C’est un « comptoir » où tout se passe au mépris de la loi et de la tradition. Des exploitants traditionnels venus de toutes les contrées ont pris position dans ce village. Des champs sont détruits, des tombes susceptibles d’abriter des pépites sont profanées. Pour lui donner toute sa dimension de site d’orpaillage digne de ce nom, à l’image de presque tous les sites miniers artisanaux du pays, quinze professionnelles du plus vieux métier du monde ont débarqué dans ce petit village de Bounga. Radars Info Burkina y a fait un tour.
On les aperçoit tout au long de la voie qui relie Laba (Ndlr : un village situé vers Boromo) à Bounga. « Faites attention aux chercheurs d’or. Si vous ne les cognez pas, eux peuvent vous cogner», nous avertit une passante. En effet, sur cette piste qui traverse quelques villages avant d’atteindre Bounga, notre centre d’intérêt, en plus de bien circuler, le conducteur doit faire attention aux convois d’orpailleurs, pour qui quête de l’or ne rime pas avec patience.
Les habitants des villages traversés semblent avoir trouvé la solution pour éviter de se faire renverser : ils ont érigé des « d’os d’âne » (ralentisseurs) assez hauts pour forcer les usagers de la route à aller à une allure raisonnable.
Après une quarantaine de minutes de route, nous voilà à Bounga, un village qui vit au rythme des va-et-vient des orpailleurs, du brouhaha des broyeurs qui broient les pierres afin de passer à la loupe leur contenu. Des tas de sable soigneusement entassés attendent d’être examinés.
Au bout du village, un campement équipé de tentes de fortune en bâches noires se dresse. Le « comptoir », c’est ainsi qu’on l’appelle, est un campement mouvementé 24h/24. Il a été dressé il y a quelques mois et ne cesse de s’agrandir jour après jour. On y trouve des commerçants vendant des dabas, des pioches ainsi que du matériel chimique d’exploitation aurifère.
Au sommet de ce « comptoir », une colonne de broyeurs avec des produits chimiques sont installés. « C’est ici qu’on écrase jour et nuit les pierres et les roches pour en extraire l’or », nous explique un enfant tout poussiéreux derrière une machine.
Du haut de la dalle de sa voûte nubienne, Bétho Denis Nébié, enseignant à l’université Joseph Ki-Zerbo, regarde ce phonème nouveau gagner en ampleur dans son Bounga natal. Pour lui, l’orpaillage, même s’il apporte un souffle nouveau au village, fait plus de mal que de bien. Il a même perdu une partie de sa cour au profit des orpailleurs.
« Regardez comment le camp s’est agrandi en quelques mois ! Ces orpailleurs ne respectent aucune norme. Ils s’installent avec la complicité de certains notables à qui ils donnent de l’argent. Quand ils découvrent de l’or dans votre champ, ils viennent négocier avec vous. Mais si vous n’êtes pas d’accord, ils s’y introduisent la nuit à votre insu pour chercher de l’or. Plusieurs personnes ont vu détruire leurs champs par ces gens. Ils ont même tenté de profaner une tombe pour de l’or, sans compter la pollution de l’environnement dont ils sont responsables», nous explique l’universitaire. Et d’ajouter : « Ils piétinent tout. La drogue circule désormais. On découvre des sacrifices bizarres. Aux dernières nouvelles, quinze prostituées seraient arrivées dans le village. L’un des orpailleurs a même tenté de violer une vieille folle. »
Cet enseignant d’université craint qu’à la longue des filles et même des femmes du village n’imitent ces pratiques que réprouve la morale. Pour le moment, ces femmes et filles se contentent de vendre de l’eau aux orpailleurs pour le traitement de leurs produits. Selon certaines sources, des soupçons de prostitution planent déjà sur certaines femmes de la bourgade. A telle enseigne que le chef du village a dû interdire leur présence sur le camp aux heures indues. La menace n’épargne pas les garçons, qui pourraient être tentés de consommer des stupéfiants et même de succomber au grand banditisme.
Pour M. Nébié, la seule chose qui importe aux chasseurs d’or, c’est le métal jaune et ce, au mépris de tout. « Nous avons dans ce village un bosquet sacré où il est interdit de couper les arbres. Cette tradition avait toujours été respectée. Mais en l’espace de six mois, ce bosquet a été profané à quatre reprises. A chaque profanation, une réparation s’impose au contrevenant selon nos coutumes. Mais l’un des contrevenants a refusé sous prétexte que sa foi religieuse lui interdit d’autres formes de rituels. Les villageois étaient obligés d’assumer eux-mêmes les frais de réparation », nous confie-t-il.
Le Burkina Faso, depuis quelques années, peine à réglementer l’exploitation de sa ressource minière. En 2015, un Code minier a été adopté dans ce sens mais son application n’est pas encore une réalité. Une brèche qui ouvre la voie à toutes sortes d’abus préjudiciables aux habitants des zones concernées.
Péma Néya