Pas de répit pour les juges du tribunal militaire de Ouagadougou dans la matinée de ce mardi 05 mars 2019. Tour à tour, le colonel-major Pierre Sanou, le colonel-major Sié Toué et le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba sont passés témoigner dans le cadre du procès du putsch de septembre 2015, qui dure depuis un peu plus d’un an maintenant. Si le colonel-major Sié Toué, au regard du temps écoulé entre les évènements et son audition de ce jour, a du mal à se souvenir avec exactitude de certains points qui ont marqué la réunion du 17 septembre 2015 entre la Commission de réflexion et d'aide à la décision (CRAD) et le président du Conseil national pour la démocratie (CND), le colonel-major Pierre Sanou, lui, a pu donner certains détails, accueillis comme pain béni par le général Diendéré. Des détails qui concordent avec certaines de ses déclarations à la barre et qui, selon lui, montrent que la hiérarchie militaire n’était pas contre le fait qu’il prenne les rênes du pouvoir. Quant au lieutenant-colonel Paul Henri Damiba, il rejette certaines parties de la retranscription de la communication qu’il a eue avec le général Bassolé entre le 26 et le 27 septembre 2015.
Le colonel-major Pierre Sanou a été le premier officier à passer à la barre pour dire ce qu’il savait des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants. Il dit avoir participé aux différentes réunions entre la Commission de réflexion et d'aide à la décision (CRAD) et le général Diendéré, en tant que membre de ladite commission et sur convocation du colonel major Alassane Moné, alors secrétaire général du ministère de la Défense et des Anciens Combattants. En ce qui concerne la réunion du 16 septembre 2015, le témoin affirme que le père spirituel de l’ex-RSP, en s’appuyant sur trois faits majeurs, a essayé de justifier l’arrestation des autorités de la Transition. Il s’agissait de l’exclusion de certains partis politiques des élections, de la loi sur le statut des forces armées nationales et de la dissolution programmée du RSP. « Le général a demandé à la hiérarchie d’assumer ce coup d’arrêt, mais la CRAD a refusé et s’évertuait à trouver des solutions pour une sortie de crise. Il a souhaité que les otages soient libérés afin d’apaiser le climat et d’éviter un affrontement avec la population. Face à l’intransigeance des éléments du RSP, une délégation composée du général Zagré, CEMGA, du colonel-major Alassane Moné, secrétaire général du ministère de la Défense et des Anciens Combattants, de l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo et de Monseigneur Paul Ouédraogo est alors allée au camp Naaba Koom II pour rencontrer les hommes. A leur retour, ils nous ont dit que la rencontre s’était mal passée et qu’on assistait à un échec cuisant des négociations. La CRAD a alors demandé au général d’assumer afin d’éviter le chaos. A ce stade, le coup d’Etat était presque consommé », a-t-il expliqué.
Quant à la réunion du 17 septembre 2015, l’officier supérieur note qu’elle a été plus une réunion d’information. Si lors de son témoignage, le général Pingrenoma Zagré, alors Chef d’état-major général des armées (CEMGA) a dit n’avoir jamais annoncé à tue-tête le général Diendéré comme président du CND avant qu’il ne prenne place, le colonel-major Sanou, lui, affirme le contraire. « Quand le général Diendéré est entré, tout le monde s’est levé et le général Zagré a pris la parole et a dit : ‘’le président du CND’’, avant que celui-ci ne prenne place », a-t-il souligné avant de préciser que cela n’était nullement une allégeance, mais une réunion d’information. A cette rencontre, le témoin affirme que le président du CND a déploré les deux morts qui étaient déjà connus et a annoncé que les négociations se poursuivaient pour une sortie de crise et que des mesures diplomatiques étaient en cours, notamment l’arrivée des chefs d’Etat de la CEDEAO.
Ce témoignage du colonel-major Sanou est accueilli par le général de brigade et son conseil comme pain béni, car étant en droite ligne avec ce que le président du CND a maintes fois déclaré à la barre. Toute chose qui prouve, selon Me Aziz Dabo, que « certaines déclarations de certains témoins sont des déclarations millimétrées et programmées » pour enfoncer le père spirituel de l’ex-RSP. Avant de rejoindre le box des accusés, le général Diendéré n’a pas manqué de remercier l’officier supérieur pour sa franchise à la barre.
