Très peu connu, le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité est une maladie qui touche généralement les enfants. Dans le monde, il y a à peu près 3% de la population générale qui en souffre. Cette atteinte qui commence à l’enfance peut continuer jusqu’à l’âge adulte s’il n’y a pas de prise en charge adéquate du patient. Pour en savoir plus sur cette maladie, très souvent source d’échec scolaire chez les enfants qui en souffrent, votre journal Radars Info Burkina a pris langue avec le Professeur Kapouné Karfo, chef de service adjoint du service de psychiatrie au Centre hospitalier universitaire (CHU) Yalgado-Ouédraogo.
Radars Info Burkina (RIB) : Comment reconnaît-on le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité ?
Kapouné Karfo (KK) : C’est une pathologie caractérisée par l’inattention, l’impulsivité et une hyperactivité qui dépasse les normes requises pour l’enfant. Pour poser le diagnostic différentiel, il faut un développement de ce trépied qui regroupe l’inattention, l’hyperactivité et l’impulsivité. Il y a des enfants autistes, par exemple, qui présentent ce trouble. Des enfants épileptiques peuvent également présenter cette hyperactivité qui est un symptôme transversal.
RIB : Est-ce qu’il y a des causes qui expliquent la maladie ?
KK : Un enfant qui ne bouge pas, c’est un enfant qui est malade ; un enfant qui bouge beaucoup aussi, c’est anormal parce qu’à la longue, l’enfant ne peut rien faire et cela devient une pathologie. Il y a bien sûr des controverses. Il y a des théoriciens par exemple qui pensent que c’est génétique. D’autres également soutiennent que c’est psychosocial. Pour d’autres encore, c’est peut-être lié à des infections que la maman a développées au moment de la grossesse ou de l’accouchement. Ce sont autant d’hypothèses qui existent, mais il ne faut pas se réfugier derrière ces hypothèses, parce que quelque chose peut être fait pour calmer l’agitation, l’impulsivité, etc.
RIB : Est-ce qu’un choc émotionnel survenu à un plus jeune âge peut expliquer cette pathologie ?
KK : Dans les explications des pathologies mentales, il y a la théorie psycho-dynamique qui dit par exemple qu’au fur et à mesure que l’enfant grandit, il y a la formation de la personnalité et des frustrations. Et le niveau de localisation de la première frustration peut déterminer un type de personnalité. Et dès que le type de personnalité est déterminé, s’il y a un second traumatisme, cela conduit à la maladie mentale. Mais étant donné que la personnalité de l’enfant est encore en construction, cette théorie pourrait ne pas tout expliquer. Mais je pense qu’évoquer tout le temps ces théories, c’est ne pas permettre aux parents de comprendre.
RIB : Quelles peuvent être les conséquences sur les plans scolaire et social de cette maladie sur l’enfant qui en souffre ?
KK : L’impact immédiat, c’est sur les études. Il y a difficultés et échec scolaires si on ne fait pas tôt le diagnostic. L’enfant n’arrive pas à tenir à l’école. Par exemple lorsque l’enseignant est en train d’écrire au tableau, il dérange ses camarades ; quand on l’interroge, il ne comprend pas et le fait d’être agité fait qu’il n’est pas attentif. Et quand il est impulsif, c’est justement parce qu’il est peut-être pressé de recevoir des réponses. Ou encore pendant que le maître pose une question, lui, il lève déjà la main et quand on lui donne la parole il n’a rien à dire, parce qu’il n’a pas eu le temps d’écouter jusqu’au bout. Il n’attend pas son tour pour faire quelque chose. Arrivé à la maison, l’enfant ne peut pas apprendre. Et tous ces facteurs, toute cette inattention vont conduire à l’échec scolaire. C’est la même chose dans la vie sociale, à savoir des problèmes à n’en point finir. Les parents des enfants que l’enfant souffrant de ce trouble agresse, vont passer le temps à venir se plaindre auprès de ses parents. Et pour finir c’est l’exclusion sociale, puisque tout le monde finit par le considérer comme asocial. Il va peut-être se stabiliser à l’âge adulte, mais avec quoi finalement puisqu’il n’aura rien retenu de toute sa vie.
