jeudi 21 novembre 2024

Débats oratoires : « Ne gardez pas votre parole comme une vulgaire pierre, mais taillez-la et faites d’elle un réel et véritable diamant », Mathilde Zerbo, lauréate 2019 du championnat international de débat francophone

zerbo uneA la quatrième édition du championnat international de débat francophone qui s’est déroulée du 11 au 15 mars dernier à l’Université St-Joseph (USJ) de Beyrouth, au Liban, Mathilde Zerbo, qui représentait le Burkina Faso avec un autre participant, Fabius Aouanou, est montée sur la plus haute marche. Après quatre jours de débats et plus de trois heures de joutes oratoires pour la finale, l’étudiante de 22 ans inscrite en médecine, seule Africaine en finale, a su par la force de l’argumentaire, se défaire  de ses adversaires venus de 14 pays du monde. C’est une lauréate qui a la tête sur les épaules que Radars info Burkina a rencontrée. Pour elle, ce trophée est le couronnement d’années de labeur, mais aussi une invitation à mieux faire.

Radars info Burkina : Vous avez participé à la 4e édition des débats oratoires qui s’est tenue à Beyrouth au Liban en début mars. A l’issue de la compétition, vous êtes montée sur la plus haute marche. Quels ont été les moments forts de cette aventure à Beyrouth ?

Mathilde Zerbo : La compétition devait se tenir du 11 au 15 mars 2019. Nous avons quitté Ouagadougou le dimanche 10 mars à 9h35 par Ethiopian Airlines. Lorsque nous sommes arrivés à Addis-Abeba, il y a notre collaborateur, Serge Ouédraogo, qui nous a informés à l’aéroport qu’il y avait un avion de cette compagnie qui venait de faire un crash. Et dès ce moment, je ne dirai pas qu’on était plus stressé, mais il y a quand même une petite peur qui s’est installée, mais malgré cela on a continué le voyage dans la bonne humeur et la bonne ambiance. Nous sommes arrivés à Beyrouth à 2h du matin le lundi 11 mars. Nous nous sommes bien reposés et sommes allés à l’Université Saint-Joseph le lundi à 9h. Lorsque nous sommes arrivés, déjà, je ne savais pas à quel moment je devais prester pour mon premier match. Quand nous sommes arrivés à 9h, ils avaient déjà formé les groupes. J’étais du premier groupe. On avait déjà donné la motion. Du coup, je me suis juste jointe au groupe et nous avons essayé de travailler en une heure. Le principe des débats, c’était le style parlementaire. On formait les équipes de façon aléatoire, donc on nous faisait piocher, quatre personnes qui feront partie du gouvernement et quatre autres qui font partie de l’opposition. En fonction de votre groupe, vous vous réunissez, vous travaillez sur les thèmes, vous proposez et vous trouvez vos arguments avant de dispatcher les différents rôles, notamment pour le gouvernement si tu dois être Premier ministre ou censeur et pour l’opposition, si tu dois être chef de file de l’opposition, député ou censeur. Pour le premier match, j’étais chef de file de l’opposition. Ça s’est bien passé dans l’ensemble, même si j’étais quand même stressée, parce que arrivée en retard et je ne savais pas que je venais directement pour le match. Ensuite, il y a eu le deuxième match le lendemain et le troisième match pour les éliminatoires le mercredi. A la fin de ces trois matchs, nous avons eu les résultats le mercredi dans la soirée, pour la demi-finale qui devrait se tenir le lendemain. Donc, nous nous sommes préparés. Disons qu’à partir de la demi-finale, le stress commençait à se sentir plus, parce qu’au départ, on était parti tous les deux avec Fabius et je comptais le battre en finale, pas déjà aux éliminatoires. Mais quoi qu’il en soit, nous avons travaillé ensemble, en équipe avec des amis qui sont restés au Burkina, mais qui nous ont soutenus à travers la connexion. Donc, ils ont toujours été présents, avant les différents passages. Ce n’était pas facile, je ne sais pas si je tremblais ou pas, mais le stress était présent. Toutefois, vu qu’il y avait le soutien des amis, de M. Thomas d’Aquin Ouédraogo, de M. Serge Ouédraogo qui étaient sur place et tous ceux qui étaient derrière nous au Burkina, on a essayé de donner le meilleur de nous-mêmes pour que la prestation soit à la hauteur des attentes.

