dimanche 24 novembre 2024

Semences génétiquement modifiées au Burkina : « Une souveraineté alimentaire repose sur l’usage de nos semences locales », Ali Tapsoba

parol uneCes dernières années, avec les progrès de la science les organismes génétiquement modifiés (OGM) ont connu un essor fulgurant. Au Burkina Faso, les semences génétiquement modifiées suscitent la polémique, car  elles font l’objet de débats houleux au sein des scientifiques. Si les défenseurs de cette pratique voient en cela la solution pour atteindre l’autosuffisance, les opposants déplorent cette pratique et revendiquent le bio.  Radars Info Burkina a tendu son micro au secrétaire général du Collectif citoyen pour l’agroécologie (CCAE), Ali Tapsoba, pour recueillir son avis sur la question.

Radars Info Burkina : Que peut-on entendre par semences génétiquement modifiées et comment se fait le processus de modification ?

Ali Tapsoba : Une semence génétiquement modifiée est une semence ayant subi une modification non naturelle de ses caractéristiques  génétiques initiales par ajout, suppression ou remplacement d’au moins un gène. Ce serait simplement un tricotage, un bricolage du vivant en français facile selon nous.

RIB : Quelles sont les semences les plus touchées par cette modification au Burkina ? Les céréales sont-elles concernées?

AT : Au Burkina Faso, nous avons connu pour l’instant la semence de coton qui a été génétiquement modifiée, mais qui n’est plus cultivée depuis son échec. Il y a actuellement le niébé Bt (haricot) qui est un OGM en recherche confinée actuellement et nous nous battons pour que ce haricot GM ne soit jamais cultivé en champ paysan. Il y a aussi les moustiques GM qui sont des semences animales en laboratoire à Bobo. Nous ne sommes pas au courant de céréales GM au Burkina Faso; donc pour l’instant disons qu’il n’y a  pas de céréales GM au Burkina Faso.

RIB : Quelles peuvent être les conséquences des semences  génétiquement modifiées au plan environnemental et aussi sanitaire ?

AT : Étant donné que la majorité des OGM sont des cultures tolérantes aux herbicides, elles entraînent par conséquent une utilisation accrue des pesticides, comme le rapportent des études menées aux États-Unis.

Il est établi que les pesticides sont liés à un large éventail de problèmes de santé graves, de pollution et de problèmes environnementaux. Ils contribuent à l’augmentation des anomalies congénitales, des fausses couches, avec un niveau de cancer deux à trois fois plus élevé que la normale. 

Aussi,  des études de laboratoire indépendants ont également montré que les cultures Bt résistantes  aux insectes induisaient une toxicité pour divers organismes non ciblés, notamment des insectes utiles, comme les abeilles, et bien d'autres. Chez les mammifères, les toxines bt ont provoqué des anomalies au niveau des reins, du cœur et du foie, des intestins et des testicules.

Il faut ajouter que la modification génétique est une technique intrinsèquement imprévisible et risquée qui peut avoir des effets inattendus. Elle repose sur une compréhension erronée et dépassée du fait que les gènes fonctionnent de manière isolée et peuvent donc être manipulés au sein d'un organisme ou transférés vers une autre espèce ayant des effets prévisibles, mais nous savons que tous les composants d'un organisme fonctionnent comme un tout intégré. La manipulation des gènes peut ainsi avoir des effets inattendus, tels que la modification de la composition d’une plante, de sorte que les niveaux de protéines ou d’autres molécules sont modifiés. Des études ont montré que les plantes génétiquement modifiées ont par exemple modifié les niveaux de composés potentiellement toxiques.

RIB : Certains disent que  les semences du coton OGM appauvrissent le Burkina Faso. Que pensez-vous de cette affirmation?

AT : Oui, le coton GM a appauvri certains producteurs. Non seulement les semences coûtaient très cher, mais en plus il fallait aussi traiter aux pesticides avec à la fin un rendement bas et une longueur de fibre réduite, donc un coton de basse qualité. Alors pas de marché sur le plan international.

RIB : Selon certains, la SOFITEX voudrait  revenir aux variétés génétiquement modifiées que la nation a éliminées en 2015. Quel est votre avis sur la question ?

Nous n’avons jamais entendu la SOFITEX dire qu’elle voulait revenir au coton Bt. Les milliards que l’interprofession du coton a perdus restent une expérience amère à digérer. En plus, le pool bancaire qui a injecté beaucoup d’argent pour sauver la filière ne va jamais accepter qu’on revienne à un coton Bt qui engendre la mévente. Nous pensons que c’est plutôt un groupuscule de producteurs soutenu par des lobbies OGM qui demande le retour au Bt. En réalité, c’est pour conditionner l’opinion à accepter le niébé Bt en gestation, sinon ce groupuscule sait que les producteurs ayant subi des pertes avec le coton Bt ne vont plus jamais produire ce coton.

parol 2RIB : Est-il réaliste, compte tenu de l’explosion démographique et de la rareté  des terres, d’atteindre l’autosuffisance alimentaire sans l’apport des OGM ?

AT : Oui. Vous savez, ce sont les exploitations familiales qui nourrissent les populations et non les cultures industrielles. 99% de toutes les cultures  n'ont que deux traits, à savoir  la tolérance aux herbicides ou la résistance aux insectes.

Aucun OGM commercialisé n'est conçu pour augmenter les rendements. Les gains de rendement des cultures céréalières de base en Europe presque totalement exempts d'OGM ont dépassé ceux des États-Unis au cours des dernières décennies, d'après les données de l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture (FAO) (Heinemann, 2013).

RIB : Est-ce que les changements climatiques ne sont pas une raison suffisante pour  adopter les OGM ?

AT : Absolument pas. Les semences s’adaptent naturellement aux changements climatiques. Qui était là depuis des millénaires pour assister à l’adaptabilité des variétés avec le climat? Certainement pas l’homme. La biodiversité regorge d’un potentiel de mécanisme intarissable pour survivre aux changements. C’est plutôt l’homme dans sa folie et sa volonté de coloniser la nature qui détruit les écosystèmes.

RIB : Quels peuvent être les avantages des semences génétiquement modifiées ?

AT : Aucun ! À ce jour, la culture des OGM ne présente aucun avantage. Les États-Unis ont des épidémies de mauvaises herbes résistantes au glyphosate qui rendent obsolète la tolérance au glyphosate. La solution des développeurs GM a été de rendre les cultures tolérantes à plusieurs pesticides et les mauvaises herbes développent déjà une résistance à plusieurs pesticides.

RIB : Quelle est votre solution alternative?

AT : Nous devons tout faire pour produire avec les semences paysannes. Une souveraineté alimentaire repose sur l’usage de nos semences locales et des pratiques endogènes de production, une production en phase avec nos réalités socioculturelles. Nos ancêtres nous ont légué des techniques de production, de conservation de nos semences. C’est la seule voie raisonnable pour garder notre indépendance alimentaire et culturelle.

Propos recueillis par Edwige Sanou

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