Des moustiques génétiquement modifiés ont été exportés de l'Imperial College London vers le Burkina Faso en novembre 2016. Ils sont actuellement conservés dans des locaux pour une utilisation en milieu confiné à Bobo-Dioulasso, et ils sont utilisés dans des expériences menées par un consortium de recherche appelé Target Malaria. Le projet a déjà reçu l'autorisation de l'Agence Nationale de Biosécurité (ANB), sous l’égide du Ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l'Innovation (MESRSI), d'importer des moustiques génétiquement modifiés au Burkina Faso à des fins d'expérimentation en utilisation en milieu confiné pour lutter contre le paludisme. Trois villages de la région des Hauts-Bassins sont concernés par cette expérimentation. Toutefois, l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés est actuellement un sujet de controverses, car les militants anti-OGM, notamment le Collectif citoyen pour l’agro-écologie (CCAE), contestent ses avantages et affirment qu'elle pourrait poser un risque pour la santé humaine.
L'objectif ultime de Target Malaria est de disséminer volontairement des moustiques issus du forçage génétique, dans le but de réduire la population de moustiques Anopheles gambiae, qui peuvent transmettre le parasite vecteur du paludisme. Les promoteurs du projet espèrent qu'une réduction de la population de moustiques contribuera à réduire le risque de transmission du paludisme et par conséquent d'incidence de la maladie.
Le « forçage génétique » est une manière d'essayer de disséminer des caractéristiques transgéniques au sein d'une population entière de plantes ou d'animaux (ici les moustiques). Dans ce projet, le but du forçage génétique est de disséminer un trait génétique qui influence le ratio sexuel de la population de moustiques en faveur des mâles, supprimant ainsi la population de moustiques.
Les porteurs du projet Target Malaria indiquent que le but ultime d'un lâcher de moustiques issus du forçage génétique se fera par étapes successives, à commencer par la première phase, dans laquelle ils proposent de relâcher 10 000 moustiques « mâles-stériles » génétiquement modifiés (qui ne seront pas issus du forçage génétique ) cette année, suivie d'une deuxième phase au cours de laquelle une deuxième souche (non génétiquement forcée) de moustiques génétiquement modifiés seront relâchés dans l'environnement. Il est prévu dans cette deuxième phase de favoriser la population de moustiques afin qu'elle devienne exclusivement masculine, de sorte que l'accouplement des moustiques génétiquement modifiés avec les femelles sauvages produise principalement une progéniture masculine. Au cours de la troisième et finale étape, le forçage génétique serait combiné soit à un sexage génétique pour ne produire que des mâles, soit à la stérilité des femelles, et des moustiques issus du forçage génétique seraient libérés.
Selon « African center for biodiversity » les moustiques génétiquement modifiés proposés pour une dissémination cette année sont des moustiques Anopheles gambiae, qui ont été génétiquement modifiés de telle sorte que les mâles seront rendus stériles, via une construction incorporant le gène de l'endonucléase homing (HEG) I-PpoI. Selon Target Malaria, ces moustiques génétiquement modifiés sont infertiles à 100% : ils déclarent que, jusqu'ici, tous les œufs pondus par les femelles s'étant accouplées avec des mâles génétiquement modifiés ont été stériles.
La proposition de relâcher 10 000 spécimens de ces moustiques mâles stériles génétiquement modifiés constitue un exercice d'entraînement pour les chercheurs. Des voies s’élèvent déjà contre cette expérimentation « sans garantie ». Ainsi, tout en étant pas contre l’innovation, le Collectif citoyen pour l’agro-écologie (CCAE), appelle à une science consciente. Pour ce faire, il exige que des études d’impacts environnementales et sanitaires soient effectuées afin de mesurer les risques de ces moustiques à caractère inconnu sur les populations et sur l’environnement.
Toutefois, Target Malaria indique que les moustiques ne seront pas utilisés à des fins de lutte antipaludique. En effet, des lâchers répétés et à grande échelle seraient requis pour permettre d'enrayer la population de souches sauvages, lesquels, même s’ils étaient couronnés de succès, s'avèreraient trop coûteux. Ce même rapport souligne également que, à Bobo-Dioulasso, les Anopheles arabiensis (et non pas les Anopheles gambiae) sont devenus le principal vecteur de transmission du paludisme. Par conséquent, les lâchers proposés n'ont pas pour intention d'apporter quel que bénéfice direct que ce soit à la population locale en matière de lutte antipaludique.
