jeudi 21 novembre 2024

Procès du putsch de septembre 2015 : « La meilleure défense, c’est de véritablement demander pardon », le parquet militaire

proc uneLa diffusion des pièces à conviction par le parquet a pris fin à l’audience de ce vendredi 05 avril 2019. On se rappelle que mercredi dernier, avant que l’audience ne soit levée, le parquet avait fait diffuser une vidéo de plus d’une heure retraçant les horreurs et les violences des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants. Ce vendredi, la parole était du côté des différentes parties au procès et des accusés pour leurs observations. Si pour le parquet et la partie civile ces éléments audio et vidéos diffusés sont très illustratifs de la responsabilité du général Gilbert Diendéré et de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) dans les violences constatées dans les rues de la capitale dès l’arrestation des autorités de la Transition, la défense, elle, lorsqu’elle ne les rejette pas, estime qu’ils n’apportent rien à la manifestation de la vérité tant recherchée.

Des rues de la capitale où crépitent des balles, les cris de détresse des populations, à l’intérieur de certains médias qui diffusaient des informations, pas toujours au goût des putschistes, le film de plus d’une heure de temps passé par le parquet montre des militaires en tenue militaire spécifique à l’ancienne garde prétorienne burkinabè en train de traumatiser des populations, sorties les mains nues réclamer démocratie et liberté, après le coup d’arrêt mis à la Transition dans l’après-midi du 16 septembre 2015. « Les éléments du RSP étaient les seuls qui ont sillonné la ville de Ouagadougou et ont commis les violences et les exactions. La réalité, c’est ce que nous avons vu dans ces images qui ne montrent que les éléments du RSP », a martelé le ministère public avant d’ajouter : « On ne peut pas justifier une prise de pouvoir en ôtant des vies. Quand on se transpose dans la chair des victimes, c’est comme si on vous arrache la chair de votre cuisse sans anesthésie. De la 26e à la 34e minute, c’est de la violence extrême. Un civil à mains nues, même s’il vous lance des cailloux, en quoi vous allez répondre par des kalachnikovs ?».

Le général « caméléon »

En se basant sur l’interview accordée par la télévision internationale « France 24 » au président du Conseil national pour la démocratie (CND), le parquet militaire estime qu’au regard des déclarations qui y sont faites par le général Diendéré, il ne souffre aucun doute qu’il était le maître d’œuvre du coup d’Etat. « Dès le 16 septembre 2015, à l’occasion de cette interview, il (le général Diendéré) a qualifié leur action de coup d’Etat et a développé les griefs contre la Transition qui ont poussé à mener l’action. La logique du coup d’Etat n’est pas venue à partir du 17 septembre 2015. Dès le 16, c’était un coup d’Etat. Cette vidéo donne des éléments nécessaires qui attestent que contrairement aux déclarations faites par le général, l’attentat à la sûreté de l’Etat a été planifié, commandité et exécuté par lui », a-t-il conclu. Mais le général réfute cette thèse. « L’interview à France 24 n’a jamais eu lieu le 16 septembre 2015 et ne pouvait jamais se faire le 16. Elle a eu lieu plutôt le 17 après la proclamation du CND », a-t-il insisté.

On se rappelle qu’après le bombardement du camp Naaba Koom II le 29 septembre 2015, le président du CND avait fait son mea culpa en exprimant  ses regrets d’avoir fait un coup d’Etat aux journalistes de la radio « RFI ». En effet, il y déclarait, entre autres, que son plus grand tort était d’avoir fait ce coup d’Etat, car dans un Etat de droit, cela n’est pas acceptable. Pour Alioun Zanré et ses pairs, jusqu’à ce que l’ex-père spirituel du RSP passe à la barre, ils avaient foi en la sincérité de son mea culpa qui allait lui permettre d’assumer les responsabilités de son action devant les juges. « Dans la déclaration à RFI, le général avait fait son mea culpa. Nous avions alors présumé que vous (le tribunal) auriez la tâche facile, car il reconnaissait ses actes et son tort, mais devant la barre, il a changé de stratégie en niant l’évidence. L’interview de RFI contraste avec ce qui vous a été servi à la barre. Aucunement, dans son mea culpa, le général ne vous parle d’une quelconque hiérarchie militaire qui lui a dit d’assumer. Cette phrase (de l’interview), même si elle n’a pas été prononcée devant cette barre, elle résume tout. En délibérant, cette phrase doit servir de boussole, car sans pression ni contraintes, il a reconnu le tort qu’il a fait au peuple burkinabè en faisant le coup d’Etat », ont-ils fait observer avant d’ajouter : « La meilleure défense, c’est de véritablement demander pardon ».

