Nommé hier 21 janvier 2019 en remplacement de Paul Kaba Thiéba, son prédécesseur qui a passé trois ans à la tête du gouvernement, Joseph-Marie Christophe Dabiré est le tout nouvel occupant de la primature. Les avis divergent sur la nomination du chef de l’équipe gouvernementale, qui est attendu sur plusieurs chantiers. Radars Info Burkina est allé à la rencontre de quelques secrétaires généraux de syndicats nationaux pour recueillir leurs impressions sur cette actualité.
Souleymane Badiel, secrétaire général de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche (F-SYNTER) : « Nous avons l’habitude de dire que ce n’est pas véritablement le changement des hommes qui est l’élément important dans la situation actuelle de notre pays. En réalité notre pays, de notre point de vue, a une grande soif d’alternance politique. En changeant les hommes tout en gardant la même option politique, on ne peut pas, raisonnablement, s’attendre à des résultats miraculeux ou spectaculaires. En tant qu’acteur sur le front social, nous avons des dossiers importants qui sont en ce moment sur la table du gouvernement. Pour ce qui est de l’éducation, on peut citer la mise en application du protocole. Nous attendons que le nouveau gouvernement comprenne la nécessité et l’urgence d’avancer dans le respect de la mise en œuvre dudit protocole. De façon plus globale pour le monde du travail, vous savez que l’Etat a demandé à plusieurs reprises une trêve sociale et nous lui avons toujours répondu que la trêve sociale ne se décrétait pas : c’est en apportant des réponses aux préoccupations que posent les travailleurs que l’on ira vers la trêve sociale. Ce que nous attendons, c’est qu’effectivement le gouvernement se donne les moyens d’examiner les préoccupations qui lui sont exprimées. Elles se résument, entre autres, aux questions de vie chère, de remise en cause des libertés démocratiques et syndicales et aux questions d’impunité ainsi que des crimes économiques et de sang. »
Nongo Grégoire Traoré secrétaire général du Syndicat national des agents des impôts et des domaines (SNAID) : « Nous n’avons pas d’appréciation particulière. Pour nous, la nomination d’un Premier ministre, c’est une question de gouvernance ; pas une question de personne. Quelles que soient les personnes qui vont venir, si le système lui-même ne change pas, nous allons constater les mêmes erreurs. C’est la gouvernance même qui n’est pas bonne. D’abord, il y a la gestion peu vertueuse au niveau de l’Etat. Ensuite, il y a les questions de corruption, d’insécurité et de détérioration du climat social. En ce qui concerne les acquis des travailleurs, ce dont nous sommes certains est que, quel que soit le gouvernement qui viendra aux affaires, les travailleurs n’accepteront pas que leurs acquis soient remis en cause. »
Mohamed Sawadogo, secrétaire général Syndicat national des agents des finances (SYNAFI) : « Je n’ai pas d’appréciation en tant que telle. Mais comme on le dit dans le milieu syndical, ce n’est pas le changement d’hommes mais plutôt de système, qui importe. On attend véritablement du nouveau PM qu’il travaille à accéder aux revendications, d’autant plus que l’administration publique est une continuité. Il a plusieurs défis à relever tels que la question sécuritaire et le climat social. On lui souhaite bonne chance et qu’il puisse travailler à l’apaisement.»
Bassolma Bazié, Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) : « La nomination d’un Premier ministre de même que sa démission n’est pas un événement pour nous. Face à certaines situations, il faut savoir, en tant que responsable, aller au-delà de l’émotionnel. Donc pour nous, ce n’est pas la nomination de l’individu en elle-même qui devrait nous réjouir ou nous poser problème, d’autant plus que nous ne savons pas quels critères ont présidé à son choix ; sans compter que nous n’avons aucune connaissance du contenu de sa lettre de mission. Pour nous résumer, disons que Christophe Dabiré appartient à un système qui l’a envoyé en mission et, de ce point de vue, il a des objectifs par rapport à ce système. A notre niveau, nous devons jouer correctement notre rôle de contre-pouvoir, à savoir le contrôle politique, dénoncer, interpeller et puis résister si ça ne va pas. De toute façon, nous savons très bien que tant que l’on n’est pas au front dans ce pays, il est très rare qu’il y ait des acquis.
Nos attentes, concrètement, sont celles qui sont déjà sur la table du gouvernement. Je peux en citer quelques-unes car elles sont nombreuses. Premièrement, il y a la réintégration sans condition des policiers, des GSP et des militaires injustement radiés. On ne peut pas dire qu’on lutte contre l’insécurité et le terrorisme et poser des actes hautement répréhensibles et incompréhensibles donc condamnables. Deuxièmement, il y a la mise en œuvre des protocoles d’accord au niveau de l’Education, des travailleurs du ministère de l’Economie et des Finances ainsi que de la Santé. Troisièmement, il y a la réduction du train de vie de l’Etat. On ne peut pas nous dire qu’il n’y a pas d’argent et dans le même temps créer des institutions pléthoriques budgétivores et fantaisistes et même des postes de responsabilité inexplicables. Il y a également une exigence : il faut respecter le décret qui porte sur les émoluments des responsables du gouvernement, décret qui a été signé par Blaise Compaoré en décembre 2010. Pour terminer, il faudra forcément relire la loi 028, qui porte Code du travail dans notre pays et dont le contenu est hautement esclavagiste et juger l’ensemble des dossiers de crimes économiques et de sang.
Nous ne serons pas d’accord que quelqu’un qui a été nommé dans le gouvernement nous dise qu’il vient d’arriver. Il vient d’arriver, il était où ? Si c’est pour venir avec de tels types de réponses, qu’ils restent où ils sont. En outre, il faut savoir qu’une trêve sociale est une conséquence, comme la paix. Tous ceux qui revendiquent la paix, il faut qu’ils comprennent qu’elle découle d’une justice sociale. Je viens de vous citer un certain nombre de préoccupations qui sont sur la table du gouvernement. La paix, c’est comme si on vous disait que l’on va vous poignarder, mais de ne pas crier. Peut-on vous poignarder sans que vous criiez ou même sans que vous réagissiez ? Donc c’est une conséquence, la question de trêve sociale. Si tu veux la trêve sociale qui est une conséquence, il faut travailler très bien sur les causes. C’est cela qui va faire agir. »
Propos recueillis par Edwige Sanou