Aussi, selon « African center for biodiversity », il existe déjà des preuves scientifiques démontrant que cette technologie du forçage génétique a peu de chances de fonctionner, car la résistance au forçage génétique évoluera, empêchant quelques moustiques d'hériter des gènes modifiés. Ainsi, les avantages prônés par le projet dans son ensemble demeurent extrêmement spéculatifs. Aussi, selon cette structure, la technologie requise n'existe pas encore et il se peut que les tentatives en ce sens ne soient pas couronnées de succès.
De nombreuses mises en garde ont été émises, y compris par des scientifiques travaillant dans le secteur du forçage génétique. En effet, on ne s'attend pas à ce que la dissémination proposée de moustiques génétiquement modifiés affecte d'une quelconque manière le nombre de moustiques sauvages pouvant piquer et transmettre la maladie. Mais même si des disséminations de futures souches de moustiques génétiquement modifiés parvenaient à réduire le nombre de moustiques sauvages, on ne comprend pas entièrement l'impact potentiel d'une réduction de la population d'Anopheles gambiae sur le risque de paludisme.
Une des complications est que plusieurs espèces différentes d’Anophèles peuvent transmettre le paludisme. Les autres espèces que l'on retrouve au Burkina Faso incluent l'Anopheles arabiensis et l'Anopheles funestus. La réduction de seulement une espèce de moustique pourrait impliquer que les moustiques d'autres espèces transmettant le paludisme viennent s'y subsister, continuant ainsi à transmettre la maladie, laquelle deviendrait ainsi peut-être plus difficile à éradiquer. Or il est également possible que les moustiques Anopheles gambiae génétiquement modifiés puissent se reproduire avec ces autres espèces et peut-être leur transférer le trait transgénique.
Un autre problème touche à l'immunité humaine et le moment de l'infection, qui peut mener à un « effet de rebond ». En effet, dans les endroits où les populations sont très exposées au paludisme, la plupart des personnes sont infectées en bas- âge et parviennent à développer une certaine immunité avant l’âge adulte. Étant donné que les cas d'infections primaires du paludisme causent des symptômes plus graves chez les adultes que chez les enfants, cela signifie que sur le long terme, une réduction du nombre de moustiques pourrait en théorie se traduire par une augmentation des cas de paludisme chez les adultes, si moins de personnes sont infectées étant enfants. Si ceci devait se produire, l'effet à long terme de futurs lâchers de moustiques génétiquement modifiés pourrait être nocif à la population locale. On craint notamment que le forçage génétique devienne incontrôlable et qu’il ait des conséquences imprévues et les organismes de la société civile ont réclamé un moratoire sur cette technique.
Bien que Target Malaria indique qu'elle ait engagé le dialogue avec les populations locales, le CCAE ne cesse d’interpeller les autorités quant aux risques de cette « aventure vers l’inconnu ». La dernière action en date est la marche de protestation organisée le 02 juin dernier afin de tirer la sonnette d’alarme sur le danger que courent les populations et l’environnement. Aussi pour le CCAE, les autorités se doivent d’informer et d’expliquer davantage sur cette expérimentation, car il s’agit d’un problème de santé public. Ce qui répondrait au mieux aux exigences déontologiques et éthiques en la matière. Mais ce devoir ne saurait s’accomplir sans évaluation des risques ; laquelle doit être publiée et soumise à consultation publique.
Quoi qu’il en soit, c’est un secret de Polichinelle, les avantages de n'importe quelle expérimentation devraient surpasser les risques inhérents. Mais, cela ne semble pas être le cas avec cette expérimentation, puisque selon « African center for biodiversity », Target Malaria reconnaît que le lâcher proposé de moustiques génétiquement modifiés ne présente aucun bénéfice. En tout état de cause, la conduite d'expériences ne présentant pas de bénéfices potentiels peut être considérée comme un gaspillage de temps et d'argent, et est contraire à l’éthique.