Le code pénal issu de la loi N° 43/96 du 13 novembre de 1996 comportait des insuffisances. Cette situation entravait non seulement l’exercice des droits individuels et collectifs, mais aussi n’offrait pas de mécanisme adéquat pour la protection des droits la femme et de la jeune fille, car certaines violences et abus n’y étaient pas pris en compte comme le harcèlement sexuel, le viol conjugal, l’accusation pour fait de sorcellerie etc. Pour obvier cette situation, le 31 mai dernier à l’hémicycle, les députés ont adopté le nouveau code pénal. Mais quelles sont les avancées qu’offre cette nouvelle disposition ? Pour connaître davantage ce que prévoit désormais la loi en ce qui concerne les violences et les abus faites aux femmes et à la jeune fille, Radars Info Burkina a rencontré l’Association des femmes juristes du Burkina (AFJ-BF). Dans cette interview, madame Antoinette KANZIE, magistrate, trésorière de l’AFJ-BF, et par ailleurs substitut du procureur général près la cour d’appel de Ouagadougou, explique le nouveau code pénal dans son aspect répression des violences faites aux femmes et aux filles.
Radars Info Burkina : Le jeudi 31 mai 2018, le nouveau code pénal burkinabè a été adopté. Qu’est ce qui fait sa spécificité ?
Antoinette KANZIE : Il y a eu des avancées dans ce nouveau code pénal, mais il faut noter qu’on n’est pas parti du néant. Déjà le code pénal de 1996 réprimait certains comportements que l’on pouvait considérer comme étant des violences faites aux femmes et à la jeune fille. Par exemple, les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, le viol étaient inscrits dans l’ancien code. Mais à la lumière de son application, on s’est rendu compte qu’il contenait des insuffisances et ne permettait pas de prendre en compte l’évolution de la société, car beaucoup d'actes constituant de graves atteintes aux droits de la femme et de la fille n'étaient pas considérés comme des infractions et de fait échappaient à la répression. Cela ne permettait pas au Burkina Faso d’être en conformité vis-à-vis de ses engagements internationaux et régionaux. Nous avons ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), le protocole à la charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique, appelé protocole de Maputo. Il est donc tout à fait légitime que notre législation soit conforme à ces différents instruments que nous avons ratifiés. C’est dans ce sens, que bien avant l’adoption de ce nouveau code, en 2015, il y a eu l’adoption de la loi portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles. Ainsi, ce nouveau code a pris en compte cette loi, consacrant tout un chapitre aux atteintes à l’égard des femmes et des filles.
Par ailleurs ce nouveau code abolit la peine de mort et revoit à la hausse le quantum des peines. Ainsi le crime est puni d'une peine d'emprisonnement de plus de 10 ans à l''emprisonnement à vie, le délit est puni de la peine d'emprisonnement de trente jours au moins et n'excédant pas dix ans et/ou une amende supérieure à deux cent milles (200 000) francs CFA, les contraventions sont punies de peines d'amende n'excédant pas deux cent milles (200 000) francs CFA.
Antoinette KANZIE, magistrate, trésorière de l’AFJ-BF, et par ailleurs substitut du procureur général près la cour d’appel de Ouagadougou
RIB : Dites nous, en quoi, il est une avancée en ce qui concerne notamment la répression des violences faites aux femmes et à la jeune fille ?
AK : S'agissant des infractions telles que le viol, les mutilations génitales féminines (MGF), l'attentat à la pudeur qui étaient déjà prévues par l'ancien code, il faut souligner que le nouveau code a revue à la hausse les peines.
Au niveau des atteintes à l'égard des femmes et des filles, le nouveau code pénal a prévu des infractions telles que le rapt, l’esclavage sexuel et les sévices ou tortures sexuels définis comme étant le fait d'introduire une substance dans les organes génitaux d'une femme ou d'une fille, ou d'appliquer un objet ou une substance sur les seins d'une femme ou d'une fille en vue de lui infliger des brûlures, des lésions ou des souffrance.
Le nouveau code punit également d'une peine d'emprisonnement de un à 5 ans et d'une amende de 250.000F à 1.000.000 de FCA quiconque par discours, propos ou écrit publics, encourage les MGF.
