L’addiction est définie comme une envie répétée et irrépressible de consommer une substance qu’il sait nocive, en dépit de la motivation et des efforts de l’individu pour s'y soustraire. L’addiction regroupe aussi bien la toxicomanie, l’alcoolisme que la dépendance aux jeux. Au Burkina Faso, les addictions, surtout chez les adolescents et jeunes, sont un drame silencieux, eu égard au fait que les familles refusent souvent d’admettre la dépendance de leurs enfants. Comment alors procéder pour accompagner et prendre en charge un sujet addict aux substances afin qu’il s’en défasse ? C’est ce que votre journal a voulu savoir en tendant son micro au Professeur Kapouné Karfo, psychiatre et responsable d’un centre de désintoxication dans la ville de Ouagadougou.
Radars Info Burkina : Quand dit-on qu’une personne est toxicomane ou addicte à certaines substances ?
Kapouné Karfo : On dit qu’une personne est dépendante lorsqu’elle ne peut plus se passer de prendre un produit. Ce produit peut être une substance naturelle, synthétisée ou dans le cadre des jeux quand la personne ne peut se passer de jouer. Mais il faut d’autres conditions en plus ; par exemple, que l’individu fasse tout son possible pour se procurer la substance concernée et qu’il le fasse bien qu’il sache qu’elle lui est nuisible. Il ne peut plus s’en passer. Ce sont des gens qui ont choisi de se tuer à petit feu. En résumé, l’addict c’est quelqu’un qui a rencontré une substance qui lui a donné des avantages lors d’un traitement ou avec des amis, et il a vu les bénéfices qu’il pouvait en tirer. Il s’est mis à en re-consommer sans les circonstances et il se trouve qu’après il ne peut plus se débarrasser de ce produit et met tout en œuvre pour se le procurer. C’est ce qui explique souvent que des jeunes commettent le vol à l’arraché ou agressent leurs parents afin d’avoir l’argent pour se procurer ces substances.
RIB : Quelle est la tranche d’âge la plus touchée par la toxicomanie ?
KK : Dans notre file active, le plus jeune toxicomane a 13 ans et le plus vieux 56 ans. Mais la tranche d’âge de 13 à 30 ans est la plus active en matière de consommation de substances psychoactives (SPA). Et la drogue la plus consommée par les jeunes au Burkina reste le hachis ou cannabis.
RIB : Les garçons sont-ils plus sujets à la toxicomanie que les filles ?
KK : Pour être objectif, nous avons plus de toxicomanes de sexe masculin que de sexe féminin. Mais il faut noter que les femmes aussi sont addictes aux substances psychoactives. Comme il existe la féodalité sociale, cela fait que ces femmes ne s’expriment pas ou le font en cachette. Sinon le sexe féminin est de plus en plus recruté dans notre file active.
RIB : Est-ce qu’il existe des prédispositions familiales aux addictions ?
KK : Les études montrent que dans les familles par exemple où on a consommé de la cigarette, il y a plus de chances d’avoir des fumeurs. Il en est de même pour l’alcool. Et particulièrement pour l’alcool, il est question d’hérédité culturelle. Il y a au Burkina Faso des zones où la consommation d’alcool de mil est exagérée, il va sans dire que dans ces régions, on peut trouver des personnes qui sont addictes à l’alcool et que dans la famille il y a aussi des enfants qui sont addicts. Quand ça devient un fait de la vie quotidienne, facilement ça peut virer à l’addiction. Ce qui est important et qu’il faut noter, c’est que ce n’est pas génétique mais plutôt culturel.
RIB : Quelle est la conduite à tenir face à un enfant qui présente une addiction aux substances psychoactives ?
KK : La consommation de SPA est souvent méconnue par les parents et certains refusent de reconnaître l’addiction des enfants. C’est lorsque celui-ci va commencer à causer des dégâts à l’extérieur que l’addiction est révélée à la société. Très souvent, les parents ne sont pas au courant de l’addiction de leur enfant, mais il y a des facteurs qui alertent ; par exemple, la baisse du rendement scolaire. Ce qui conduit les parents à se tourner vers nous avec l’enfant qui est généralement un adolescent. Mais quand ils arrivent, la première chose à faire à notre niveau, c’est d’abord d’évaluer la consommation, de voir si l’enfant est addict, parce qu’on peut consommer sans être dépendant. Et le point sur lequel nous insistons, c’est si l’enfant veut être aidé. Sans la volonté, il ne peut y avoir de prise en charge de l’addiction. En outre, le traitement est un trépied : il faut traiter l’enfant, agir sur l’environnement et la substance. C’est pourquoi on dit que l’addiction, c’est la rencontre d’une substance et d’un individu dans un environnement. Donc si le patient est motivé, la prise en charge va aller très vite et nous aurons de très bons résultats. S’il n’y a pas de motivation, le traitement est voué à l’échec. J’avoue que nous avons du mal souvent à faire comprendre aux parents que cette condition est sine qua non.
