La question de la qualité du système éducatif est l’un des points clé de la plateforme revendicative de la Coordination nationale des syndicats de l’éducation (CNSE). Pour comprendre davantage l’état actuel de l’éducation, une équipe de Radars Info Burkina s’est entretenue avec Bélibi René Tiénin, inspecteur de l’enseignement primaire et formateur à l’Ecole nationale des enseignants du primaire (ENEP) de Loumbila.
Radars Info Burkina (RIB) : Récemment avec la grève de la CNSE, l’un des points de la plateforme revendicative est l’amélioration de la qualité de l’enseignement, qui serait en baisse. Vous êtes un inspecteur de l’enseignement, confirmez-vous cette situation ?
Bélibi René Tiénin (BRT) : La situation est réelle et il faut le dire clairement. Même si quelque part, une certaine polémique s’engage au niveau international, lorsqu’on parle de la baisse du niveau des élèves. Mais d’une génération à une autre, la question de la baisse est évoquée. Dans un contexte général, il faut reconnaitre que cette baisse du niveau existe réellement.
RIB : Comment se traduit cette baisse du niveau sur le terrain ?
BRT : On mesure la baisse du niveau à travers la qualité de l’expression des élèves. Parce qu’ils s’expriment de plus en plus mal et écrivent avec beaucoup de fautes. C’est une réalité que nous constatons. Que cela soit au niveau des élèves dans les établissements d’enseignement primaire, des formations professionnelles ou des universités, le constat demeure le même.
La baisse du niveau ne saurait se résumer à la simple expression écrite ou orale du français. Elle doit aussi prendre en compte les autres disciplines comme les mathématiques. Les gens arrivent-ils à résoudre facilement les problèmes mathématiques comme il se doit ? La réponse est non. Il y a une enquête qui a révélé cela.
RIB : Comment peut-on justifier cette situation ?
BRT : Les causes sont multidimensionnelles. Lorsqu’on parle de baisse, il faudra prendre le problème dans un contexte systémique. Cela veut dire qu’il faut prendre en compte tous ceux qui interviennent dans le contexte scolaire. On ne va pas jeter l'anathème sur les enseignants forcément. Il faudra voir ceux qui interviennent en amont. Est-ce qu’on a des enseignants de qualité formés ? Est-ce que les contenues des formations conviennent ? Est-ce que la langue utilisée est convenable ? Le plus souvent lorsqu’on évoque la baisse du niveau, la première des choses qui interpelle, c’est la qualité de l’expression. Est-ce que le français est notre langue ? Est ce qu’il ne faudra pas repenser cela ? Si l’enseignement était en mooré, est ce qu’on allait parler de cette baisse du niveau ? Il y a la médiation symbolique utilisée pour véhiculer le savoir qui pourrait être un facteur déterminant. Nous le disons, quand l’élève va à l’école primaire, il va d’abord avec sa langue maternelle et il doit faire un effort dans une phase préparatoire pour essayer d’apprendre une langue étrangère. C’est vraie que « comparaison n’est pas raison », mais le jeune français qui est de l’autre côté, n’a pas les mêmes problèmes de langue que l’enfant d’ici dans son cursus scolaire. C’est pourquoi, il faut repenser la question des langues nationales. Malheureusement, nous n’avons pas suffisamment de volonté affichée pour aller vers ces langues nationales. On est toujours hésitant lorsqu’il s’agit de prendre en compte la question des langues nationales. Il faut avoir de la volonté politique pour pouvoir aller de l’avant.
Un autre facteur, ce sont les parents d’élèves qu’il faut prendre en compte. Beaucoup de parents pensent que lorsqu’ils envoient leurs enfants à l’école, leur éducation n’est plus entre leurs mains. Alors qu’il faut quand même un suivi. C’est pourquoi je pense que si la langue maternelle était la langue de l’école, les parents d’élèves allaient mieux suivre. Maintenant que les parents d’élèves ne maîtrisent pas forcément la langue de l’école, tout ce qu’ils peuvent faire, c’est dire à l’élève de prendre son cahier et d’apprendre. Mais ils ne peuvent pas apporter un soutien comme il se doit.