En ce qui concerne l’avortement, comme dans l'ancien code, il est toujours puni et même que les peines d'amende ont été revues à la hausse. Toutefois, l'interruption volontaire de grossesse peut à tout moment être pratiquée si un médecin atteste que le maintien de la grossesse met en péril la santé de la femme ou qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naitre soit atteint d'une maladie ou d'une infirmité d'une particulière gravité. L'ancien code pénal exigeait l'avis d'au moins deux médecins dont un du public. Par ailleurs, en cas de viol ou d’inceste, si la matérialité de la détresse est établie par le ministère public (procureur), l'interruption volontaire de grossesse peut être pratiquée dans les quatorze premières semaines de la grossesse. Le délai prévu dans l’ancien code pénal, était les dix (10) premières semaines de la grossesse. Ce qui est une avancée.
Le nouveau code pénal punit les violences morales telles que l'atteinte aux droits de la santé sexuelle et de la santé de la reproduction de la femme ou de la jeune fille, la limitation de la jouissance de ces droits au moyen de la contrainte, du chantage, de la corruption ou de la manipulation notamment l'interdiction d’utiliser des méthodes contraceptives, la répudiation ou le mauvais traitement infligé à une femme qui accouche d’un enfant de sexe non désiré et aux femmes stériles. Idem pour l’interdiction sans motifs de rendre visite à ses parents ou de recevoir leurs visites et de pratiquer une activité génératrice de revenus, une activité associative et politique et le traitement inégalitaire des épouses dans le cadre de le cadre du mariage polygamique
Il prévoit de manière spécifique l'accusation de sorcellerie comme une infraction, ce qui n'existait pas dans l'ancien code. Quand on sait que dans la majorité des cas, ce sont les femmes âgées qui sont accusées de sorcellerie, c'est une avancée qui permettra de mieux les protéger.
En outre, il y a les crimes et délits contre la famille comme les mariages forcés. Dans ce nouveau code, la définition du mariage a connu une évolution, car le code des personnes et de la famille n’accorde d’effets juridiques qu’aux mariages célébrés devant l’officier de l'état civil. Ce qui faisait que lorsqu’on se trouvait devant un cas de mariage forcé, il était difficile de réprimer tant que ce mariage n’était pas un mariage civil. Les mariages religieux et coutumiers lorsqu’une des parties n’était pas consentante, ne pouvaient pas être poursuivis sous la qualification de mariage forcé. Ce qui n’est plus le cas avec le nouveau code pénal, car dans sa définition du mariage, il a intégré le mariage religieux et coutumier pour faciliter la répression du mariage forcé. Ce qui est une innovation majeure, car désormais quiconque impose un mariage à quelqu’un, qu’il soit civil, coutumier ou religieux, tombe sous le coup de l’infraction du mariage forcé. Aussi, l’abandon moral, matériel ou affectif en violation des obligations conjugales et des devoirs de secours et d’assistance est maintenant puni. En d’autres termes, sauf en cas de décision de justice, le fait de délaisser pour quelque motif que ce soit son conjoint ou sa conjointe est une infraction. Il prend en compte les femmes en état de grossesse, ménopausées, ou vulnérables dues à leur âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique apparente ou connue et mariées selon les règles coutumières ou religieuses, ou a une relation continue et stable avec son concubin. Cela implique que même les femmes qui ne sont pas mariées sur le plan civil, religieux ou coutumier et qui vivent avec un homme depuis des années et cela de manière continue ne doivent pas être abandonnées en cas de grossesse, de ménopause ou de vulnérabilité.
Ce nouveau code prend en compte aussi le harcèlement sexuel. Ce qui n’était pas le cas pour l’ancien code.
RIB : Et de ce qui est des abus et violences sexuels faites aux élèves mineurs, que prévoit le code pénal burkinabè ?
