En prélude aux élections couplées du 22 novembre 2020 et à la campagne électorale qui se tiendra à cet effet, Radars Info Burkina s’est entretenu avec les artistes-musiciens Bil Aka Kora, Donsharp De Batoro, Oscibi Johann et le journaliste culturel Marius Diessongo pour savoir quelle peut être la contribution des musiciens à des élections apaisées au Burkina Faso. Lisez plutôt.
Pour le journaliste Marius Diessongo, la contribution des artistes à des élections apaisées se situe au niveau de la création avec la sensibilisation. « Les artistes doivent s'approprier le contexte électoral pour appeler à la saine émulation, à la paix, à la responsabilité patriotique et à la citoyenneté vertueuse qui concourt au civisme de tous les fils et filles pour un Faso qui est un havre de quiétude. L’artiste doit être lui-même un modèle. Il doit respecter le choix des uns et des autres et prôner la tolérance, peu importe son bord », pense Donsharp De Batoro.
« Déjà, quelques artistes burkinabè ont repris le titre ‘’One Love’’ de Bob Marley, une façon pour eux de dire que nous sommes des frères dans un contexte d’insécurité et de crise humanitaire. Donc les artistes sont des griots modernes pour ceux qui font de la musique moderne et on a également nos griots dans certaines régions qui contribuent à la vie sociale dans leur communauté », a renchéri pour sa part Bil Aka Kora.
Quant à Oscibi Johann, il rappelle qu’historiquement au Burkina Faso, les artistes ont toujours contribué à la cohésion sociale. « Beaucoup d’artistes sont déjà en studio pour composer des titres, réaliser des albums qui vont inciter d’abord les citoyens, surtout les jeunes, à aller voter. Ensuite en tant que chanteurs, nous allons dire aux politiciens qu’une élection, c’est comme un jeu ; il ne faut donc pas être trop passionné. Dans toute élection, il y a un gagnant et un perdant. Et comme cela s’était fait en 2015, il serait bien que celui qui va perdre aille féliciter le vainqueur et que ce dernier respecte le perdant. Nous allons leur dire également d’éviter l’ethnicisme et le régionalisme dans les discours. Au niveau de la société civile, nous allons veiller à ce que notre tissu social ne soit pas mis à mal par des discours régionalistes et ethnicistes de politiciens », a-t-il indiqué.
Mais l’artiste peut-il prendre position en composant une chanson pour un parti ou un candidat à une élection ?
Selon Marius Diessongo, le militantisme des artistes n’est pas nouveau mais dans le contexte burkinabè, ces cas de figure sont rares. « Dans une démocratie, ça ne doit pas être un problème qu’un artiste soit militant d’un parti politique et compose une chanson comme contribution audit parti. Aux Etats-Unis, par exemple, le couple Beyoncé et Jay-Z a soutenu la seconde campagne présidentielle d’Obama. Donald Trump en a bénéficié également en 2016. En France, des artistes comme Faudel et Doc Gynéco ont apporté leur soutien à Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2017, et lors de son dernier mandat, Johnny Hallyday l’a soutenu. Au Mali, l’artiste Sidiki Diabaté a soutenu IBK. La loi n’interdit pas à un artiste d’être militant d’un parti politique. Donc quand on est artiste et militant dans un pari politique il n’y a pas de gêne à composer une chanson pour galvaniser, pour motiver. Mais naturellement, on ne doit pas y faire l’apologie de la violence en tenant des propos qui incitent à la haine », a-t-il développé.
Et le journaliste de poursuivre : « Si c’est le cas d’un artiste qui n’est pas militant comme l’Ivoirien Debordo Leekunfa qui a fait une chanson pour le président Roch Marc Christian Kaboré et également Djénéba Seck qui a fait une chanson pour le candidat Tahirou Barry, c’est spécifiquement du business. Ils n’ont aucun lien avec les partis. A ce niveau également dans ces messages, il faut savoir ce qu’on dit, atténuer les propos, ne pas être un promoteur de la haine ni de la violence ».
Ces trois artistes affirment qu’ils ne sont absolument pas disposés à composer une chanson pour un parti politique ou un candidat quelconque. « J’estime que la musique doit s’adresser à tout le monde. Chanter pour un parti, c’est plus ou moins frustrer certains fans et c’est même difficile pour moi de composer des chansons en l’honneur d’un individu ou d’un parti politique. D’ailleurs, je n’ai jamais presté au cours d’un meeting politique », a affirmé Bil Aka Kora, le roi du Djongo. Par contre, s’il s’agit de prester lors d’un meeting politique, Donshap de Batoro et Oscibi Johann disent être partants.
Faire les éloges d’un parti politique ou d’un candidat à une élection n’est pas sans risque pour l’artiste qui s’y aventure. « Pour le cas de Faudel et de Doc Gynéco en France, il y a eu par la suite des répercussions sur leur carrière. Au niveau de la banlieue, la jeunesse immigrée a pratiquement vomi ces artistes. Le groupe Toofan l’a aussi fait au Togo en appelant à soutenir le président Faure Gnassingbé. Beaucoup n’ont guère apprécié cela, car à leur avis ce groupe devait rester impartial. Tout artiste doit donc savoir que cette attitude partisane peut lui faire perdre des fans », a souligné le journaliste culturel.
« Si un musicien compose une chanson pour un parti politique, il doit savoir à quoi s’en tenir car en cas de dérives dudit parti, il peut payer les pots cassés », a prévenu Donsharp de Batoro.
Aly Tinto