Le procès Thomas Sankara reprend ce lundi 25 octobre 2021 après sa suspension le 11 octobre dernier. Sur ce sujet, Radars Info Burkina s'est entretenu avec Lianhoué Imhotep Bayala, membre du Comité international du mémorial Thomas Sankara et membre du cadre "2 Heures pour Kamita", pour en savoir davantage sur ses attentes vis-à-vis de ce procès. Ce panafricaniste salue le démarrage du procès et dit avoir confiance en la justice burkinabè quant à l'aboutissement du procès. Toutefois, il déplore que ledit procès ne soit pas retransmis en direct comme le souhaitent certaines OSC.
Radars Info Burkina : 34 ans après l'assassinat du père de la Révolution burkinabè, en tant que panafricaniste, quelles sont vos attentes vis-à-vis de ce procès historique?
34 après les événements, le procès a lieu. Pour nous c'est d'abord une grosse victoire de l'ensemble des acteurs aux niveaux national et international qui se sont mobilisés au lendemain de son assassinat pour dire que nous ne pouvons plus rester silencieux et inactifs face à des crimes de cette arrogance, à des crimes de cette gravité qui narguent la valeur de la justice. Je pense que c'est une victoire pour l'ensemble des acteurs, et de la famille biologique qui a résisté, qui a attendu pendant ces 34 ans. C'est aussi le signe que quand on vit on gagne. Le désespoir n'est pas révolutionnaire. Je dirai déjà que le fait déjà d'avoir le procès est une victoire.
Nos attentes, c'est formellement des attentes de justice. Que soient situées les responsabilités de ceux qui ont attenté à la vie de Thomas Sankara, qu'ils puissent en plus des généralités que nous savons sur les motifs de son assassinat, qui étaient son opposition formelle à l'impérialisme et ses valets locaux, que les raisons formelles de ceux qui ont commandité le crime, ceux qui ont exécuté le crime soient connues et que les acteurs qui justifient cette action là soient également connus afin que les responsabilités puissent être situées. Il y a assez d'eau qui a coulé pendant les 34 longues années. Dans l'imaginaire populaire demandez même à nouveau-né qui a tué Thomas Sankara, il dira Blaise Compaoré. C'est aussi l'occasion pour Blaise Compaoré, s'il n'est pas coupable dans ce crime, de pouvoir bénéficier d'une justice qui établit son honneur, même s'il n'en a plus. On n'imagine pas que cela soit possible au regard des coïncidences rapportées par des témoignages assez loquaces y compris lui-même son témoignage en novembre 1987 lorsqu'il faisait son premier discours en disant qu'il fallait le devancer.
Donc nos attentes, c'est que finalement on permette à Sankara d'avoir justice et aussi que nous puissions enfin célébrer ses funérailles afin qu'il rejoigne le panthéon des ancêtres, le panthéon des justes. Parce que jusque-là les funérailles de Sankara n'ont pas été célébrées et nous sommes en Afrique, cela ne concourt pas à soulager son âme, à soulager son esprit qui erre encore. Nous attendons tout simplement que des peines à la hauteur du crime, tel que prévu par le Code pénal, soient appliquées sans état d'âme à titre pédagogique à ceux qui l'ont fait pour dissuader les futurs criminels politiques, les futurs candidats à la kalach pour résoudre leur questions de diversité d'opinion ou adversité politique. Pour finalement dire que, pour faire valider son opinion on n'a pas besoin d'une grenade.
Radars Info Burkina : Avez-vous confiance en la justice burkinabè quant au bon aboutissement de ce procès ?
Oui je dirai maintenant que j'ai confiance en la justice burkinabè parce que c'est elle qui s'est autosaisie du dossier mais il faut quand même noter que c'est la pression populaire qui a rendu cela possible. On a connu une justice aux ordres pendant 27 ans. Donc ce n'est pas uniquement l'action d'une société civile forte qui a mis la pression, son action a été certes déterminante, mais c'est une action qui s'est conjuguée, qui s'est ajoutée à d'autres volontés. La volonté d'un État de ne pas s'opposer à l'instruction du dossier Thomas Sankara et la volonté d'une justice qui s'est saisie du dossier, qui a dit mais non on va le réévaluer. Sur la base de ces choses-là, je pense que la justice burkinabè a donné des marques de sa nouvelle crédibilité, nous espérons qu'elle pourra redorer le blason de cette justice tant décriée depuis des lustres. Je pense que le fait d'être parvenu à fixer une date, à entendre tous les témoins, à créer des instructions, parvenir à donner des dates et la prochaine qui est le 25 pour le jugement, ce sont des indices d'espoir. Personnellement j'ai confiance en cette institution et je pense que plus il y aura de mobilisation populaire, plus il y aura des encouragements proférés à leur adresse. Cette justice là au nom de son orgueil à dire le droit va se saisir de toutes ses ailes et de tous ses pouvoirs.
Radars Info Burkina : Sur le déroulement du procès, comment auriez-vous souhaité que cela se passe, et peut-être qui ne se passe pas ainsi?
Par rapport au déroulement du procès je pense que le cadre est un cadre public qui peut accueillir plus de monde (...). Je dirai aussi que l'un des crimes de mémoire qu'on est en train de commettre à travers ce procès -là, c'est le refus de mémoriser ça à travers la captation audiovisuelle. C'est assez dramatique, je pèse bien mes mots, que nous ayons une sous-estimation, une sous-évaluation de la mémoire collective, en ratant l'opportunité historique d'avoir toute une forme d’archivage de ce procès (...). Je pense que les Africains que nous sommes, nous avons notre histoire qui a été volée, et quand nous avons l'occasion de la reconstituer nous-mêmes, il faut bondir avec toutes les armes.(...) Le procès doit être filmé. Que ceux qui ont pris cette décision comprennent qu'au-delà des enjeux de préservation de secret de ce criminel, il y a encore un enjeu plus grand, c'est celui de préserver la mémoire d'un peuple entier, d'un continent uni et d'une humanité en phase de plus en plus avec les valeurs de dignité, les valeurs humaines, les valeurs de justice et les valeurs d'accès à l'information.
Radars Info Burkina : Merci beaucoup pour votre disponibilité.