« On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années. On devient vieux, parce qu’on a déserté son idéal. Les années rident la peau ; renoncer à son idéal ride l’âme », disait Douglas Macarthur, général américain. Malgré l’adversité et les difficultés de la vie, le colonel Pierre Yacouba DIASSO, est toujours resté droit dans ses bottes, sans renoncer un instant à son idéal, ni le tronquer pour les facilités de la vie. Premier commandant africain de la base aérienne de Ouagadougou, il a su de par sa rigueur, son professionnalisme, son abnégation au travail et son esprit de collégialité, inscrire son nom en lettres d’or dans l’histoire des forces armées nationales burkinabè et même africaines. Les années passent, les hommes se remplacent, mais le nom du colonel DIASSO, malgré ses années d’exil est toujours sur les lèvres de ses anciens frères d’armes et de la jeune génération qui se construit à travers les valeurs qu’ils incarnent et qu’il a défendu toute sa vie. A soixante-dix-huit (78) ans, il continue de fasciner de par son œuvre au sein de l’armée de l’air burkinabè.
Etre pilote de l’armée de l’air, n’a jamais fait parti des métiers de rêve du jeune Pierre Yacouba DIASSO, qui en 1948, découvrait les salles de classes. Mais ne dit-on pas souvent que l’homme propose et Dieu dispose. Le destin s’est donc chargé de dessiner la vie de ce jeune intrépide. Au Cours Normal de Ouahigouya, alors qu’il était en quête de son Brevet d’études du premier cycle (BEPC) et délégué des élèves de sa classe, Pierre Yacouba DIASSO, s’est farouchement opposé aux propos racistes d’une de ses enseignantes qui avait traité un des élèves de la classe de 5e B de salle Nègre, eu égard du fait que l’élève en question avait ses vêtements sales. Une opposition qui lui a valu ainsi que d’autres camarades, le retrait de leurs noms au concours de l’école normale qui forme des instituteurs, après la classe de 3e.
Ce premier coup de massue de la vie n’a pour autant pas stopper la hargne de réussir de ce jeune voltaïque aux grandes capacités intellectuelles et humaines. « Elève brillant dans les matières scientifiques, il nous faisait des démonstrations dont lui seul avait le secret et l’astuce. Il a eu à démontrer que tous les triangles sont isocèles », se souvient encore Issaka SALIA, ami d’enfance du colonel DIASSO au Cours Normal. « Je suis cartésien. Je n’aime pas chercher trop longtemps avant de trouver la solution. Pourtant, les mathématiques consistaient pour moi à solutionner un problème en passant par le chemin le plus court, alors qu’en philosophie, il faut passer par le chemin le plus long. Donc, par prédisposition, j’aimais ce qui est concis. C’est ce que je retrouve dans les mathématiques d’où mon intérêt pour les matières scientifiques », explique le colonel.
Ce fut donc en tant que candidat libre que le jeune voltaïque et ses camarades exclus vont passer le concours des enseignants qu’ils réussissent brillamment et dont la formation devait se faire dans une prestigieuse école à Dakar au Sénégal. Mais, l’euphorie de cette réussite fut de courte durée, car telle une douche froide, ils reçurent la nouvelle selon laquelle qu’au regard du statut de pays indépendants que venaient d’acquérir bon nombre de pays africains, la formation n’allait plus se faire et leur point de chute était désormais le lycée Philippe Zinda KABORE.
Dès lors, ses camarades et lui renoncèrent à l’idée de tenir la craie ou le stylo, pour connaitre la vie de militaire. « Nous sommes donc aller voir le colonel CHEVRAUX, commandant du détachement des armées françaises à l’époque, pour lui dire que nous voulions être militaires. Il nous a donc envoyé continuer nos études à l’école militaire préparatoire de la Flèche en France. Pour ce faire on a du donc passer le permis de conduire militaire en 1958 en quinze jours. Après l’obtention du permis, on nous a fait comprendre que nos dossiers étaient arrivés en retard pour intégrer la flèche et que c’était à Saint Louis à l’EMPA, qu’on devait aller faire la classe de seconde (1960-1962) », explique-t-il.
Là-bas, le jeune voltaïque compris que son cœur et son âme était dans le corps et nulle part ailleurs. Il n’eut donc aucune difficulté à se démarquer de ses camarades ; cela par la rigueur et l’aisance qu’il faisait montre à chacun de ses devoirs, surtout dans les matières scientifiques dont il était follement tombé amoureux. Son passage à St Louis a donc été sanctionné par des prix, notamment les premiers prix en mathématiques et en sciences physiques.
