Ces dernières années, le système éducatif burkinabè est en proie à des crises. Qu’il, s’agisse des différentes revendications de la Coordination nationale des syndicats de l’éducation (CNSE) ou de la fermeture des écoles dans les zones à fort défi sécuritaire, la patate est chaude entre les mains du ministre de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales. Interrogé par Radars info Burkina, le professeur Stanislas Ouaro se veut rassurant sur la suite de l’année scolaire en cours, malgré les défis à relever. L’occasion s’y prêtant, des questions comme l’objectif visé par le gouvernement en rattachant la promotion des langues au ministère de l’éducation nationale ont aussi été passées en revue par votre journal.
Radars Info Burkina : La Coordination nationale des syndicats de l’éducation (CNSE) avait donné au gouvernement jusqu’à fin mars pour respecter les engagements que celui-ci a pris. A quelques jours de cette échéance, qu’est-ce qui est fait pour éviter que le système éducatif national soit paralysé pour la énième fois ?
Stanislas Ouaro : Depuis le 27 janvier 2018, un protocole d’accord contenant 56 points de mise en œuvre a été signé entre le gouvernement et la Coordination nationale des syndicats de l’éducation (CNSE). Nous en faisons donc régulièrement le point et nous travaillons à la mise en œuvre de ces différents points. Vous faites sans doute allusion au mouvement de refus des syndicats de procéder aux évaluations ! Nous avons échangé et la Coordination nous a demandé, pour s’assurer de notre bonne foi, de lui donner un chronogramme de mise en œuvre des points non encore satisfaits, car il faut souligner qu’il y a un bon nombre de points qui ont déjà été mis en œuvre. Le chronogramme leur a été présenté et les représentants de la Coordination se sont donné deux mois pour l’apprécier. Ce travail est donc en cours et en principe à l’expiration du délai, ils communiqueront à leur base le travail que le gouvernement a fait. Le gouvernement aussi communiquera. Mais sinon, pour le moment, nous sommes en train de travailler ensemble pour la mise en œuvre. Ils sont associés à chaque étape et à chaque action que nous travaillons à mettre en œuvre. Nous pensons donc que ces différentes initiatives que nous avons prises et en les associant au travail que nous faisons qui a pour souci la redevabilité, mais aussi la bonne foi et la transparence du gouvernement, vont nous permettre de continuer à travailler à la mise en œuvre des différents points tout en discutant.
RIB : Plusieurs écoles qui avaient été fermées à cause de la menace terroriste sont en train de rouvrir. Est-ce que des dispositions particulières sont prises pour rattraper le retard ?
SO : Il y a un travail très intéressant et énorme qui est en train d’être fait sur le plan sécuritaire, qui permet depuis deux semaines la réouverture progressive des écoles fermées. Mais nous attendons de voir la situation qui est en train d’évoluer positivement et de s’améliorer, pour proposer dans le cadre de la stratégie de scolarisation des élèves dans les zones à défi sécuritaire des mécanismes qui seront mis en œuvre. Toutefois chaque école a son niveau de progression. Il appartiendra aux structures déconcentrées (et c’est ce qui leur est demandé) de faire le point, école par école, du niveau de progression pour qu’on voie si pour certaines écoles et certains établissements du post-primaire et du secondaire il est possible par des cours de rattrapage de rattraper le temps perdu pour valider l’année dans le même calendrier scolaire que celui qui est actuellement en vigueur ou de prendre part aux examens, conformément au calendrier scolaire en vigueur ou pour ces établissements, on ne devrait pas prolonger l’année scolaire. Dans ce dernier cas, il se pourrait donc que cette année, on se retrouve avec un deuxième calendrier scolaire qui va couvrir certaines écoles, qui, vu leur retard, ne peuvent pas rattraper ceux qui ont fait les cours normalement. Ce qui veut dire qu’il se pourrait qu’on ait deux rentrées scolaires cette année, mais tout cela va être affiné et présenté. Pour le moment, nous apprécions la réouverture des écoles et nous espérons que d’ici la fin des congés du 2e trimestre, c'est-à-dire début avril, on aura la quasi-totalité des écoles ouvertes. Cela nous permettra de développer un plan, mais soyez rassurée, ce que nous allons mettre en œuvre a pour objectif de faire en sorte que les élèves soient évalués pour le passage en classe supérieure ou pour les examens dans les mêmes conditions que ceux qui n’ont pas eu de scolarité perturbée. Si cela nécessite qu’on ait des examens spéciaux pour certains ou un prolongement de l’année scolaire pour d’autres, nous n’allons pas hésiter à le faire. Mais, ce sont des éléments que nous sommes en train d’apprécier au fur et à mesure, parce que le phénomène de la réouverture massive des écoles commence à être constaté il y a environ deux semaines et on a donc besoin d’un peu de temps pour stabiliser la situation afin de proposer des voies et moyens. Toutefois, tout ce que nous allons proposer le sera dans le seul objectif de faire en sorte que l’apprenant obtienne ce qu’il faut pour passer en classe supérieure ou pour passer les examens.