RIB : En définitive, qu’est-ce qui vous a distinguée et a amené le jury à vous distinguer ?

MZ : Je dirai tout d’abord la prière. Je ne dis pas que les autres n’ont pas prié, mais je mets la prière au devant. Ensuite, il y a le travail d’équipe qu’on a eu à effectuer. En plus, il y avait les conseils de M. Thomas d’Aquin Ouédraogo qui nous ont beaucoup aidés, le soutien technique et émotionnel de Fabius qui était présent. A chaque thème qu’on donnait, on travaillait ensemble. On avait une heure de préparation pour les matchs éliminatoires et à la demi-finale, mais il était tout le temps là. Il y a aussi le soutien de nos différentes familles, des amis depuis le Burkina et partout.

RIB : De quoi est composé le prix que vous avez ramené à Ouagadougou ?

MZ : Le prix qu’on a reçu est constitué d’un magnifique trophée et de l’attestation uniquement (rire). Je tiens à préciser qu’il y avait zéro franc (rires).

RIB : Concrètement, qu’est-ce que ce prix représente pour vous, d'autant plus qu’on sait qu’il y a quelques années, la femme en Afrique et surtout au Burkina n’osait pas s’exprimer en public et s’autocensurait en termes de liberté de la parole ?

MZ : Je peux dire que ce prix est la récompense de beaucoup d’années d’efforts, parce que je me rappelle encore quand j’étais toute petite, et que je revenais à la maison, j’avais tendance à utiliser un jargon de rue et mon père ne manquait pas de me gronder pour cela en disant : « plus ça dans ma maison ». Sur-le-champ, je ne comprenais pas ce qu’il tentait de m’enseigner. Dès le départ, il y a le vocabulaire, l’encadrement et l’enseignement à la maison. Les oncles, les tantes qui ont toujours contribué à me recadrer sur la prise de parole et sur le vocabulaire, la grammaire, la langue française en général. Ensuite, il y a aussi tout le cadre d’amis que j’ai eus, parce que pour aller de l’avant, il faut autour de vous des gens qui vous encouragent, qui ont confiance en vous et qui n’hésitent pas à faire des sacrifices pour vous. Il y a également la structure « les débats oratoires », parce que s’il n’avait pas initié tout ce qu’il y a autour, notamment les différents championnats nationaux, les différentes participations aux compétitions à l’international, nous n’aurions sans doute pas eu ce cadre expressif et nous n’aurions point eu l’opportunité et l’occasion de nous faire remarquer.

zerbo 2RIB : Le fait de participer aux débats oratoires vous rapporte quoi concrètement en tant qu’étudiante ?

MZ : Déjà, savoir s’exprimer de façon aisée, ce n’est pas du donné. C’est un travail de longue date et de dur labeur. Avoir l’art oratoire comme acquis, c’est non seulement un plus pour tous ceux qui sont autour de nous, mais c’est aussi un atout dans la carrière professionnelle. Probablement que beaucoup ne voient ni l’utilité ni la valeur de l’art oratoire actuellement dans leur vie, mais peu importe le domaine dans lequel on souhaite évoluer et où on est amené à partir, l’art oratoire intervient. Même dans les discussions en famille, pour consoler une personne, l’art oratoire est nécessaire. Il est la base et le socle d’une force qu’on a. C’est un objectif que chacun doit viser pour arriver à être excellent partout où il se trouvera.

RIB : D’où vous est venue cette passion de la parole et aussi l’idée de faire partie de l’aventure des débats oratoires,  vu que vous êtes dans une filière scientifique et non littéraire ?

