La diffusion des bandes sonores montrant la culpabilité de certains accusés et déchargeant d’autres dans le cadre du procès du coup d’Etat de septembre 2015 se poursuit au tribunal militaire de Ouagadougou. Pour ce vendredi 22 mars 2019, dame Fatoumata Thérèse Diawara, ex-fiancée du fils du présumé cerveau du coup d’Etat de septembre 2015, Ismaël Diendéré, a été ramenée quatre années en arrière. En effet, une série de ses conversations téléphoniques avec son « tonton », le général Djibril Bassolé, émises entre le 27 et le 29 septembre 2015 a été écoutée à l’audience de ce jour. Ces conversations avec dame Diawara et d’autres personnes qui sont en adéquation avec la situation sur le terrain au moment des faits, le parquet et la partie civile ne doutent point de leur authenticité. Pour eux, ces audio montrent que plus qu’un complice, l’ex-chef de la diplomatie burkinabè a été un des principaux acteurs de la déstabilisation du pays pendant les évènements du 16 septembre 205 et jours suivants.
A l’audience du mercredi 20 mars 2019, le journaliste Adama Ouédraogo dit Damiss, inculpé dans ce dossier de coup d’Etat pour avoir notamment aidé à la rédaction du communiqué du Conseil national pour la démocratie (CND), a été confronté à des écoutes qui selon le parquet seraient ses communications avec le général Djibril Bassolé pendant les évènements du 16 septembre 2015. Mais l’accusé et son conseil ne reconnaissent pas la paternité de ses propos et crient au harcèlement et à la chasse aux sorcières. « Tous ces éléments ont été écoutés par trois juges instructeurs, mais à aucun moment, ils n’ont été imputés à M. Ouédraogo Adama. A aucun moment, ils n’ont été considérés comme un élément à charge contre lui. C’est à la chambre de contrôle que le parquet s’est levé pour dire que cette voix est celle de Ouédraogo Adama. Ce n’est pas parce qu’on y entend le mot journaliste et le nom Adams que systématiquement ça signifie que c’est la voix de mon client. Si les juges d’instruction ne l’ont pas mis à la charge de mon client, ce n’est pas au parquet de le faire. Ce sont des présomptions. C’est une question purement technique et non juridique et votre juridiction Monsieur le président n’est pas habilitée à trancher sur les questions techniques… On tombe ainsi dans une forme d’inversion de la charge de la preuve. Ce n’est pas de l’office de l’accusé de venir prouver ou infirmer les allégations du parquet », s’insurge Me Stéphane Ouédraogo, avocat de l’homme à la plume.
Après cette mise au point de la défense du journaliste, le parquet militaire a laissé couler d’autres bandes sonores. La majorité des audio écoutés montrent que durant la période du 27 au 29 septembre 2015, dame Fatoumata Thérèse Diawara, ex-compagne d’Ismaël Diendéré, fils du général Gilbert Diendéré, était en interaction avec le général de gendarmerie Djibril Bassolé afin de maintenir haut le moral des éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) pour qu’ils ne désarment pas et continuent la résistance. Dans certaines de ses communications téléphoniques, la fiancée du fils Delta (le nom du général dans le dossier) confiait entre autres à l’ancien patron de la gendarmerie : « (…) Les petits sont prêts à sortir. Ils sont au rassemblement (…) Mais il y a les capitaines Dao et certains officiers qui veulent les désarmer (…) Le vieux n’est pas au courant de tout ça, donc il faut que quelqu’un le relaie. Il faut l’appeler (…) », « Tu as lu le communiqué du MPP ? Ils ont demandé aux gens de sortir contre vous et contre les djihadistes (…) Est-ce qu’eux, ils peuvent combattre les djihadistes, franchement (…) Par rapport à l’ambassadeur de France, il faut faire attention, car c’est parce que le championnat est en train de changer de camp (…) », « Tu peux appeler la Côte d’Ivoire, Soro a besoin des numéros du MPP, Roch et Salif notamment (…) ». A cette dernière communication, le général Bassolé de répondre : « (…) Est-ce que j’ai les numéros de ces gens-là encore même. Il y a longtemps que je ne parle plus avec eux (…) ».