Appelés à la barre pour être confrontés à leurs images, certains accusés, malgré cette interpellation du parquet, ont continué dans le déni. « Depuis que je suis militaire, je n’ai jamais rien fait à l’encontre de ma profession. Je suis militaire, j’exécute des ordres militaires. Je n’ai pas vu de vidéo où on me voit tirer une roquette. On ne doit pas s’en tenir sur de simples propos  pour condamner des gens. À l’issue de ce procès, il faudra qu’on puisse montrer que c’est telle personne qui a tiré la roquette sur le studio Abazon ou telle personne qui a tiré sur telle victime », a déclaré le soldat Seydou Soulama, considéré par le parquet comme celui-là qui a tiré à la roquette sur le studio du rappeur Smockey, par ailleurs membre du « Balai citoyen ». Et le sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo de réagir : « Rien ne justifie la perte d'une vie humaine. Dans la vidéo, rien ne montre que moi, chef Zerbo, et mes éléments sommes les auteurs de la destruction du studio. Ce sont les interprétations du parquet qui nous les rattachent ». Pour le sergent-chef Ali Sanou, ce procès est une justice à double vitesse. « Il y a des gens qu’on a vus dans les vidéos en train de commettre des exactions qui ne sont pas ici. C’est nous qu'on présente aux yeux du peuple burkinabè comme étant mauvais, mais ce n’est pas le cas. Je vous demande de dire le droit, rien que le droit », a-t-il exhorté.

Quant au présumé cerveau du coup d’Etat, il estime que ce film de plus d’une heure est « du déjà-vu », car ce ne sont que la compilation et le montage des séquences diffusées par le parquet militaire aux audiences précédentes. Mais, il note qu’il ne voit pas en quoi ce film apporte davantage de preuves sur les évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants, car dans ce film, il dit constater que des images déjà passées ont été retirées et d’autres comme des scènes de l’insurrection d’octobre 2015 ont été ajoutées.

Un « ralentisseur » de plus pour faire traîner le procès, selon le parquet

Après que chaque partie a opiné sur les éléments vidéos, la parole a été donnée à Me Stéphane Ouédraogo, conseil du journaliste Adama Ouédraogo dit Damiss, qui a produit une pièce dans le but de mettre une fois de plus en cause les audio et les vidéos présentées par le parquet comme pièces à conviction accablant son client et d’autres accusés. proc 2Il s’agit d’une clé USB contenant une émission dans laquelle l’expert Younoussa Sanfo, en tant qu’invité, expliquait et démontrait toute la manipulation qu'on pouvait faire avec le numérique et un dossier PDF sur la question. Même si le parquet ne s’est pas opposé à la diffusion d’une telle pièce qui intervient après le passage de M. Sanfo à la barre en qualité d’expert et non de témoin, il estime tout de même que cette démarche de l’homme à la robe noire cache des subtilités qu’il peut qualifier de ralentisseurs du procès.

Après la diffusion de l’élément, Me Stéphane Ouédraogo est conforté dans la position de son client qui estime que l’audio qui l’incrimine est un faux, car étant un montage. Pour lui, au regard des explications et des démonstrations faites par l’expert Younoussa Sanfo lui-même dans l’émission, il est clair que les éléments issus des appareils numériques ne sont pas fiables, car ils peuvent être manipulés à volonté et à toutes les fins. « Un logiciel a la possibilité d’imiter la voix d’une personne et la marge d’erreur est moindre », a-t-il martelé avant de demander au tribunal le retrait pur et simple de tous les audio et vidéos apportés par le parquet, car pour lui, aucune expertise sur l’authenticité des pièces n’a été faite. Pour le parquet, ces déclarations de l’avocat montrent qu’il est à court d’arguments face à ce qui met à mal son client. « Nous comprenons la gêne de Me Ouédraogo. Quand on a un dossier béton, quand on ne peut pas s’attaquer au fond, on essaie tout simplement de discréditer la procédure », a-t-il répliqué.

Pour les avocats de la partie civile, leur confrère a mal posé le problème de droit en présentant cette pièce. Conséquence, selon eux, cette pièce au lieu de discréditer l’expert, montre que celui-ci a bel et bien les qualités qu’il fallait pour mener à bien la mission à lui confiée par le juge d’instruction qui était de faire parler les téléphones portables et autres appareils numériques des accusés. « La défense reconnaît enfin les qualités de l’expert Sanfo. C’est un grand pas qu’elle vient de faire ce matin dans ce procès », s’est réjouie Me Awa Ouédraogo. Et Me Prosper Farama de noter qu’à part le fait de faire la publicité de l’expert Sanfo et de faire passer le message de la CIL à l’assistance, la pièce produite par le Conseil de Damiss n’a aucune incidence juridique dans ce dossier. « C’était une belle émission, ça nous a égayés, mais aucune conséquence juridique ne peut en être tirée », a-t-il soutenu.

En définitive, pour la partie civile, depuis que la défense rejette l’authenticité des éléments contenus dans le dossier, elle n’a pu apporter ne serait-ce qu’une once de preuve qui montre qu’ils ont été manipulés à dessein. Elle estime donc que les accusés et leurs conseils veulent que le tribunal se mue en expert pour les aider à affiner leur stratégie de défense.

Candys Solange Pilabré/ Yaro

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