AK : Le nouveau code pénal prend en compte les violences et les abus sexuels commis sur les mineurs au niveau des élèves. Généralement, les victimes de ces actes en milieu scolaires sont les filles. Il punit donc d’un emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans et d’une amende de neuf cent mille (900 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA le fait pour le personnel de l’enseignement ou de tout système éducatif d’avoir une relation sexuelle avec un élève, apprenti ou stagiaire mineur de l’un ou de l’autre sexe. Lorsque le mineur tombe enceinte, la peine d’emprisonnement va de sept (07) à dix (10) ans et l’amende de trois millions (3 000 000) à six millions (6 000 000) de francs CFA. Par ailleurs, la juridiction peut prononcer l’interdiction d’exercer la profession d’enseignant ou de membre du système éducatif pour une période qui ne peut excéder cinq (05) ans. Ce qui est une innovation, car cela n’existait pas dans l’ancien code.
RIB : Qu’en est-il du viol commis par un mineur sur un autre mineur comme on a pu le voir récemment sur les réseaux sociaux où une lycéenne a été victime de viol collectif de la part de camarades ?
AK : En ce qui concerne le viol entre mineurs, la loi n’a pas prévu cela comme une infraction spécifique. Il fait cependant de la minorité de la victime, une circonstance qui aggrave le viol et donc les peines. Quand on prend le viol simple, il est puni d’une peine d’emprisonnement de sept (07) à dix (10) ans. Lorsque la victime est un mineur âgé de treize à quinze ans , la peine d'emprisonnement est de 11 a 21 ans et une amende d’un million (1 000 000) de francs CFA à trois millions (3 000 000) de francs CFA. Il en est de même lorsque le viol a été commis par plusieurs personnes, lorsque l’auteur est un ascendant de la victime, une personne ayant une autorité de droit ou de fait ou une autorité que lui confèrent ses fonctions... Si la victime est un mineur de moins de treize ans, le viol est puni d'une peine d'emprisonnement de 11 à 30 ans et d'une amende de trois millions (3 000 000) de francs CFA à dix millions (10 000 000) francs CFA.
S'agissant de l'âge de l'auteur, il faut d'abord préciser que la majorité pénale est fixée à 18 ans. Par ailleurs, il n'y a ni crime, ni délit ni contravention pour le mineur de moins de 13 ans. Lorsque ce dernier est auteur d’une infraction, il ne peut faire l'objet que de mesures éducatives et de sûreté telles que la remise à ses parents, le placement dans une institution spécialisée, le placement dans un établissement médical ou medico-éducatif. S'agissant du mineur de plus treize ans auteur d'une infraction, il peut être condamné à une de prison et d'amende. Toutefois, il bénéficie de l'excuse de minorité qui est une excuse atténuante qui assure la modération de la peine. Ainsi la peine qui lui sera appliquée ne sera pas aussi sévère que celle appliquée à un majeur. Néanmoins, cette excuse de minorité peut être écartée, pour les mineurs âgés de seize (16) ans et plus.
En plus, en vertu de la loi relative à l'enfant en conflit avec la loi, le mineur de plus de treize ans auteur d'une infraction, bénéficie de mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation.
RIB : On l’a vu à l’hémicycle, lors du vote de ce nouveau code pénal, la partie où l’adultère est réprimé a suscité des débats et même de l’indignation de la part de certains élus du peuple. Que dit maintenant le nouveau code pénal par rapport à l’adultère ?
AK : L’adultère était même puni par l’ancien code pénal, donc ce n’est pas une innovation. Il est le fait pour une personne mariée d’avoir des relations sexuelles avec une personne autre que son conjoint. Le nouveau code punit cela d’une amende de deux cent cinquante mille (250 000) à six cent mille (600 000) francs CFA. Dans l’ancien code pénal, il y avait même des peines d’emprisonnement, donc dans le nouveau code, la peine est un peu atténuée. Cela, car l’adultère relève du domaine personnel et dans notre société, les gens se disent qu’une femme qui part déposer plainte contre son époux, cela signifie d’office la fin du mariage. C’est pourquoi, aussi bien l'ancien code que dans le nouveau, il est précisé que c’est sur plainte de la victime que la procédure de répression est enclenchée et les poursuites prennent fin dès qu’elle retire sa plainte. Il faut noter que beaucoup s’attendaient même que cette disposition soit supprimée dans le nouveau code pénal.
Propos recueillis par Candys Solange PILABRE/ YARO