RIB : Est-ce qu’il existe un traitement pour permettre aux enfants atteints de ce trouble de retrouver une vie et une scolarité normales ?
KK : La prise en charge a été pendant longtemps un problème pour les psychiatres. Il y a la psychothérapie, c'est-à-dire les entretiens avec l’enfant et les parents, ainsi que les activités pour diminuer un tant soit peu l’inattention, l’impulsivité et l’hyperactivité de l’enfant. Mais j’avoue que ce n’est pas toujours facile. Lorsque, par exemple, vous dites à l’enfant de dessiner, il gribouille vite fait sur le papier et passe à autre chose. Chez les parents aussi c’est difficile de maintenir l’enfant concentré, c’est surtout ça le problème : la concentration pour l’école. On avait commencé à ajouter des traitements psychotropes, qui agissent sur le système nerveux. Après, est née dans les années 80 une molécule appelée Méthylphénidate, commercialisée sous le nom de Ritaline et qui a été surnommée « pilule de l’obéissance » par les Américains. Cette pilule joue un grand rôle dans la contenance de l’inattention, de l’agitation et de l’impulsivité chez l’enfant. Le matin on donne une pilule à l’enfant, il arrive à l’école il suit très bien. Et la pilule va faire 4 à 5 heures d’effet dans l’organisme. S’il a cours dans l’après-midi, on donne encore une petite pilule. L’enfant travaille sans souci.
Malheureusement cette pilule n’existe pas au Burkina Faso. C’est la croix et la bannière pour l’avoir pour traiter un enfant qui présente un trouble de l’attention. Et pour un Etat ce n’est pas normal, c’est comme si ces enfants étaient laissés à eux-mêmes. Les parents sont souvent obligés d’aller jusqu’aux Etats-Unis pour acquérir le produit et souvent au niveau de la douane de l’aéroport, c’est tout un problème pour passer avec parce que c’est considéré comme un psychostimulant qui n’est pas autorisé. On ne va quand même pas se cacher pour soigner un mal qui est concret ! Ce n’est pas normal que ce soit ainsi parce que tout le monde peut avoir un enfant atteint de ce trouble-là. Ces enfants ne sont pas bêtes, c’est seulement le trouble qui fait qu’ils ne peuvent pas utiliser leur intelligence. On ne doit donc pas les sacrifier.
RIB : Est-ce que la Ritaline ne crée pas une dépendance avec le temps ?
KK : C’est ce qui a appelé à la prudence chez les Français. Les gens pensent que cette pilule n’est pas sans effets secondaires. En plus comme c’est un psychostimulant, elle doit stimuler le cerveau. On se demande si ça ne va pas créer une dépendance. Mais jusque-là dans mes lectures, je n’ai pas encore lu un cas d’enfant qui présente une dépendance après avoir consommé la Ritaline. Selon les publications que j’ai consultées sur la question, à l’âge adulte les choses se stabilisent. Mais comme le médicament est assez récent, je pense que les recherches permettront de mieux nous situer.
RIB : Quels conseils avez-vous à l’endroit de parents qui remarquent que leurs enfants sont hyperactifs et ont du mal à suivre en classe ?
KK : C’est de ne pas hésiter à consulter et de demander l’avis d’un spécialiste et j’insiste sur ce point. Cela pour que l’on puisse faire le diagnostic différentiel parce que les gens arrivent ici en ayant à l’idée qu’on va leur dire que leur enfant est autiste. C’est ainsi que l’on pourra leur proposer une prise en charge qui va comprendre deux volets : la prise en charge psychologie et celle médicamenteuse. Les deux vont ensemble. Il y a des parents qui refusent d’admettre que leur enfant a un problème, même lorsque l’enseignant essaie de le leur faire comprendre. Pour eux, consulter un psychiatre reviendrait à dire que leur enfant est fou. Ils retardent ainsi le diagnostic alors que cela joue énormément sur la vie scolaire de l’enfant. C’est généralement quand l’enfant a échoué trois ou quatre fois au BEPC, par exemple, qu’ils se résolvent à aller consulter. Alors qu’à ce moment, l’enfant aura déjà accusé un grand retard. Il faut donc éviter de traîner à consulter.
Propos recueillis par Armelle Ouédraogo (Stagiaire)