Le Fonds monétaire international (FMI) a décidé d’alléger la dette de 25 pays africains, dont le Burkina Faso, afin de leur permettre de faire face à la pandémie de Covid-19. Cette diminution de leur dette aidera-t-elle vraiment ces Etats à faire efficacement face à la crise du Covid-19 ? Ne faudrait-il pas au préalable que ces pays parviennent à relever le défi de la gouvernance vertueuse ? Daouda Zouré, économiste, ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, nous donne des éléments de réponse dans les lignes qui suivent.
Radars Burkina : Le Fonds monétaire international a décidé d’alléger la dette de 25 pays africains dont le Burkina Faso. De quoi s’agit-il exactement ?
Daouda Zouré : Il s’agit d’une largesse que le FMI fait aux pays bénéficiaires. Cela doit permettre auxdits pays de couvrir le remboursement de leurs dettes vis-à-vis de cette institution pour une période de six mois. En plus, cet allégement permettra aux pays bénéficiaires de souffler et d’utiliser cet argent pour faire face à leurs besoins sanitaires. Certainement, la Banque mondiale et le FMI vont se réunir dans les jours à venir pour définir les modalités pratiques d’utilisation de cet argent. Les pays bénéficiaires de cette réduction devront, eux aussi, cibler les secteurs touchés par la pandémie pour y injecter l’argent reçu. Sachez qu’il n’y a pas d’allégement sans conditions. C’est comme de nouveaux programmes PPTE (Ndlr : Pays pauvres très endettés) qui s’annoncent. Il faut aussi relever qu’il y a des crédits au FMI auxquels tous les pays ont droit pour faire face aux catastrophes. Par cette démarche, le FMI envoie un signal fort aux partenaires multilatéraux et aux bilatéraux.
RB: Quelle est la portée de cet allégement de la dette consenti par le FMI ? Cela peut-il conduire à une annulation pure et simple de la dette ?
DZ: En faisant cet allégement, le FMI envoie un signal aux autres partenaires pour qu’ils lui emboîtent le pas. Pour ce qui est de l’annulation pure et simple de la dette, cela n’est pas possible puisqu’à côté de la dette multilatérale et bilatérale, il y a celle privée. On ne peut pas, par exemple, demander l’annulation de la dette dans le secteur privé.
RB : Avec la pandémie de coronavirus, est-ce que cet allégement est la solution qui permettra aux pays africains en général et au Burkina Faso en particulier de faire face à la crise du Covid-19 ?
DZ: On est dans le même scénario qui avait abouti aux PPTE. L’Afrique s’était endettée parce qu’il y avait de la liquidité sur le marché international, mais elle n’avait pas investi dans des secteurs productifs. L’économie est donc restée basée sur les matières premières. Avec la chute des cours des matières premières, on s’est retrouvé dans des déficits budgétaires chroniques. C’est le même scénario avec la crise du coronavirus. Il y a une récession qui s’annonce. Cela veut dire que les recettes vont baisser, avec des dépenses incompressibles qui vont augmenter du fait du coronavirus. L’allégement est un soulagement mais quand on est un Etat, on doit savoir prendre des mesures anticipatrices. La récession a d’ailleurs commencé au Burkina Faso en 2016. A cette époque, j’avais dit qu’il nous fallait un gouvernement de relance économique, car le pays était à plat. Il fallait donc à ce moment-là faire un audit de la situation et la présenter aux partenaires sociaux. Ainsi, aucun syndicat sérieux n’aurait fait de revendications maximalistes. Or actuellement, le constat est qu’avec les multiples revendications, on a un budget de consommation et non un budget d’investissement. Aucun technicien ne peut relever l’économie du Burkina, si ce n’est un « fasciste ».
RB: En un mot, au Burkina Faso, il faudrait relever le défi de la gestion saine des ressources ?
DZ: C’est bien cela. Actuellement le Burkina Faso fait en réalité partie des pays les plus corrompus au monde. La question de la bonne gouvernance est lettre morte ici. C’est un coup d’épée dans l’eau si la bonne gouvernance doit rester lettre morte alors qu’elle est essentielle. Et c’est cette situation qui nous met en retard. Un ministre ou un fonctionnaire qui est bénéficiaire d’une maison dans les cités 1200 logements ou de Somgandé et qui ne l’a toujours pas payée sur un prêt de 20 à 25 ans doit être purement et simplement mis en prison car c’est un voleur. Des mécanismes existent pour assainir la gestion publique, mais cela n’est pas possible tant que la volonté politique ne suit pas.
Propos rassemblés par Obissa