Pour tester la véracité de certains propos tenus par dame Diawara, Alioun Zanré et ses pairs ont fait défiler à la barre des officiers de l’ex-RSP comme le capitaine Dao, le commandant Korogo, les lieutenants Dianda et Rélwendé Compaoré. Même si ces derniers n’ont pas voulu se prononcer sur ce qu’ils venaient d’entendre, ils ont tout de même insisté sur le fait que durant la période de désarmement ils ont beaucoup travaillé à empêcher les jeunes de descendre avec les armes. Toute chose qui selon le parquet confirme la véracité et l’authenticité de ces écoutes tant décriées par la défense qui aujourd’hui déchargent certains accusés, notamment des officiers de l’ex-RSP qui travaillaient à l’apaisement contre vents et marées. « Curieusement, des éléments fabriqués collent avec la réalité du terrain sur ce que les hommes s’évertuaient sur le terrain à apaiser les choses. Alors, allez y comprendre… Quand vous écoutez tout ça, franchement est-ce qu’on peut parler de fabrication ? Quel que soit le génie qui va s’asseoir sur une table et quel que soit l’appareil utilisé, personne ne peut fabriquer tout ça. Au parquet, nous nous en tenons qu’aux faits », a fait observer le parquet, et Me Kam d’ajouter : « Franchement si on est en mesure d’inventer tout ça, de fabriquer tout ça, de fabriquer tout ça, je ne dirai pas qu’il y a des génies, mais que ces génies rivalisent même avec Dieu ».
Appelée à la barre pour réagir à ce qui lui est présenté comme étant sa voix, Dame Diawara garde la même posture adoptée depuis le début du procès qui est de ne pas se reconnaître dans les propos qui y ressortent même si elle ne nie pas le fait que ce soit sa voix qui y résonne. « Je maintiens toujours ma position. Jusqu’à preuve du contraire, le parquet n’a pas encore prouvé que ce ne soit pas forgé… Ils sont quand même intelligents! Ils ne vont quand même pas prendre des scénarii d’un autre coup d’Etat pour venir mettre ici. Il faut que quand ça colle avec la réalité. Aujourd’hui, avec la voix de quelqu’un, on peut faire ce qu’on veut et même en faire un film », déclare-t-elle, puis d’ajouter « il y a une voix qui est passée qui ressemble à celle du procureur. S’il n’avait pas été procureur, j’aurai dit que c’est lui ». Appuyée par son conseil, l’accusée est certaine que dans cette affaire, elle est victime d’un mauvais procès. Un avis qui n’est pas du tout partagé par la partie civile. « Que des gens inventent des situations inconnues du public et qui existent ! Je ne sais pas quel était le degré de popularité de dame Diawara avant les évènements du coup d’Etat. Pourquoi choisir précisément dame Diawara pour la mettre en relation avec le général Bassolé. C’est dans ces cas-là qu’on dit que les faits sont têtus et la meilleure défense n’est pas de les contester. Mais si je suis un accusé, je préfère être un accusé repenti que démenti », note Me Kam.