MZ : Tout a commencé au club d’art oratoire de l’Université Saint-Thomas d’Aquin (USTA) dont je ne connaissais pas l’existence. En 3e année, un soir à la fin des cours, il y a une amie qui m’a dit de l’accompagner au club de débats oratoires. J’y suis donc allée, j’ai fait une présentation, et ils ont apprécié. Après,  j’ai continué à partir et lors du championnat national de 2017, nos coachs et mentors m’ont fait confiance et m’on dit de me présenter à la sélection pour le championnat national. J’ai participé et j’ai été sélectionnée. L’année dernière, j’ai voulu me retirer un peu, mais ils sont encore venus me voir et m’ont réaffirmé leur confiance en mes capacités. Ça fait plaisir d’entendre que des gens qui sont dans le domaine bien avant toi, te font autant confiance. C’est ainsi que je me suis lancée et l’année dernière avec l’équipe de l’USTA, nous avons remporté le championnat national. Au cours de ce championnat, j’ai été meilleure oratrice. Bien avant cela, M. Thomas d’Aquin Ouédraogo, avait mon contact, donc on échangeait. Il m’a contacté pendant les vacances pour que je suive une formation en amélioration de prise de parole en public. Après cela, il m’a informée que j’étais sélectionnée pour la compétition au Liban.

RIB : Vous êtes étudiante inscrite en médecine, alors comment vous arriviez à allier études et passion de l’art oratoire sans que l’un empiète sur l’autre ?

MZ : Ce n’est pas toujours facile. J’ai pris exemple sur mon aîné Fabius. Il me soutient toujours, donc même quand il y a beaucoup de devoirs et que le programme chargé, il me donne toujours de petites tactiques pour arriver à jumeler les deux, donc on essaie de faire du mieux que l’on peut.

RIB : Après le sacre, vous avez été accueillis à l’aéroport par une foule d’étudiants, de camarades, d’amis et de parents venus vous féliciter et vous témoigner leur fierté. Quelle a alors été vos sentiments à votre descente d’avion, lorsque vous avez vu cette mobilisation autour de vous ?

MZ : Honnêtement, au départ, quand on partait, on avait l’intention de ramener le trophée à la maison, mais on ne savait pas que ça allait avoir toute cette ampleur et que beaucoup de gens allaient être captivés et intéressés. Du coup, après les matchs éliminatoires, quand on m’a dit « Ah ! Mathilde ton visage est partout sur Facebook, j’ai dit ah ! D’accord, je ne savais pas ». Maintenant, à l’arrivée, voir les amis, les camarades, les parents, c’était vraiment merveilleux (rires).

RIB : Aujourd’hui, quelle est la suite pour vous dans les débats oratoires ?

MZ : La prochaine étape pour mes coéquipiers et moi, c’est toujours de continuer dans cette lancée et aussi d’aider ceux qui en ont besoin. Si nous pouvons contribuer à la formation des autres, nous le ferons avec plaisir et également permettrons qu’à travers ce trophée, la structure « les débats oratoires » soit beaucoup vue et ses mérites reconnus dans l’éducation et le leadership de la jeunesse.

RIB : A cette étape de votre vie, on peut déjà dire que vous êtes un modèle, surtout pour ces jeunes qui veulent se lancer dans la prise de parole en public. Alors quel est votre message à la jeunesse et surtout à ceux qui hésitent encore à franchir le pas vers les débats oratoires ?

MZ : Voici une phrase qu’un professeur nous a dite : « Ne gardez pas votre parole comme une vulgaire pierre, mais taillez-la et faites d’elle un réel et véritable diamant ». J’invite toute la jeunesse, tous ceux qui ont des difficultés à prendre la parole ou à s’exprimer en public à se lancer. Il n’y a rien de sorcier, il faut juste faire le premier pas et tout vient seul par la suite et chaque chose qu’ils feront, chaque mot qu’ils diront devra l’être dans l’objectif de rendre heureux ceux qui sont autour d’eux.

Propos recueillis par Candys Solange Pilabré/ Yaro

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