L’autre tableau, c’est quand l’enfant présente des troubles psychiatriques. Notre devoir dans ce cas est de faire céder les symptômes psychiatriques. Au cours du traitement, nous faisons des entretiens appelés « entretiens motivationnels », pour le motiver davantage pour qu’il puisse prendre la décision d’entrer encore plus dans la cure de désintoxication.
RIB : Comment se fait la prise en charge ?
KK : Quand l’enfant est motivé et qu’il entre en clinique, il y a deux phases dans le traitement. Nous avons d’abord ce que nous appelons « sevrage », qui est une phase pendant laquelle le patient est séparé de la drogue. Le sevrage dure dix jours au cours desquels on va aider l’enfant à se séparer de la substance sans avoir les symptômes (maux de ventre, céphalées, diarrhée, vomissements) qu’il a, chaque fois qu’il est en manque. Cela se fait à partir de médicaments qui vont aider non seulement à réduire l’envie de consommer des substances mais aussi à réparer les dégâts déjà causés sur son organisme (problèmes pulmonaires, hépatiques). Après le sevrage, nous commençons la cure de désintoxication, qui comprend des entretiens psychologiques, des entretiens motivationnels, des exercices, que l’on fait fréquemment avec les patients pour leur montrer ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, comment se conduire, etc. La cure de désintoxication dure normalement six mois, mais au regard de nos réalités au Burkina, nous avons mis en place un protocole abrégé qui permet de ramener l’hospitalisation ferme à un mois avec la prise en charge adéquate et à l’issue de cela le patient est libéré. Après cela, le premier mois il doit revenir chaque semaine et quand il arrive, on fait un test de recherche des substances dans les urines et il fait un entretien avec un psychiatre ou un addictologue. Le deuxième mois, il revient deux fois nous voir et à partir du troisième mois il ne revient qu’une fois par mois jusqu’au sixième mois.
Il y a également la prise en charge en ambulatoire, mais qui donne très peu de résultats. Parce que le patient vient, nous l’écoutons et il repart chez lui dans son environnement. En réalité, il vient pour faire plaisir aux parents mais quand il sort, il consomme sa drogue.
RIB : Qu’en est-il du retour dans le milieu de vie ?
KK : Avant que l’enfant ne sorte, il faut préparer l’environnement. Nous notons généralement que ce sont les mères qui s’impliquent le plus dans le processus de désintoxication de leurs enfants, le papa souvent se retirant. Souvent, ce n’est pas parce que l’enfant ne veut pas, mais il ne peut pas. C’est pourquoi il faut de l’aide pour qu’il y ait une stabilisation de l’état de santé. Il faut mettre fin à la stigmatisation, tout le monde doit tout faire pour aider cet enfant à s’en sortir. Il y a également l’environnement dans le quartier et c’est souvent cet aspect qu’on ne peut pas maîtriser. Les grins de thé, les amis, les camarades d’école qui lui apportent la drogue et il y a le dealer.
RIB : Quel est votre dernier mot ?
KK : En tant que praticien, je trouve que très peu de choses sont faites pour lutter contre les addictions. Il y a surtout le manque de sensibilisation des familles et des enfants. Les structures de lutte contre la drogue sont beaucoup plus focalisées sur la répression et l’aspect prise en charge peine encore. Il vient d’être ouvert au CHU Yalgado une unité d’addictologie, mais la prise en charge est ambulatoire et les moyens manquent. Les traitements de substitution, par exemple, n’y figurent pas. Mon cri du cœur, c’est que l’Etat puisse encourager toute initiative en faveur de la prise en charge des addictions. L’Etat ne peut pas tout faire, mais il peut nous soutenir.
Propos recueillis par Armelle Ouédraogo