dimanche 24 novembre 2024

Autonomisation de la femme : « La révolution a donné tout sur un plateau d’argent à la femme burkinabè… La femme a vraiment eu toute sa noblesse sous la révolution », Aminata Ouédraogo/Bakayoko, membre des CDR sous la révolution

amina uneBien que la citoyenneté politique ait été reconnue aux femmes burkinabè depuis 1956, leur capacité à participer au développement et à la consolidation de la paix et de la cohésion sociale reste très peu valorisée et utilisée. Pourtant, le capitaine Thomas Sankara, surnommé « l’homme des femmes » pendant la révolution, avait su tracer les sillons pour faire de la femme le socle d’un développement endogène et harmonieux. Dans les Comités de défense de la révolution (CDR), bras armé de la révolution, les femmes se distinguaient remarquablement, tant elles jouaient bien les mêmes rôles que les hommes. Le thème de la célébration du 08 mars 2019 : « contribution de la femme à l’édification d’un Burkina Faso de sécurité, de paix et de cohésion sociale », dans ce contexte sécuritaire difficile, marqué par la recrudescence des attaques terroristes, vient rappeler que la lutte contre la nébuleuse ne peut se faire efficacement en écartant l’autre moitié du ciel.  Rencontrée par Radars info Burkina, Mme Aminata Ouédraogo née Bakayoko, journaliste à la retraite et femme CDR sous la révolution, à l’occasion de la célébration  de la 162e Journée internationale des droits de la femme, nous fait voyager dans le temps en nous rappelant le rôle que la femme a joué sous la révolution. Un rôle qui, pour elle, est plus que d’actualité au regard des défis sécuritaires actuels.

                                                                                               

Radars info Burkina : Au regard des défis sécuritaires, le Burkina Faso a décidé d’accentuer les réflexions de la commémoration du 08 mars 2019 sur le rôle et la place de la femme dans la consolidation de la paix et la cohésion sociale. Vous qui sous la révolution avez fait partie des Comités de défense de la révolution (CDR), qui étaient le bras armé de la révolution, comment appréciez-vous ce regard tourné vers la femme pour aider à endiguer la nébuleuse terroriste ?