RIB : Au dernier remaniement ministériel, le ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation (MENA) a vu ses branches s’élargir avec la promotion des langues nationales. Quel est l’objectif visé par le gouvernement en associant la promotion des langues au MENA dont vous êtes le premier responsable ?
SO : L’objectif de la promotion des langues nationales n’est pas de travailler à faire en sorte que la langue officielle ne soit plus le français, parce que le français n’est pas parlé seulement au Burkina Faso, mais par une communauté dite francophone. C’est une langue qui est utile et nécessaire, à l’image d’autres langues comme l’anglais pour les échanges extra-pays. Je ne pense pas qu’on verra dans un court ou moyen terme le remplacement du français, mais ce que nous pouvons dire, c’est qu’un peu partout en dehors de l’administration publique et de l’enseignement, les langues nationales sont parlées un peu partout et ce sont des langues qui sont utilisées pour les échanges, qu’ils soient commerciaux ou pour régler des conflits. Il était donc nécessaire pour nous de valoriser ces langues de façon à ce qu’elles contribuent, à côté du français, au développement de notre pays à travers par exemple la cohésion sociale. Imaginez par exemple que je sois d’ethnie « mossi » et que vous soyez d’ethnie « samo » et si vous, étant « samo », vous comprenez bien le « mooré », vous communiquez avec moi en « mooré », je ne vous vois plus en face comme étant d’une autre ethnie que la mienne, mais je vous identifie à mon semblable « mossi » et cela favorise le rapprochement et plus de cohésion. En outre, au Burkina Faso il y a beaucoup de personnes qui sont alphabétisées dans les langues nationales et ce sont des personnes qui contribuent au développement de notre pays. Il était donc bon de valoriser ces langues nationales pour permettre à ces personnes de mieux contribuer. Il y a aussi des gens qui ne parlent pas français dans notre pays. Il y a une bonne partie de la population qui ne parle pas français et malgré le fait que la langue française soit la langue officielle, nous ne sommes pas en mesure d’avoir un programme permettant à tous les Burkinabè de parler français. Il y en a qui parlent plusieurs langues qui ne sont pas le français, mais qui font du commerce et un certain nombre d’activités avec. Ces personnes doivent aussi être prises en compte pour le développement de notre pays. C’est en cela donc que nous souhaitons valoriser les langues nationales, surtout pour favoriser davantage la cohésion sociale et permettre à tous les Burkinabè de contribuer au développement de leur pays. Du reste, les objectifs du gouvernement, c’est plutôt d’identifier toutes les langues de notre pays, de les consacrer comme langues nationales et de développer les commissions de langues de façon à permettre à ces langues d’être codifiées et d’être utilisées. Mais, ce ne sont pas des langues officielles. C’est le français en tout cas qui, jusqu’à preuve du contraire, reste notre langue officielle.
RIB : Vous avez parlé d’une commission des langues nationales dont l’opérationnalisation permettra de codifier un certain nombre de langues nationales. Pensez-vous qu’il sera possible d’adapter les termes techniques et surtout scientifiques dans les langues nationales ?
SO : Ça se fait déjà pour certaines langues codifiées, car des langues codifiées, nous en avons déjà. Une étude de 1987 effectuée par des chercheurs burkinabè a montré que nous avons 59 langues nationales. Parmi ces 59 langues, il y a quelques-unes qui sont codifiées déjà avec lesquelles nous faisons l’enseignement bilingue en association avec le français et des personnes sont aussi alphabétisées dans ces langues. L’objectif pour nous, ce n’est pas d’aller extrêmement loin dans la codification de ces langues, mais de faire en sorte qu’elles aient leur identité et qu’on puisse les transcrire, les parler et les apprendre et qu’on puisse les utiliser pour se développer. Nous avons pour ambition de mettre en place la Commission nationale des langues, qui existe d’ailleurs depuis 1967 dans les textes. Nous voulons la redynamiser, lui donner un nouveau souffle. Dans la commission des langues, il y a des sous-commissions et chacune d’elles a pour objectif de travailler à la codification des langues. On peut codifier des langues nationales de façon à leur donner une certaine identité et même aller plus loin en faisant en sorte que ce soient des langues dites scientifiques et, dans ce cas, on va plus loin avec des critères qui permettent de dire que ces langues-là, à partir du moment où on a atteint un certain nombre de codifications, ce sont des langues qui peuvent être vues comme des langues scientifiques. Mais tous ces éléments seront présentés à travers un projet de loi que nous sommes en train de proposer et à transmettre en Conseil des ministres. Ce projet de loi d’orientation va fixer les différentes orientations pour faire de telle ou telle langue une langue nationale et faire de telle ou telle autre langue, une langue ayant un statut scientifique. C’est tout à fait possible et des chercheurs y travaillent. Il y a des langues déjà qui, au regard des critères que nous sommes en train d’édicter, pourraient avoir rapidement ce statut de langues scientifiques.
Propos Recueillis par Alida Wend’Manegda Tapsoba et retranscrits par Candys Solange Pilabré/ Yaro