« Que ce procès serve d'école aux jeunes frères d'armes »
Après le colonel-major Pierre Sanou, c’est le colonel-major Sié Toué, commandant du groupement central des armées au moment du coup d’Etat de septembre 2015, qui était à la barre. Contrairement au colonel-major Pierre Sanou, le colonel Toué, lui, n’a pas été convié à la réunion du 16 septembre 2015. Il affirme que c’est de façon informelle avec ses pairs qu’il a eu un débriefing sur la situation. A la réunion du 17 septembre 2015 à laquelle il a pris part, il affirme que Golf a fait savoir à l’assistance que c’est un mouvement d’humeur du RSP qui s’est soldé par un coup d’Etat qu’il assume avec le CND comme organe et a demandé l’accompagnement de l’armée pour son opérationnalisation. Il souligne que le président du CND a rassuré les uns et les autres de la sécurisation du pays, de la continuité des négociations avec notamment l’arrivée des chefs d’Etat de la CEDEAO et de la rencontre qu’il devait avoir avec Ibn Chambas qui était sur le sol burkinabè et les ambassadeurs de France et des Etats-Unis au Burkina Faso. L’autre aspect important mentionné par ce témoin est que lors de cette réunion, le général Diendéré a annoncé la libération des otages, excepté le président de la Transition Michel Kafando, le Premier ministre Yacouba Isaac Zida, le ministre de la Fonction publique, Augustin Loada, et le ministre de l’Habitat, René Bagoro. Pour les deux derniers, l’actuel attaché de défense près la représentation du Burkina Faso à Abuja a affirmé que le nouveau président du Faso a dit que le motif de leur rétention était qu’ils étaient des activistes de la société civile, mais qu’ils allaient être libérés plus tard.
Avant de quitter la barre, le colonel-major Sié Toué n’a pas manqué d’exprimer sa compassion aux parents de victimes et aux blessés. Il a surtout souhaité qu’à la lumière de ce procès ; l’armée burkinabè s’éloigne de la scène politico-politicienne pour se consacrer pleinement à la défense du territoire qui lui est dévolue. « Que ce procès serve d'école aux jeunes frères d'armes », a-t-il émis comme vœu.
La retranscription de certains audio remis en cause par le témoin
A la suite du colonel-major Sié Toué, c’est le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba, alors chef de corps à Dori, qui est passé témoigner. Contrairement aux deux autres, lui n’a participé à aucune des réunions. Au moment des faits, il a expliqué avoir interagi avec le général Gilbert Diendéré, le général de gendarmerie Djibril Bassolé et le commandant Abdoul Aziz Korogo, alors chef de corps par intérim du Régiment de sécurité présidentielle (RSP).
Dans la narration de son vécu, il dit avoir envoyé un message téléphonique au général Gilbert Diendéré et au commandant Korogo dans l’après-midi du 16 septembre 2015, lorsqu’il a eu vent de l’arrestation des autorités de la Transition. Dans sa réponse, il note que le chef de corps par intérim lui a fait savoir que face à cette situation dont il ne connaissait pas les tenants et aboutissants, il préférait démissionner de son poste. « Le commandant Korogo me disait qu’il allait démissionner, car en tant que chef de corps par intérim, il était mis devant les faits. Je lui ai alors dit qu’avant de prendre toute décision, il faut qu’il se tourne vers ses supérieurs, en l’occurrence le major Boureima Kiéré, alors chef d’état-major particulier de la présidence pour savoir la conduite à tenir », a-t-il expliqué.
S’agissant du général Diendéré, il affirme que c’est le 17 septembre que celui-ci a répondu à son SMS en lui disant de venir le voir au camp ; mais il était déjà en route pour son poste à Dori. Après avoir fait le point à son commandant de région, celui-ci lui a permis d’aller répondre à l’appel du général. C’est le 18 septembre 2015 donc qu’il affirme l’avoir rencontré. « Ce qui m’a vraiment marqué, c’est que le général Diendéré m’a dit qu’il a été avisé par le CEMGA, le général Zagré, de ma venue. Mais, il m’a dit qu’il ne voulait pas que ce soit vu comme un saut de hiérarchie. Je l’ai salué et ai rejoint Dori en faisant une halte à Kaya », note-t-il.
Quant au général Djibril Bassolé, il explique que dix ou onze jours après l’arrestation des autorités de la Transition, il a reçu un appel téléphonique et au bout de la ligne, la personne s’est présentée comme étant le général Djibril Bassolé. « Vers le 26 ou 27 septembre 2015, j’ai reçu un appel du général Djibril Bassolé qui me demandait si je venais en renfort à Ouaga. Je lui ai répondu que je n’avais reçu aucune instruction dans ce sens », a-t-il déclaré. Confronté à la retranscription de cette conversation téléphonique, le témoin ne se reconnaît pas dans certains propos. « Ce n’est pas réel. Il y a des passages qui n’ont jamais existé. Il y a d’autres transcriptions qui n’ont rien à avoir avec la communication que j’ai eue avec le général Bassolé… La partie où il demande si je venais en renfort à Ouaga, cela est vrai, mais la partie qui me fait dire que ‘’pour le moment je n’ai pas l’intégralité’’, je ne reconnais pas avoir tenu de tels propos », a-t-il martelé avant de demander au parquet de lui présenter l’audio qu’il a eu à écouter dans le bureau du juge d’instruction, car pour lui, c’est cette pièce qui traduit fidèlement sa conversation avec le général de gendarmerie.
Il faut rappeler que lors de son interrogatoire à la barre, le général Bassolé avait dénoncé du truquage et de la fabrication de preuves en ce qui concerne les écoutes téléphoniques qui font l’objet de sa poursuite au tribunal militaire de Ouagadougou.
Candys Solange Pilabré/Yaro