A l’instar de certains syndicats et partis politiques, les élèves des lycées et collèges de la ville de Ouagadougou ont déserté les salles de classe pour rallier la Bourse du travail afin de répondre à l’appel de la Coalition nationale de lutte contre la vie chère, la corruption, la fraude, l'impunité et pour les libertés (CCVC) qui protestait contre l’augmentation du prix du carburant. Cette perturbation des cours à l’orée du mois de décembre inquiète les acteurs du système éducatif burkinabè, eu égard au fait que chaque année, à la même période, les élèves créent des situations susceptibles de mettre un frein aux activités scolaires avant les dates indiquées. Rencontré par Radars info Burkina, Issaka Kaboré, directeur des Etudes du lycée Wend Manegda de Ouaga 2000, sans langue de bois, a dépeint la situation de l’école burkinabè, enchaînée à des grèves parfois stériles.
Radars Infos Burkina : Quel est votre sentiment en tant qu’encadreur et responsable d’établissement face à cette énième perturbation des cours constatée ce jeudi 29 novembre 2018 à la faveur de la marche de protestation contre l’augmentation du prix du carburant ?
Kaboré Issaka : Mes sentiments sont assez mitigés car quelque part la situation nationale prête le flanc à cette réalité. Personne ne peut rester indifférent à l’augmentation du prix du carburant. Mais cela ne devrait pas non plus être pour les élèves une opportunité de sécher les cours. Car à cette allure, je crains que le mois de décembre soit pris en otage avec bientôt l’affaire Flavien Nébié et l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Ce qui pose problème au niveau de la progression dans les programmes de formation et cela influe sur le niveau des élèves. Même au niveau du corps professoral, les enseignants vacataires ne sont pas contents car ils sont liés aux établissements par un système de contrat où ne sont comptabilisées que les heures de cours. Donc lorsqu’il y a des grèves, ils n’ont pas de ressources financières. Ce qui met tout le monde dans l’embarras.
RIB : Est-il normal que des élèves prennent part à ce genre de manifestations ?
KI : Non. Au-delà de la grève de ce jour, la manière dont la lutte est menée dans le mois de décembre, c’est tout sauf une grève. Quand on parle de grève, il y a des règles à respecter, on ne fait pas grève pour casser. Ce que les élèves font, c’est à la limite du terrorisme : ils viennent cagoulés, avec des armes blanches, des pierres, des sifflets. C’est tout un traumatisme qu’ils créent dans la conscience collective. Et pour la relève qu’ils constituent, l’accent est plus mis sur la violence que sur des valeurs, des méthodes civilisées comme la force d’argumentation. On sent une certaine instrumentalisation, de la récupération derrière leurs actions. Parce que les bons élèves, ceux qui ont reçu une bonne éducation, sont toujours à l’école car ils savent qu’il y va de leur avenir. En effet, l’école est l’institution la plus sérieuse qui puisse façonner un homme. Et qu’on le veuille ou non, c’est ceux qui ont le savoir qui dirigent le monde. Nos autorités ont intérêt à sécuriser l’école pour que le savoir soit une réalité, et que l’école fasse de nouveau rêver les élèves. Il ne faut pas que l’école constitue pour les enfants une contrainte ou une corvée. On a l’impression que ce milieu est juste devenue un lieu de retrouvailles.
RIB : Quelle pourrait être, selon vous, la solution miracle pour résoudre les problèmes de l’école burkinabè et également lui permettre de retrouver ses lettres de noblesse ?
KI : Il faut que les premiers responsables s’impliquent réellement en posant des actions concrètes et sérieuses. L’Etat doit sécuriser l’école en procédant à des campagnes de sensibilisation et de conscientisation. Il peut être mis en place un cadre de concertation périodique où tous les acteurs du système éducatif peuvent se retrouver. Ce cadre impliquerait une représentation de la structure faîtière des élèves, notamment l’AESO, des différents syndicats des enseignants, des associations des parents d’élèves sans oublier les premiers responsables de l’éducation nationale. Ces différents représentants du système éducatif pourraient se retrouver chaque année pour réfléchir sur l’école burkinabè. Il faut arriver à dépolitiser l’école pour que les élèves ne fassent pas l’objet de manipulation ou de récupération politique. Pour cela, il faut communiquer, que tous les acteurs s’asseyent autour de la même table pour identifier les problèmes et y apporter les solutions appropriées. Il faut juste de la volonté politique pour permettre à l’école burkinabè de retrouver ses lettres de noblesse. Ainsi, l’école ferait de nouveau rêver et on ne se plaindrait plus ni du niveau des élèves ni de celui des enseignants. S’agissant de la cellule de base, il faut aussi que les parents s’impliquent dans l’éducation de leurs enfants et fassent un effort de suivi.
Propos recueillis par Candys Solange PILABRE/YARO et Armelle OUEDRAOGO