Il y a 7 ans, le peuple burkinabè a décidé de prendre son destin en main. Après 27 ans de règne sans partage, Blaise Compaoré, qui voulait modifier la Constitution de son pays afin de se maintenir au pouvoir, est chassé. C’était le 31 octobre 2014. À la faveur de l’insurrection populaire qui a balayé le régime Compaoré, de nombreux changements sont intervenus dans le pays. A l’occasion de l’an VII de l’insurrection, Radars Info Burkina s'est entretenu avec Xavier Belemgnegré, journaliste et rédacteur en chef de la Radio nationale, au sujet de cet épisode de l’histoire politique du Burkina.
La première leçon que l'on peut tirer de ces événements, selon Xavier Bélemgnegré, c'est l’indispensable limitation du nombre de mandats présidentiels, car c’est un excellent indicateur du niveau de démocratie d’un pays. Il affirme à ce propos : «L'une des conditions de processus démocratique, c'est l'alternance. Et l'alternance, c'est ne pas le changement d'idéologie ou de concept. (...) Mais un changement de personnes. Et donc l’alternance au pouvoir est un acquis important de cette insurrection populaire. Parce que je ne sais pas si un président va oser, en tout cas après deux mandats ici au Burkina Faso, au regard de ce que nous avons vécu et au regard aussi de la situation que nous vivons en Afrique de l'Ouest, continuer après son deuxième mandat». Pour le rédacteur en chef de la Radio nationale, la liberté d'expression que connaît le Burkina Faso actuellement est aussi le fruit de l'insurrection populaire de 2014. «Quand vous regardez un peu au niveau des médias publics, par exemple, il y a un espace de liberté maintenant. Les journalistes de ces médias ont acquis davantage de liberté dans le cadre de leur travail au quotidien. La Radio nationale était plus ou moins la voix du gouvernement. Mais depuis 2014, les choses ont évolué. Vous avez des émissions interactives où on critique le gouvernement. Donc c'est encore un bonus pour la démocratie», a-t-il déclaré. La liberté d'expression est également un acquis pour les Organisations de la société civile (OSC ), car celles-ci ont un espace pour exiger une certaine fermeté dans la gouvernance. Même la réorganisation de l'Autorité supérieure de contrôle d'Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) et la relecture de ses textes sont à mettre à l’actif de l’insurrection.
En outre, selon notre interlocuteur du jour, dans l'administration publique il y a eu un changement considérable, car actuellement l'administration burkinabè n'est plus aux ordres d’un certain nombre de personnes comme c’était le cas auparavant. Il y a par ailleurs un changement de mentalité des fonctionnaires et de la population de façon générale grâce à cette alternance. Ainsi, on assiste maintenant à des sessions de redevabilité des élus municipaux, notamment des maires, car les conseils municipaux ont l’obligation de rendre compte aux populations des actions qu’ils ont eu à mener. Un autre acquis de l'insurrection populaire, selon le journaliste, c'est l'accroissement de l’indépendance de la justice. Par exemple, le président du Faso n’est plus le président du conseil supérieur de la magistrature comme c’était le cas par le passé. «Je me dis que les juges ont cette indépendance à la fois morale et financière. En effet, avec l'insurrection les choses se sont beaucoup améliorées sur le plan de leur traitement salarial», a-t-il ajouté.
Cependant, que l'arbre ne cache pas la forêt. Certes il y a eu des acquis énormes à la faveur de l'insurrection populaire, mais il y a aussi des dérives. Pour Xavier Bélemgnegré, beaucoup ont mal compris le "plus rien ne sera comme avant". «Beaucoup de nos concitoyens se croient tout permis maintenant. Ainsi, les premiers moments de l’après-insurrection n'ont pas été faciles pour les autorités. Pendant la transition, il y avait des grèves tous azimuts dans l’administrations publique. Certains ont voulu qu'on augmente leurs salaires et d'autres cherchaient des avantages. Ça fait que cette liberté, de mon point de vue, les gens en ont abusé dans leurs revendications au point que cela s’apparentait même à du libertinage», a-t-il regretté. Selon lui, même l'insécurité que connaît le Burkina Faso actuellement est en partie liée à l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 : «Si le régime autoritaire était toujours là, les gens allaient avoir peur. Mais comme on a tué le mythe, les gens se croient tout permis». A son avis, c'est l'insurrection populaire qui a favorisé également l'incivisme, et la violence est allée à l'extrême.
Barthélemy Paul Tindano