Aminata Ouédraogo/ Bakayoko : Je suis contente que le thème de la célébration du 08 mars 2019 au regard de la situation sécuritaire, fasse un appel à la femme. Je pense que ce n’est qu’un retour à la case départ. La femme, dans le temps, n’était pas quelqu’un qui s’exposait et se mettait en avant. C’était une personne qui était en arrière, mais qui était efficace pour ses conseils, ses réflexions et le fait qu’elle attirait l’attention de son homme sur des cas, car la femme a un sixième sens. Quand elle sent des choses, elle le dit en amont. Parfois c’est compris, parfois c’est incompris. Nous, en tant que femmes et mères, avons ce rôle à jouer, parce que nous sommes des procréatrices et, en tant que telles, c’est nous qui devons inculquer certaines valeurs, notamment la non-violence, la tolérance, le respect, la politesse, la sagesse, aux enfants afin de les aider à bien grandir dans la société. C'est tout ce qu'il y a de sérieux, et réfléchir sur le rôle de la femme dans ce contexte sécuritaire n’est pas juste fait pour faire plaisir à la femme. Je souhaite que nous, les femmes, nous saisissions la balle au bond pour jouer parfaitement notre rôle dans cette situation sécuritaire. Nous sommes celles qui sont le plus à la maison. A ce titre, nous voyons les gens aller et venir. C’est à nous donc d’apprendre à nos enfants à être vigilants en faisant attention aux gens qu’ils côtoient, à qui ils parlent et de toujours prévenir quand ils voient une nouvelle personne ou des activités subversives de la part de certaines personnes. Il faut que les enfants n’aient pas peur de nous faire le retour. La révolution a donné tout sur un plateau d’argent à la femme burkinabè. C’est sous la révolution qu’on a commencé à dire aux hommes de faire le marché au masculin. En son temps, cela avait fait rire certains, d’autres l’ont mal pris, mais certains l’ont compris. Il y a des femmes aussi qui ne l’ont pas bien compris et qui l’ont mal exploité. Cela a renforcé certains liens et en a détérioré d’autres. Mais c’est humain, quand un nouveau paradigme ou une nouvelle manière de faire apparaît, on a tendance à regarder faire, avant de s’y lancer. Mais sinon, la femme a vraiment eu toute sa noblesse sous la révolution. Je vous raconte cette anecdote : « Pour rédiger le Code des personnes et de la famille , le président Sankara nous a demandé de sillonner le pays afin de causer avec nos sœurs, nos mères et nos filles des campagnes pour recueillir leurs avis sur la monogamie et la polygamie afin de voir quel choix opérer comme forme intégrale et unique de mariage. Quand on est parti, on est revenu lui dire qu’il fallait qu'on retienne la monogamie comme forme unique de mariage. Il nous a alors demandé si nous avions réellement causé avec nos sœurs et si nous avions pris réellement en compte leurs préoccupations. C’est ainsi qu’il nous a demandé de repartir, et cette fois-ci aux confins du pays, pour revenir avec  les vrais éléments, car il ne voulait pas qu’on prenne une loi qui soit à l’encontre de la femme ou qui va faire son malheur. On est alors reparti, mais je vous assure qu’au moins 90% des femmes étaient pour la polygamie et qu’elles avaient leurs arguments. Quand nous sommes revenus et que nous lui en avons rendu compte, le président Sankara a dit que vu que nous étions pour la monogamie alors que beaucoup de nos sœurs étaient pour la polygamie, on allait faire une ouverture. Lui-même, je suis sûr qu’il était pour la monogamie, mais comme il ne voulait pas imposer son point de vue, il a préconisé  cette ouverture. » Il y avait aussi la situation des enfants illégitimes, c'est-à-dire les enfants nés hors mariage, qui ne pouvaient pas hériter de leur papa car n’étant pas reconnus, qui a trouvé une solution sous la révolution. Au début, cela n’a pas été compris, car les hommes considéraient que cela était une opportunité donnée aux femmes d’aller faire des enfants dehors et de venir faire porter le chapeau au mari, en oubliant que ce sont eux les hommes généralement qui font des enfants dehors et refusent souvent de les reconnaître. C’est pour dire qu’en réalité sous la révolution, l’épanouissement de la  femme était au cœur des préoccupations du président. Si vous écoutez même les discours de Thomas Sankara, il disait que les hommes traumatisent et maltraitent  les femmes et qu’un homme, soit-il le plus malheureux de la terre, soit-il le dernier de la terre, s’il a une personne à opprimer, c’est sa femme. Je pense donc que le respect de la femme doit être inculqué à l’enfant dès le berceau : qu’on apprenne au petit garçon qu’il n’a pas plus de droits que sa petite sœur, qu’il n’est pas supérieur à elle et qu’il lui doit du respect. S’il apprend à la maison à travailler avec sa sœur, à la respecter et à la considérer, il va de soi que lorsqu’il sera plus grand, il va considérer sa petite copine, son épouse et la femme en général.

RIB : En parlant de vous, concrètement, comment ça s’est fait pour que vous vous retrouviez membre active et engagée des CDR ?

AOB : Très jeune, j’ai été militante dans les mouvements associatifs. J’ai même été déléguée de mon lycée. J’ai continué dans cette dynamique et lorsque la révolution est venue, je me suis engagée. Vous savez, les discours du capitaine Thomas Sankara,c'était ce que tout le monde voulait entendre, c’était ce que tout le monde voulait pour son pays : prouver qu’on peut se développer soi-même. Il voulait que les Burkinabè soient un peuple battant, qui sait ce qu’il veut, se défend et sait se faire respecter. Je me suis donc engagée, car jusqu’à demain, je suis pour cette philosophie et je veux que,  quel que soit notre sexe, on se fasse respecter et qu’on se fasse valoir. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, car les gens veulent la courte échelle et sont donc enchaînés dans la corruption qui est devenue une façon de vivre et de penser. Il faut donc qu’on se ressaisisse, car ce n’est nullement par cette façon de vivre et de penser qu’on peut construire un pays.

RIB : Sous la révolution, en plus d’être une femme engagée, vous étiez avant tout une femme au foyer, une épouse, une mère. Comment avez-vous réussi à concilier les deux ?

