Le 29 octobre 2017, François COMPAORE, frère cadet du président Blaise COMPAORE était arrêté à l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle suite au mandat d’arrêt international émis par la justice burkinabè. il a donc été placé sous contrôle judiciaire à Paris où il vivait régulièrement depuis 2014 où le régime dirigé par son frère président a été obligé à la démission suite à une insurrection populaire. En juin, la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris avait demandé à la justice du Burkina Faso de lui fournir des éléments matériels et précis prouvant l’implication de François Compaoré. Le pays s'est plié à cette demande, ce qui a valu un avis favorable de l’avocat général français quant à cette demande d’extradition et à un nouveau report du délibéré, le temps pour les juges d’examiner les éléments complémentaires apportés par Ouagadougou, qui souhaite poursuivre François Compaoré pour « incitation à l'assassinat » du journaliste Norbert ZONGO et de ses compagnons le 13 décembre 1998. Quels sont les enjeux de ces preuves matérielles envoyées par la justice burkinabè ? Qu’implique cet avis favorable de l’avocat général français ? Wilfried ZOUNDI, juriste-consultant, enseignant de droit répond aux questions de Radars info Burkina.
Radars info Burkina : Très attendu par les Burkinabè, le délibéré des juges français sur la demande d’extradition de François COMPAORE, a été renvoyé au mois de décembre. Néanmoins, on apprend que le procureur est favorable à cette demande du Burkina Faso. Qu’est ce que cela signifie concrètement ?
Wilfried ZOUNDI : Il faut tout d’abord saluer cet avis favorable de l’avocat général, car c’est une victoire d’étape. Il convient de rappeler que c’est le 29 octobre 2017 que François COMPAORE a été arrêté en France. Après cela, le dossier a été renvoyé trois fois : d’abord le 13 décembre 2017 pour la première audience, ensuite le 07 mars 2018. On attendait alors le délibéré le 13 juin, lorsque l’avocat général avait émis des réserves en demandant des informations complémentaires qui prouvent ou qui présagent de l’implication probable de François COMPAORE dans l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert ZONGO en décembre 1998 et cela nous avait suscité beaucoup d’inquiétudes. En son temps, nous avons dénoncé le laxisme de l’Etat burkinabè qui ne traitait pas le dossier avec toute la diligence nécessaire. Aujourd’hui, il faut maintenant saluer le fait que l’Etat burkinabè ait joué sa partition en fournissant les informations complémentaires qui ont permis d’avoir une véritable victoire d’étape. C’est vrai que le juge du siège à la chambre de l’instruction est indépendant, mais si déjà, on a l’avis favorable du parquet général, je pense que c’est de bons augures pour la manifestation de la vérité dans ce dossier, vieux de vingt ans.
RIB : Alors, cela veut dire que le peuple burkinabè peut rester optimiste quant au fait que très bientôt le « petit président » viendra répondre devant la justice burkinabè concernant cette affaire ?
WZ : De mon point de vue, je pense que si la justice française est véritablement indépendante, et s’il n’y a pas eu d’influences extérieures qui ont perturbé la conviction du juge, le peuple burkinabè a maintenant le droit d’être optimiste. Cela, parce que nous avons des avocats qui se sont battus pour avoir cet avis favorable de l’avocat général. Ce qui est une victoire d’étape. Maintenant, nous avons deux parties, c'est-à-dire les avocats et le parquet général contre les juges du siège. On a vraiment écouté les arguments qui ont été développés par l’avocat de François COMPAORE et de mon point de vue, ils ne tiennent pas la route : premièrement, il ne voit qu’une politisation de l’affaire. Pourtant, ici c’est une question d’assassinat qui n’a rien à voir avec le politique. Deuxièmement, il évoque le fait que c’est à défaut d’avoir Blaise COMPAORE que l’on s’acharne sur François COMPAORE. Ce qui n’est pas vrai, car cela fait maintenant une vingtaine d’années que nous demandons la lumière sur cette affaire. Aussi, le rapport de la commission d’enquête indépendante en son temps avait-il été clair, en indexant clairement des personnes qui étaient des présumés coupables sérieux. Malheureusement, ce fut un non-lieu qui fut prononcé. Maintenant, comme la justice est indépendante, nous osons espérer que la lumière soit faite sur cette affaire, afin de véritablement apaiser les cœurs et renforcer la confiance du peuple burkinabè à l’égard de sa justice. Cela permettra également de battre en brèche tous ceux qui pensent que la France n’est pas une véritable patrie de démocratie, car elle soutiendrait des potentats locaux. En outre, cette décision viendra redonner la confiance de toutes les nations africaines vis-à-vis de l’ancienne mère patrie qu’est la France.
