8 mars 2019 : « Qu’on soit policière, médecin ou simplement femme au foyer, chacune doit se sentir concernée par le problème de sécurité au Burkina », Jocelyne Dabiré
La 162e journée internationale de la femme se tient au Burkina Faso sous le thème « Contribution de la femme à l’édification d’un Burkina de sécurité de paix et de cohésion sociale ? » A cette occasion, Radars Info Burkina est allé à la rencontre de Mme Somé, Née Dabiré Jocelyne, commissaire principal de police et présidente de l’association des fonctionnaires féminins de la police nationale, pour évoquer le rôle de la femme dans la lutte quotidienne contre le terrorisme.
Radars Info Burkina : On sait que la formation à l’école de police n'est pas facile. Est-ce que les femmes et les hommes subissent la même formation ?
Jocelyne Dabiré : Nous subissons tous la même formation. Il n’y a pas de module élaboré uniquement pour les femmes. À l’académie ainsi qu’au niveau de l’école nationale de la police, ce sont les mêmes modules qui sont dispensés indistinctement aux hommes et aux femmes. On est soumis aux mêmes épreuves. Mais pour ce qui concerne les épreuves physiques et les compétitions sportives, le barème n’est pas le même. En dehors de cela, c’est la même chose que nous faisions en classe. Physiquement, les épreuves sont les mêmes, donc je peux dire qu’on est formé de la même manière.
RIB : Comment, en tant que femme, vous arrivez à faire votre métier de policière, notamment dans le maintien de l’ordre, à assurer la sécurité ?
DJ : Ce n’est pas évident effectivement lorsqu’on définit la sécurité comme étant l’usage de la force de façon systématique, mais dans la sécurité il y a aussi de la prévention et même en matière de répression ce n’est pas que l’usage de la force, l’usage de la force se fait de façon proportionnelle. Cela suppose de la planification, de la coordination et de l’organisation. Je pense que les femmes arrivent a bien s’y faire. Maintenant, l’usage de la force vient en dernier recours. Généralement, il y a des femmes aussi fortes que les hommes, mais il peut arriver qu’il n’y ait que des hommes pour exercer la force pure. Dans ce cas aussi, on a la possibilité d’utiliser cette équipe-là, qui est spécialisée dans son domaine. Sinon la sécurité publique demande beaucoup plus comme les renseignements, de la police judiciaire, des enquêtes, protéger des victimes. Et je pense que véritablement, il y a beaucoup de tâches ou les femmes peuvent vraiment exceller.
RIB : Selon vous, quel peut être le rôle de la policière dans la consolidation de la cohésion sociale ?
DJ : Le mandat de la police nationale est aussi celui de la policière. Il s’agit de mettre en œuvre les lois et les règlements qui sont votés par des élus du peuple, qui visent à assurer une certaine cohésion sociale, qui visent à permettre le vivre-ensemble. Le mandat de la police nationale est de veiller donc à la mise en œuvre de ces lois et règlements. En tant qu’actrices de cette institution, nous travaillons dans ce cadre : veiller à ce que les règles qui ont été édictées puissent être respectées, à promouvoir les droits humains, à les mettre en œuvre et à travailler à garantir des prestations de qualité au sein de nos différents services. Il faut ajouter que nous avons un rôle d’orientation, de conseils, de protection. Parfois, la cohésion sociale est remise en cause par la naissance d’un certain nombre de frustrations. Donc dans nos services, lorsque nous arrivons à faire en sorte que la situation se stabilise, nous travaillons dans le sens de la cohésion sociale et donc de la consolidation de la paix.
RIB : Comment arrivez-vous à concilier vie de famille et métier de policière ?
DJ : À mon avis, il s’agit d’une question d’organisation. Il faut organiser sa vie, rechercher un équilibre. Pour une femme qui décide d’avoir une carrière qui prend du temps, effectivement il y a des fois où la vie de famille en pâtit, quand on décide d’aller à la maternité la carrière aussi en pâtit. C’est vraiment une recherche d’équilibre, c’est le réel défit qu’on a actuellement en tant que femme en quête d’une certaine autonomisation.
RIB : Que pensez-vous des stéréotypes liés au métier de policière ?
DJ : On entend un certain nombre de stéréotypes liés au métier de policier, mais je me dis que le choix de carrière est parfois lié à une certaine nature. On fait le choix par rapport à sa capacité de résister, par rapport à un certain nombre de choses dans la vie. Pour moi, quand quelqu’un est autoritaire ou intransigeant, cela est lié plus à son caractère, à sa personnalité qu’au métier qu'il exerce. A partir du moment où la femme entre dans un domaine où on ne s’attendait pas à la voir, on se dit forcément qu’il y a un comportement qui n’est plus trop femme. Pourtant, nous sommes juste des femmes. Mais quand on est en tenue, on exerce l’autorité telle qu’encadrée par les textes. Je dirai que c’est un jeu de rôle. C’est un statut qu’on occupe.
RIB : Comment se passe la collaboration avec vos collègues hommes ?Quelles sont les difficultés ?
DJ : Je pense que les hommes ont reçu une certaine éducation, et les formations dans les écoles n’arrivent pas à les modeler, de sorte que leurs préjugés ne prennent pas le dessus. Quand j’étais en formation, je me souviens que je passais et généralement les groupes ne me donnaient pas systématiquement la ration, j’étais la seule femme dans un groupe de 9, donc huit hommes qui n’avaient pas du mal à imposer leur autorité, et moi il fallait de la négociation de sorte qu’un jour j’ai dû consigner deux compagnies automatiquement. L’effet que cela a produit c’est que j’étais la plus méchante. Ce n’est pas du tout facile, mais c’est un processus qu’on a entamé, je pense que tous les services burkinabè sont dans ce processus, on se dit qu’à la longue, on ne sera pas étonné de voir une femme ministre, députée.
RIB : Selon vous, comment les femmes peuvent contribuer à repousser le terrorisme au Burkina ?
DJ : C’est vrai que le terrorisme est venu accentuer les choses, mais je pense que la lutte contre le terrorisme suppose une lutte quotidienne contre l’insécurité. Et à chaque fois qu’il y a une faille liée à la sécurité quotidienne, c’est aussi une faille qui peut profiter aux terroristes.
En tant que femmes, je sais qu’il y a en qui sont mères, qui ont un rôle très important dans leur famille. Donc je me dis qu’il faut repartir au niveau familial et retravailler l’éducation. C’est vrai que la conciliation entre la carrière et la vie de famille est parfois difficile, mais il ne faut pas vraiment privilégier la carrière au détriment de la famille, parce que c’est la cellule de base d’une société. Lorsqu’on veut que le futur change, généralement il faut travailler sur les futurs animateurs de l’avenir. Créer un environnement propice, sain pour les enfants, cela suppose qu’on revienne sur l’éducation des enfants, sur le savoir-vivre et qu’on leur apprenne des règles basiques comme le respect des aînés , le respect de la règle. Ensuite je pense qu’au niveau de la communauté, il faut que chacun aille dans la mobilisation communautaire, qu’on s’intéresse à ce qui peut être fait. On a intérêt à ce que chaque femme s’associe à un ensemble pour voir quel pan du problème elle peut résoudre. Parce qu’il y a vraiment plusieurs questions qui sont posées, chacun peut travailler à relever le pan et faire en sorte que la société aille mieux, on est tous interpellé autant que nous sommes. Qu’on soit policière, femme au foyer, médecin, etc., chacune doit se sentir concernée par le problème, savoir qu’on peut être même responsable du problème, mais aussi en être la solution.
Propos recueilli par Edwige Sanou