AOB : On dit généralement qu’on a peur de la personne qui vous respecte. Quand vous vivez avec quelqu’un qui vous respecte, qui vous écoute, qui vous valorise, qui vous soutient et qui vous accompagne, rien n’est impossible. A votre tour, vous devez respecter cette personne, la valoriser, l’écouter et la flatter. Personnellement, je n’ai pas eu de problème avec mon époux concernant mon engagement dans les CDR. Il m’a toujours accompagnée et soutenue. Pendant les couvre-feux, il m’accompagnait pour le journal télévisé ainsi que les différents montages des films, car pendant la révolution, on tournait beaucoup. Ça faisait que lui-même il connaissait le mot de passe et était même partisan des idéaux du capitaine. Parfois, on descendait au petit matin, mais toujours, il revenait me chercher. Franchement, à ce niveau ainsi que sur le plan professionnel, mon engagement ne m’a pas causé du tort. Tout est une question d’organisation. De la mère aux tantes en passant par la belle-famille, j’avais toujours quelqu’un pour s’occuper des enfants pendant que je vaquais à mes occupations professionnelles ou de militante CDR. Les « bissongo » avaient aussi été initiés au temps de la révolution pour que les femmes qui n’avaient pas les moyens d’envoyer leurs enfants dans les crèches aient quelqu’un pour s’occuper d’eux, mais les « bissongo » n’existent plus aujourd’hui.

amina 2RIB : Aujourd’hui, la question sécuritaire est d’actualité avec les différentes attaques terroristes que connaît le pays ces dernières années. Ceux qui ont connu la révolution ont la nostalgie des CDR, car pour eux la méthode de ce bras armé de la révolution servirait beaucoup aujourd’hui à endiguer la nébuleuse terroriste. Vous qui avez été membre des CDR, pensez-vous qu’un voyage dans ce passé-là permettrait de venir à bout de ces attaques barbares ?

AOB : Oui, je pense que la bonne  méthode CDR peut être une solution, car il faut aussi avouer que sous le CDR, il y a eu aussi des dérives. Il y a des gens qui ont profité des CDR pour faire des règlements de comptes. Ce qui a entaché un peu la révolution, car jusqu’aujourd’hui, il y a des gens qui en veulent à la révolution, puisque pour ces règlements de compte, des gens ont eu à perdre leur travail et d’autres ont même perdu la vie. Mais c’est comme l’a dit Thomas Sankara, lorsqu’il a voulu mettre en place les CDR, il a demandé aux fonctionnaires d’intégrer, mais les gens n’ont pas voulu. Les fonctionnaires sont donc restés derrière et ont laissé les devants aux désœuvrés  et sans emplois qui imposaient des manières de faire qui n’étaient pas bien, car ils exploitaient mal les directives et le pouvoir qu’on leur a donné. Le président Sankara a eu même à les dénoncer en les traitant de « CDR brouettes ». Les CDR étaient des gens qui sillonnaient les quartiers, les secteurs qui connaissaient les gens et qui étaient à leur écoute. Tous les malfaiteurs avaient même plus peur des CDR que de la police, parce que lorsqu’ils les attrapaient, ils les manœuvraient sérieusement. La méthode CDR permettrait que dans un secteur, dans un quartier, n’importe qui ne vienne pas loger n’importe comment, faire ce qu’il veut et partir impunément. Pour que les attaques puissent avoir lieu au cœur de la ville, dans les villages profonds, il faut bien qu’il y ait des complicités. Les gens profitent de la pauvreté pour donner des maigreurs aux jeunes pour qu’ils aillent tuer des gens. Je pense que si ces CDR devaient revenir, il faudrait clarifier les choses dès le départ : ne pas faire d’exactions, de règlements de comptes, d’abus de pouvoir et que les forces de l’ordre restent à côté pour encadrer afin que les choses se passent bien. Cela va beaucoup permettre d’extirper du pays tous les gens qui se cachent et qui commettent ces actes ignobles. Ce qui se passe actuellement est dû au fait que nous sommes infiltrés. Il faut donc travailler à exfiltrer les mauvaises gens.

Propos recueillis par Candys Solange Pilabré/ Yaro

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