En 1962, il regagna la Haute-Volta de son cœur avec son baccalauréat math dans les poches et avec une seule idée en tête : faire des études en vue d’être ingénieur. Mais arrivé, il apprend que tous ceux qui avaient eu le bac math devaient intégrer l’armée de l’air en classe préparatoire à l’école de l’air de Salon de Provence. En septembre 1962, il embarque donc pour Bordeaux, notamment pour le lycée Montaigne qui regorgeait des classes préparatoires pour toutes les grandes écoles de France. A l’issu de la classe préparatoire, il fut admis par concours à l’école de l’air de Salon.
En 1967, il revient en Haute-Volta avec son diplôme d’ingénieur-mécanicien dans les mains et pris la direction des moyens techniques de la Haute-Volta. « En son temps en Haute-Volta, l’armée de l’air était une petite escadrie qui avait un dackta, un broussard et un aéro-commando que les Etas-Unis avaient offerts au président Maurice YAMEOGO. Tout le personnel était constitué d’expatriés, car le pays en son temps ne disposait pas de cadres en la matière », se souvient-il.
Pour prendre la direction de l’armée de l’air, il fallait forcément être pilote. Pourtant monsieur DIASSO était technicien de par les formations qu’il avait reçues jusqu’ici. Il prit alors la décision de retourner à l’école, notamment à l’école supérieure d’aéronautique et de l’espace de Toulouse pour devenir pilote d’hélicoptère. Toutefois, il fut confronté à une difficulté qui l’empêchera de rejoindre cette prestigieuse école de Toulouse : il fallait l’accord du ministère de la coopération pour intégrer l’école, puisqu’il était étranger. Lequel accord n’a jamais été donné.
Lasse d’attendre cet accord qui n’arrivait jamais, il décida de faire autre chose. Dans cette même période, l’Italie a offert un hélicoptère à la Haute-Volta de type U300, mais le pays ne disposait pas de pilote d’hélicoptère. C’est alors que la vie le sourit véritablement, puisque le commandant de la base n’a pas trouvé d’inconvénients à ce que le jeune technicien DIASSO aille faire le pilotage, d’autant plus qu’il n’y avait pas d’autres candidats. Comme il aimait les défis, il bondi sur l’occasion, et est parti donc en stage à Adax en septembre 1973 jusqu’en 1974, date à laquelle, il obtient son diplôme de pilote de premier degré. Toutefois, comme il n’était pas commandant de bord, la France envoya un pilote auprès duquel le jeune pilote voltaïque a évolué un bon bout de temps.
En 1976, il retourne à l’école pour passer sa qualification de commandant de bord à Chambery dans une école de l’armée de l’air. A son retour, eu égard du fait que la Haute-Volta formait beaucoup de techniciens, il a été décidé que la base aérienne devait désormais être commandée par un national en lieu et place d’un expatrié. C’est ainsi qu’en 1977, Pierre Yacouba DIASSO fut porté à la tête de la base aérienne comme commandant, avec néanmoins comme collaborateurs quelques techniciens expatriés.
Rigoureux, très ouvert et s’appuyant sur la gestion participative, ce premier commandant africain de la base aérienne de Ouagadougou, a toujours impliqué tous ses proches collaborateurs dans la gestion de l’institution. Pour ce faire, il a d’abord institué des réunions périodiques afin de pouvoir se concerter avec eux sur tous les problèmes de la base aérienne. C’est sur cette base qui a pu bâtir sa gestion non seulement sur le renforcement de l’entraînement du personnel naviguant, celle du personnel technique afin de les spécialiser dans tous les domaines, mais aussi sur l’équipement de la base en moyens techniques, car les appareils à disposition n’étaient ni aptes, ni indiqués au parachute qui le tenait pourtant à cœur. « J’avais besoin d’une armée de l’air opérationnelle, capable de larguer des parachutistes, capable d’appuyer des troupes au sol. Et tout cela nécessitait des équipements adéquats », confie t-il.
Pour pallier au handicap de formation des agents, il a institué les évacuations sanitaires afin de permettre au personnel de se former et de se perfectionner en faisant le maximum de vols. Ce qui pour lui avait une double fonction : faciliter l’entrainement des hommes et permettre à l’armée de l’air d’être au service de la nation et de la population. Seul le carburant était alors facturé pour ces missions d’évacuations sanitaires. En outre, il s’est battu pour avoir en son temps cinq bourses pour le personnel dans une école civile.