Le général Bassolé, le fin stratège qui tirait les ficelles pour profiter de la situation, selon le parquet
Avant ces écoutes qui incriminent davantage l’ex-belle fille de golf et le général Bassolé, le parquet militaire a fait écouter au tribunal des audio qui montrent selon lui que durant les évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants, l’ancien chef de la diplomatie burkinabè, tapis dans l’ombre, travaillait à ce que le RSP ne dépose pas les armes et que le général Diendéré ne recule pas. En effet, dans certaines de ses communications diffusées ce vendredi mati au tribunal militaire de Ouagadougou, le général Bassolé déclarait entre autres au général Diendéré : « (…) Effectivement le découragement gagne un certain nombre de jeunes (…) Ils sont en train d’aller vers un DDR (…) Si c’est un DDR, autant aller dans un bon DDR (…) Qu’il y ait un accord global (…) Pour obtenir ça aujourd’hui, en réalité, il faut agir (…) Je pense que tu dois encourager le noyau dur (…) Les choses sont toujours entre tes mains (…) La fin de ça avec ce que moi je vois se développer sur les réseaux sociaux, c’est l’humiliation et la prison et on ne peut pas tomber aussi bas (…) Tiens bon, tu n’as rien à perdre (…) », « (…) Si nous n’allons pas au-délà de ça, c’est l’enterrement (…) Ni CEDEAO, ni Zagré, personne ne va leur faire de cadeau (…) Mieux vaut qu’ils se ressaisissent et s’imposent (…) On veut leur soumettre un DDR (…) Ils ne peuvent pas se laisser démanteler de la sorte (…) Moi je pense que la CEDEAO ne fera rien (…) Même le Macky là a été mis à l’écart avec l’activisme de Issoufou là, tiens bon ! (…) ». Pour le parquet, ces deux interceptions téléphoniques montrent que réellement le président du CND était dans une logique d’apaisement et de retrait et confirment ainsi certaines déclarations du général Diendéré, qui, à la barre, affirmait travailler à remettre le pouvoir et à ramener la paix. Toutefois, pour les procureurs militaires, ces audio montrent aussi que contrairement aux déclarations du général Bassolé, il était bel et bien en contact avec certains jeunes du RSP « le noyau dur » pour affûter les armes de la résistance. Et Me Kam de saisir la balle au rebond. Pour lui, à la lumière de ces écoutes, il est clair que ceux de l’intérieur étaient sur le point de capituler, mais c’est le général de gendarmerie qui tirait certaines ficelles avec ses idées de résistance pour créer au final une situation incontrôlable. « Ça démontre que le général Bassolé était plus qu’un complice. Il était un acteur. Il était dans la stratégie du chaos et de la terre brûlée », insiste-t-il. L’intéressé en hospitalisation sanitaire en Tunisie et ses conseils qui ont décidé de ne pas participer à cette présentation des pièces à convictions n’ont pas pu réagir face à de telles observations. Mais, on le sait, depuis le début de ce procès, ils n’ont cessé de crier à la manipulation, à la fabrication et au truquage.
De ce qui a été donné d’écouter aujourd’hui au tribunal militaire de Ouagadougou, il ne souffre d’aucun doute sur l’authenticité des écoutes, car la multiplicité de la corrélation des communications avec diverses personnes est réelle et ne saurait selon le ministère public sortir de l’imaginaire d’un génie soit-il. Par exemple, explique le parquet, dans une de ses conversations avec dame Yolande Bélemviré, l’ancien patron de la gendarmerie burkinabè faisait le résumé de sa communication avec l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro et affirmait que l’essentiel était d’encourager financièrement les hommes afin qu’ils résistent et ne déposent pas les armes. Les audio diffusés montrent aussi que le général Bassolé était en contact permanent avec l’ancien inculpé, passé à la barre en qualité de témoin, Bénédicte Jean Bila, présenté comme l’élément de renseignement à la solde de l’ex-chef d’état-major de la gendarmerie pendant les évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants. Et le parquet de souligner au tribunal que lors de son passage à la barre, la taupe du général Bassolé a confié avoir dénoncé son « patron » au CRTI à cause de son intérêt très poussé à tout ce qui se passait au RSP alors qu’il n’en était pas un des leurs.
Si malgré la présentation de ces pièces à conviction la défense trouve toujours à décrédibiliser le travail de l’instruction et à porter des coups au parquet militaire, Alioun Zanré et ses pairs ainsi que la partie civile restent convaincus de l’authenticité des audio qui sont à la charge mais aussi à la décharge de certains accusés.
Au total, c’est une cinquantaine d'éléments sonores qui ont été diffusés en deux jours d'audience par le tribunal militaire de Ouagadougou, mettant ainsi fin à la première partie des éléments sonores du général Djibril Bassolé.
Candys Solange Pilabré/ Yaro