Abandonner stylos et craies pour sauver leur vie, c’est le choix auquel furent contraints bon nombre d’enseignants dans les zones à risque terroristes. Parce que menacés par ces « fous de Dieu » de répression, s’ils dispensaient les cours dans une langue autre que l’arabe, les instructeurs ont quitté sine die leurs lieux d’affectation, espérant un minimum de sécurité avant d’y revenir. Votre journal Radars Info Burkina a rencontré l’un d’entre eux, professeur des lycées et collèges à Pama. Avec lui, nous avons évoqué la situation qui prévalait dans cette commune ainsi que les conditions dans lesquelles ses collègues et lui seraient prêts à retourner dans les classes.
« La fermeture de notre établissement est intervenue suite à des menaces proférées contre un collègue du lycée provincial de Pama. Ce dernier est en effet tombé dans un barrage des djihadistes dans la forêt de Kabonga, à quelques kilomètres de Pama. Constatant à partir des informations de sa CNIB qu'il est professeur, ils lui ont posé certaines questions pour savoir s'il poursuivait les cours malgré leur interdiction à eux d'enseigner dans la zone, dans une langue autre que l'arabe. Suite à quoi, ils lui diront qu'ils le "tiennent à l'œil." Sentant nos vies en danger, nous avons alors décidé de ne pas retourner à nos postes sans un minimum de sécurité, déjà sur la route nous menant à notre poste (Pama) et également dans les lycées et collèges dans lesquels nous exerçons notre noble métier. C’était le sauve-qui-peut, vu que l’on a clairement menacé notre collègue. A un certain moment nous nous disions que si par malheur les terroristes venaient nous trouver sur place, les choses allaient mal se passer pour nous et dès lors chacun a préféré se mettre en sécurité.
La décision de fermer le lycée est venue de façon unanime. La preuve est que jusqu’à ce jour, personne n’y est retourné. Nul ne veut prendre le risque d’emprunter la voie. Tous les établissements, publics comme privés, sont fermés et cela, du pré scolaire au secondaire. Les enseignants qui étaient sur place, certains sont passés par Dapaon au Togo pour rentrer chez eux à Fada ou à Ouagadougou. Nous vivions constamment dans la peur. Chaque nuit nous entendions des tirs de sommation dans la zone de la gendarmerie. Apparemment il y avait des zones où il était interdit de passer après 18h, donc ceux qui s’y aventuraient, logiquement les forces de l’ordre cherchaient à les identifier d’où les tirs de sommation. Donc les populations entendaient les tirs pratiquement chaque nuit. Chaque fois qu’il y avait un bruit un peu particulier, une roue qui éclate, une petite fumée, enseignants comme élèves nous perdions quelques minutes de cours pour sortir voir ce qui se passait avant de continuer. C’était la peur au quotidien.
Nous avons quitté les lieux en catastrophe avec le peu que nous pouvions emporter. Ceux qui l’ont pu sont partis avec leurs motos, d’autres se sont fait acheminer leurs affaires après pour tenir quelque temps, vu que nous pensions que la situation allait vite revenir à la normale afin que retournions à nos postes. Les élèves venaient les premiers jours et ils constataient qu’il n y avait personne de l’administration ou du corps professoral. Constatant que c’était dans tous les établissements, je suppose que ceux qui ne sont pas de la ville ont rejoint leurs familles et ceux qui sont de Pama sont chez eux à la maison, en attendant éventuellement la réouverture des institutions scolaires.
J’occupe très difficilement mes journées parce que toute la routine est cassée. Chaque jour à 5h30 nous étions déjà sur pied, histoire de relire et parfaire les cours pour pouvoir être dynamiques dès 7h. N’ayant pas grand-chose à faire c’est assez difficile d’occuper les journées vu ce que je faisais.
Nous sommes prêts à regagner nos postes à condition qu’il y ait un minimum de sécurité pour travailler sans peur. C’est très difficile de travailler dans des conditions où l’inquiétude est permanente. Que peut faire un bâton de craie face à une kalachnikov ? Nous ne voulons pas nous aventurer dans un combat perdu d’avance. Notre plus grand souhait est que les autorités compétentes travaillent à instaurer la paix et la sécurité dans la zone, afin que les écoles puissent rapidement rouvrir leurs portes, pour que nous puissions reprendre les activités scolaires. Nous avons vraiment hâte que la situation se normalise afin de pouvoir reprendre. Ou à défaut, qu’on nous redéploie dans d’autres localités, ne serait-ce que dans les différents établissements des villes à proximité comme Fada, pour que nous continuions le travail pour lequel nous avons été engagés ».
Propos recueillis par Armelle Ouédraogo (Stagiaire)