Classée comme le 4e pouvoir, la presse est très sollicitée non seulement par les trois autres mais aussi par les autres acteurs qui animent la vie sociale. Ce pouvoir lui donne un grand rôle dans l’organisation de la prise de parole dans l’espace public. Dans les circonstances où elle est courtisée par toutes les composantes de la société, arrive-t-elle toujours à bien jouer son rôle au point de satisfaire tout le monde ?
Gregory Derville dans son ouvrage Le pouvoir des médias souligne la capacité de ces derniers à accentuer les disparités entre les groupes sociaux et culturels. En effet, pour lui les personnes plus favorisées sur le plan socioculturel ont tendance à être mieux équipées en technologies de communication, à mieux s’informer et sont plus attentives aux informations qu’elles reçoivent et donc sont plus critiques à l’égard des médias que le sont les membres des catégories défavorisées. Les Technologies de l’information et de la communication (TIC), en particulier Internet, semblent accentuer davantage le phénomène dans la mesure où les utilisateurs de ce médium ont un profil particulier : ils sont généralement plus jeunes, plutôt masculins et ont un capital culturel et scolaire élevé. Derville explique que les raisons de cette fracture sociale sont d’abord d’ordre économique. En effet, le matériel informatique et l’accès illimité à Internet représentent des frais élevés pour certains, notamment les personnes vivant en zones rurales. Toutefois, d’autres facteurs favorisent cette fracture numérique ; il s’agit des facteurs socioculturels. L’utilisation d’Internet et des nouvelles technologies requiert la maîtrise de certaines compétences en informatique, en rédaction et en écriture, mais surtout des compétences en termes de gestion et de traitement de l’information. Le flux continu d’informations diffusées sur Internet peut embrouiller les individus dans leur quête d’informations fiables et pertinentes et « provoquer l’inhibition du citoyen ou le mettre dans l’impossibilité de se décider ».
Dans ces circonstances, les médias classiques que sont la presse audiovisuelle et la celle écrite, qui sont à la portée d’une bonne partie de la population, devraient équilibrer le jeu en donnant de façon équitable la parole à toutes les composantes de la société. Il se trouve cependant que tel n’a pas toujours été le cas.
Pour le professeur Mahamadé Sawadogo, enseignant de philosophie politique, c’est la recherche d’une grande audience qui amène à interroger X ou Y. Les simples citoyens même s’ils ont le droit de s’exprimer dans l’espace public ne bénéficient pas de la prise de parole au même titre que les hommes politiques, les opérateurs économiques, les autorités coutumières et religieuses. Selon cet universitaire, plus la parole est donnée à ces leaders d’opinion, plus le medias est suivi et plus il a une part de publicité importante. Si tel est le cas, nous estimons que c’est pour la rentabilité des médias et pour leur survie, en un mot la socioéconomie de ceux-ci, que de telles options sont faites. Mais qu’en est-il de l’indépendance des journalistes face à ce phénomène de distribution de la parole quand ce sont les mieux nantis qui, nuit et jour, ont voix au chapitre dans les espaces publics ?
Pour Godefroy Bazié, journaliste, pour une vraie liberté de la presse, le journaliste devrait être indépendant sur le plan économique pour se mettre à l’abri des corrupteurs qui pourraient le tenter.
En définitive, la montée en puissance des médias de masse a influencé les processus de mobilisation collective. D’une part, les médias sont de plus en plus instrumentalisés par les groupes en lutte pour mobiliser les sympathisants, pour transmettre les informations et les mots d’ordre entre les militants et pour structurer leur organisation. D’autre part, ils sont utilisés comme ressource stratégique et comme vecteur de visibilité pour récolter des dons et inscrire les revendications à l’ordre du jour politique.
Cependant, les médias peuvent prendre part aux luttes sociales en choisissant de mettre en avant certains événements plutôt que d’autres et de ce fait, donner une part égale de parole à chacun pourrait mieux équilibrer la gestion de l’espace public.
Saâhar-Iyaon Christian Somé Békuoné