage de la force et de la violence sur les manifestants qui a occasionné des blessés et des morts. « Il choisit le mutisme, car il ne se rappelle même plus de ce qu’il a eu à dire lors de son premier passage. S’il a choisi la stratégie très malheureuse de la dénégation, cela le mettra en dehors de toute clémence possible », prévient Me Kam.
Mais pour l’accusé, on l’accuse de tous les péchés d’Israël parce qu’il a fui le pays après les évènements et qu’il a été parmi les derniers à être auditionnés. « Qu’il plaise à Me Kam de me croire ou pas, j’ai relaté les faits tels que je les ai vécus. Les absents ont toujours tort », a-t-il lancé au représentant des victimes.
Prenant la parole, Me Ouili qui défend les intérêts du commandant Korogho, dit ne pas vouloir resserrer les clous, mais est tout de même revenu sur le caractère incontrôlé de l’accusé à la barre dépeint par son client lors de son passage à la barre. « Le commandant Korogho a expliqué ici à la barre qu’il avait maille à partir avec certains éléments indisciplinés dont le sergent-chef Zerbo qui disposait du matériel du RSP sans qu’il ne puisse rien faire, même en étant son supérieur », a-t-il rappelé avant d’ajouter : « Ce n’est pas dans l’intention de vous accabler davantage, mais c’est dans la dynamique que tous comprennent comment on est arrivé à une telle situation ».
Comme si le sergent-chef attendait cela, il a saisi la balle au rebond afin de mettre les pendules à l’heure sur cette affaire d’éléments incontrôlés et de perturbation du désarmement dont il ferait partie. « Je ne disposais d’aucun moyen et je ne commandais aucun corps. Pour cette histoire de moyens, j’ai reçu des instructions du lieutenant Gorgo d’aller au garage prendre deux motos et de faire le plein tous les jours pour les patrouilles. Le chef de garage m’a dit de laisser les motos au garage, le carburant allait être utilisé en dehors de sa dotation ainsi qu’au piquet. J’étais obligé de déposer les motos à la caserne à mon pied-à-terre. Les patrouilles se faisaient de façon volontaire pour ne pas perturber le service courant. Mais je n’ai jamais roulé ces motos. Quand le commandant Korogho a pris fonction, il nous a convoqués et il nous a fait savoir que toutes les motos devaient être réintégrées et que les patrouilles allaient désormais s’organiser dans les compagnies. J’ai alors immédiatement réintégré les deux motos par le biais du lieutenant Dianda. Je n’ai jamais refusé d’exécuter un ordre. Concernant le désarmement, je ne me suis jamais opposé. Il a d’abord été question d’une inspection d’armes et non d’un désarmement. Lorsque les gens ont entendu qu’il y avait des convois de véhicules au camp pour faire sortir les armes, tous ont accouru pour comprendre. Il y avait donc beaucoup de gens ce jour-là. Le 24 septembre, j’avais déjà réintégré mon armement car le groupement de sécurité a été la première unité à remettre sa dotation. Le 25 septembre, j’allais m’opposer donc au désarmement avec quelle arme ? Mes muscles ou ma poitrine qui n’est pas en acier ? Certes, j’ai fui le pays et en militaire, on sait pourquoi, car des listes avaient été dressées pour tirer à vue sur des gens. Je me demande bien ce que j’ai pu faire à certains officiers pour qu’ils m’accablent ainsi », a-t-il expliqué avant d’insister : « je ne me suis opposé à aucun désarmement. Je n’avais aucun moyen en ma disposition ». Son avocat abonde dans le même sens en mettant en avant les qualités professionnelles de son client. « Mon client a toujours exécuté convenablement les missions qui lui étaient confiées. Même ses détracteurs ont reconnu à cette barre que c’est un excellent élément. De 2009 à 2015, il a reçu 12 lettres de félicitation, soit en moyenne deux lettres par an. L’année à laquelle il a intégré l’armée il était admis au concours de l’ENAREF. Il a rejoint l’armée par amour, sinon présentement il bouffait tranquillement ses fonds communs », a-t-il noté. Pour lui, dans ce dossier, on utilise les actes de bravoure et la loyauté de son client pour l’accabler.
Il faut noter que le sergent-chef Lahoko Mohamed était le premier à passer à la barre du juge Seidou Ouédraogo, le 29 juin 2018. Il est aussi celui-là avec qui la phase des interrogatoires s’est close ce vendredi 25 janvier 2019. Il est poursuivi pour atteinte à la sûreté de l’Etat, de meurtres, de coups et blessures volontaires et de dégradation aggravée de biens.
Le procès se poursuit le lundi 28 janvier 2019, avec cette fois l’ouverture de l’interrogatoire des témoins. C’est la liste de témoins du parquet qui sera la première à être auditionnée.
Candys Solange Pilabré/ Yaro