Enfin, dans notre système éducatif, il faut reconnaitre que les enseignants qui forment les élèves ont des difficultés. Celui qui a des difficultés en expression écrite et orale, comment voulez-vous que cette personne parvienne à amener une autre à s’en sortir en expression écrite et orale ? Malheureusement, c’est un constat. Nous sommes dans un cercle vicieux. Il faut relativiser quand je dis les enseignants, sinon il y a des enseignants qui s’en sortent. Finalement, les enfants vont avoir des difficultés et ils vont poursuivre avec ces tares.
RIB : Certains pensent qu’il faut revoir le niveau de recrutement des enseignants. Quel est votre avis ?
BRT : C’est une position que je défends aussi. Parce qu’il y a des gens qui pensent qu’il faut revoir les tests de recrutements. Mais, je pense qu’il faut plutôt rehausser le niveau de recrutement. Il y a deux années de cela, nous sommes rentrés en février avec ceux qui ont été recrutés par les concours directs du gouvernement. Mais avant eux, nous avions recrutés des candidats en parallèle sur la base des tests. Nous les avons reçus avant ceux des concours directs. Nous avons constaté que les candidats recrutés en parallèle avaient un problème de niveau par rapport à ceux des concours directs.
Donc en réalité, si l’on veut résoudre le problème, il faut agir sur le niveau du recrutement. C’est vrai qu’il y a des gens qui arrivent jusqu’en terminal et qui ont toujours des problèmes d’expression. D’ailleurs, je me méfie quand on prend le français comme base pour mesurer le niveau des gens. Il existe des enseignants qui font bien les mathématiques. Je connais un professeur qui faisait très bien son cours de mathématique mais il avait un problème de français. Est-ce qu’on peut dire que ce professeur n’a pas le niveau ? Il faut prendre en compte d’autres facteurs. Si nous recrutons à partir du niveau bac, dès les premiers instants, on va toujours avoir des problèmes de niveau mais dans l’ensemble, on va constater un changement. Cela pourra impacter positivement sur le niveau des élèves de façon générale.
RIB : Si rien n’est fait, quelles peuvent en être les conséquences ?
BRT : C’est notre société qui prend un retard. L’éducation et le développement vont ensemble. Si votre éducation n’est pas de qualité, évidemment vous prenez du retard. J’ai l’expérience de la Corée du Sud où les enseignants sont recrutés sur la base d’un niveau supérieur. Ce sont les meilleurs qui vont dans l’enseignement en Corée du Sud. C’est hautement compétitif pour devenir enseignant. Les parents même forment leurs enfants dès le bas âge avec des répétiteurs et avec le rêve que ces enfants deviennent enseignants. La Corée du sud a en tête cette philosophie, que si nous avons des enseignants de qualité, ils vont former des enfants de qualités. Puisque les enseignants forment les gens sur tous les secteurs d’activité. Donc, que cela soit de la santé ou dans un autre domaine, on aura toujours un personnel de qualité. Parce qu’ils ont été bien formés.
C’est logique, mais si a contrario, nous ne mettons pas l’accent sur l’éducation, cela veut dire que nous n’allons pas former du personnel de qualité pour la santé et tous les autres domaines et c’est la société entière qui tirera les conséquences.
RIB : Que proposez-vous pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement au Burkina Faso ?
BRT : C’est le niveau du recrutement qu’il faut revoir et revaloriser la fonction enseignante. Je pense que la lutte qui est engagée entre le monde de l’éducation et le gouvernement, tout le monde sait que cette lutte est légitime. Si on revalorise ce corps, il n’y aura pas à dire que les gens vont s’amuser avec le métier d’enseignant. Chacun va se mettre au sérieux et toute la société sera regardante pour que tout le monde se mettent au sérieux afin qu’on aille vers une école de qualité. Chacun veut un bien pour son enfant. Donc on a besoin que les enseignants soient motivés pour produire de bons résultats.
Propos recueillis par Marou SAWADOGO