RIB : On sait que la justice burkinabè depuis des lustres a toujours été aussi critiquée pour sa lenteur. Alors, même si cette extradition a un jour lieu, est ce que le peuple burkinabè ne sera pas au finish déçu et désillusionner, eu égard de cette lenteur et du fait qu’à l’instar du dossier Norbert ZONGO, il y a d’autres dossiers de crimes de sang qui attendent d’être dépoussiérés ?
WZ : C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de dénonciations en ce qui concerne la lenteur de la procédure au Burkina Faso. Le plus souvent les lenteurs de justice sont suivies de dénis de justice. Mais, dans le cas d’espèce, on peut s’en réjouir, car nous sommes à l’étape de l’instruction après celle de la poursuite. Il y a des suspects sérieux qui ont été identifiés par le juge d’instruction. Maintenant, il nous reste une autre étape de la procédure qui est celle du jugement. Souvent, on observe cette lenteur, lorsqu’après la mise en œuvre de la poursuite, durant l’instruction, le juge prend tout son temps pour mener les enquêtes à charges et à décharges. C’est ce laps de temps qui exacerbe la lenteur de la justice. Mais Dieu merci, dans ce dossier, la phase d’instruction est presque terminée. Le juge d’instruction rendra probablement ses conclusions à travers une ordonnance de renvoi. C’est donc l’étape de jugement qui reste. On peut alors être optimiste quant à une diligence adéquate de ce dossier.
RIB : On sait que les juges français avaient demandé à l’Etat burkinabè des preuves matérielles de l’implication de François COMPAORE dans l’assassinat du journaliste Norbert ZONG avant de donner son délibéré. Après la transmission de ces preuves, le procureur est favorable à l’extradition. Est-ce qu’on peut avoir une idée sur ces preuves qui ont fait tourner le vent du côté du peuple burkinabè ?
WZ : Lors de la dernière audience, le 13 juin dernier, l’avocat général français était sceptique. C’est lui-même qui a demandé les preuves complémentaires. Aujourd’hui, s’il a donné un avis favorable, c’est que les preuves matérielles ont été envoyées. Des preuves matérielles, il peut y avoir les documents incriminants François COMPAORE, retrouvés à son domicile suite à l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, à savoir des conventions où il aurait réglé des horaires d’avocats des mis en cause dans l’affaire Norbert ZONGO, des rapports de filature sur Norbert ZONGO. Quelqu’un qui ne connaissait pas Norbert ZONGO ou qui n’avait pas de relation particulière avec lui, comment peut-il être intéressé à payer les avocats de ceux qui étaient poursuivis par la justice burkinabè dans cette affaire. Autre élément matériel dans ce dossier, est qu’il a été démontré que les armes qui ont été utilisées pour assassiner le journaliste émanaient de l’ex Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Ces éléments sont des preuves matérielles probables à mon point de vue que l’Etat burkinabè a du envoyer. Mais, cela reste mon entendement personnel, eu égard du fait que je n’ai pas une connaissance personnelle de l’affaire. Mais je pense que ces éléments font partie des preuves qui ont pu emporter la conviction de l’avocat général.
Propos recueillis par Candys Solange PILABRE/ YARO