L’institution des lignes militaires dans la base aérienne sont aussi à mettre à l’actif du colonel DIASSO. « On avait des corps dans toutes les régions du pays qui n’étaient liés par aucun service. Ces lignes disposaient que toutes les semaines, chaque corps allait recevoir un avion pour faire la rotation de toutes ces unités, de manière à ce que le commandement puisse envoyer des courriers, des services etc. Il y avait donc Ouahigouya, Dori, Dédougou et Bobo-Dioulasso. Ce qui permettait d’amener en même temps du personnel, des commissions et des civils en profitaient également », explique-t-il.
Avec d’autres frères d’armes, le colonel DIASSO a constitué le premier équipage présidentiel de la Haute-Volta sous le régime du président Sangoulé LAMIZANA. Lequel équipage entièrement composé de nationaux était admiré et respecté lors des voyages présidentiels dans la sous-région. Ce qui faisait la fierté du président. Pilote hors-pair, dans ses mains, les passagers se sentaient toujours en sécurité.
D’un caractère pluridisciplinaire, multidimensionnel et d’une capacité monstre à se mettre rapidement debout quand la vie le met à genoux et à rebondir devant la fatalité, le colonel DIASSO n’a jamais plié l’échine face à l’adversité de la vie. On ne peut pas parler de la vie de cet homme charismatique et énigmatique sans ouvrir cette page sombre de sa vie marquée par une interruption brutale de sa brillante carrière. En effet, dès les premières heures de la révolution menée par le capitaine Thomas SANKARA, il a vu la maison professionnelle qu’il avait construite avec rigueur, dévouement, courage et professionnalisme s’écrouler tel un château de sable, car accusé de traitre du peuple, il a été avec onze (11) de ses camarades de la base aérienne, exclu des forces armées burkinabè.
Contraint à l’exil, c’est au bord de la lagune Ebrié que le colonel verra l’armée de l’air burkinabè grandir et se forger une personnalité sans ses bons soins. Pourtant, il débordait d’énergie et d’idées afin de démarquer cette branche de l’armée burkinabè des paires de la sous-région. « La révolution a commis beaucoup d’erreurs. La première erreur, c’est d’avoir dépagnoter toute l’armée et tous les cadres civils. Ce fut d’ailleurs la plus grosse erreur. J’aurai plutôt vu ce système gardant tout le monde, essayant d’exploiter tout le monde pour le bien dans la mesure où la révolution disait être venue avec de bonnes intentions », regrette-t-il.
Ses qualités et son potentiel ont fait que sa reconversion fut facile. Très vite, il fut copté par un opérateur économique qui l’a fait directeur adjoint de son usine de construction de semi-remorques. Pendant sept ans, il a donc été directeur de production. Il a aussi la casquette d’exploitant agricole dans son village à Kossa dans la Sissili. Cette exploitation, loin d’être un fonds de commerce, a été mise en place afin d’assurer la consommation de sa famille nucléaire et élargie, ainsi que de ses proches.
« Soyons fermes, purs et fidèles ; au bout de nos peines, il y a la plus grande gloire du monde, celle des hommes qui n’ont pas cédé », disait Charles De Gaulle. Fervent croyant, le colonel DIASSO s’est toujours tourné vers la prière dans les bons moments et dans les épreuves. Il a construit une Eglise pour son village. Pour lui la famille est sacrée et il dit avoir toujours travaillé à ce que sa progéniture ait un avenir radieux : la réussite de ses enfants est en effet la preuve formelle qu’il aurait réussi en tant que père, homme et époux. « Ma famille est très importante pour moi, car j’ai tout sacrifié pour elle », dit-il avec fierté.
Son regret aujourd’hui, c’est de n’avoir pas pu poursuivre, voire terminer l’œuvre qu’il a commencé au sein des forces armées nationales. « Aujourd’hui, j’aurais bien voulu voir dans l’armée de l’air des chasseurs rapides pour des interventions rapides, même si je suis conscient que cela est très coûteux », confie-t-il.
Son souhait, est que la jeune génération arrive à asseoir une armée de l’air forte, disciplinée, empreinte de rigueur et de professionnalisme et avec beaucoup plus d’équipements et d’effectifs, pour relever les nombreux défis.
Il se décrit humblement comme un officier rigoureux, impartial et juste. Ce que d’ailleurs lui reconnaissent ses anciens compagnons et les jeunes officiers qui l’ont connu que par les traces indélébiles qu’il a laissées lors de son commandement. « Le colonel DIASSO fait partie de la poignée d’hommes et de femmes qui de par leur travail et leur rigueur ont marqué profondément l’institution qu’ils ont servi. Nous regrettons de ne l’avoir pas connu à pied d’œuvre », souligne le lieutenant Ibrahim DEGTOUMA, pilote à l’armée de l’air.
Candys Solange PILABRE/YARO