A la faveur de l’insurrection d’octobre 2014, la justice burkinabè a obtenu officiellement son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique sous la transition consécutive à cette insurrection. Depuis lors, le président du Faso n’est plus le président du Conseil supérieur de la magistrature, tout comme le ministre de la Justice n’en est plus le vice-président. Cet état de fait est, en principe, synonyme de liberté des magistrats dans les décisions de justice qu’ils rendent.
En matière de démocratie, la séparation des pouvoirs est un des principes fondamentaux qui veut qu’entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire il n’y ait pas de devoir de subordination, cela pour un bon équilibre dans la gestion des affaires publiques. Selon le juriste Wilfried Zoundi, « en plus de son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, la justice doit être indépendante vis-à-vis du pouvoir économique et de la pression sociale ». Pour lui, il faut entendre par pression sociale, l’opinion publique et toutes les manifestations qui mettent d’une manière ou d’une autre la pression sur l’appareil judiciaire. Selon lui, au Burkina Faso, l’indépendance du pouvoir judiciaire est consacrée par l’article 129 de la Constitution, qui dispose clairement que le pouvoir judiciaire est indépendant. L’article 130 précise également que le juge du siège est inamovible, ce qui veut dire qu’il ne peut être affecté même à titre de promotion, sans son consentement, sauf si cela a été fait dans le cadre d’une sanction disciplinaire. Ce qui est une garantie pour lui afin qu’il puisse mener jusqu’au bout l’instruction de tous les dossiers en sa possession, a indiqué M. Zoundi.
Pour ce qui est de la spécificité du cas du Burkina Faso, en 2015 il y a eu un pacte pour le renouveau de la justice qui a posé des principes pour garantir l’indépendance du troisième pouvoir. Dans ce pacte, de fortes recommandations ont été faites à l’endroit du Conseil supérieur de la magistrature, qui est désormais dirigé par le premier président de la Cour de cassation et le vice-président qui est le premier président du Conseil d’Etat et non le président du Faso et son ministre de la Justice, comme c’était le cas précédemment.
Pour M. Dabiré, avocat, la justice burkinabè était bien indépendante avant cela, en tout cas si l’on s’en tient aux textes. Pour lui, c’est plutôt de l’intégrité et du caractère des magistrats qu’il est question. Les juges ont-ils vraiment du caractère pour être indépendants vis-à-vis du politique, de l’économique et de la pression sociale ?
Même si au sommet de l’appareil d’Etat il n’y a pas d’ingérence du politique en raison de cette indépendance consacrée par les textes, il reste que la tutelle administrative et celle financière posent toujours problème. Pour lui, ne serait-ce que par devoir de reconnaissance ou par peur de perdre un poste de responsabilité auquel il a été nommé où encore pour avoir une promotion donnée, le magistrat peut renoncer à son indépendance devant certains faits.
Alors que la même justice burkinabè est indépendante, on voit bien que le déroulement du procès du putsch manqué du 16 septembre 2015 est en deçà des attentes de l’opinion publique qui exerce une certaine forme de pression sur la justice militaire. A ce sujet, M. Dabiré pense que la justice militaire n’est pas si indépendante, car des affaires qui auraient dû être traitées de façon impersonnelle selon les textes en vigueur sont ramenées à des questions d’individus.
Pour Wilfried Zoundi, la pression sociale est due au délai raisonnable que devrait prendre le traitement de certains dossiers. Pour lui, il est vrai que toute procédure de justice a une durée, mais trop tirer sur celle-ci ne fait que provoquer la douleur de l’attente de l’opinion qui a ce droit de savoir ce qui s’est réellement passé au sujet du putsch manqué de 2015 et bien d’autres dossiers pendants.
Au regard de certains faits, d’aucuns se posent la question de savoir si le Burkina Faso n’a pas eu tort d’accorder aux magistrats leur indépendance. En effet, avec la mise en place du conseil de discipline au sein du Conseil supérieur de la magistrature, il y a eu 34 magistrats qui étaient l’objet de présomptions graves d’atteinte à l’éthique et à la déontologie du métier. Mais ce dossier, apparemment, est resté sans suite jusqu’à nos jours. Pire, certains des 34 auraient même refusé de déférer à la convocation du conseil de discipline.
En tout état de cause, si l’indépendance de la justice est fondamentale pour une bonne démocratie, il ne faudrait pas qu’elle soit un bunker de l’impunité pour la magistrature. Car nul n’est au-dessus de la loi, pas même ceux qui sont chargés de sa mise œuvre.
Saâhar-Iyaon Christian Somé Békuoné