Le Comité international du mémorial Thomas Sankara (CIMTS) avait été bien inspiré de choisir comme date de présentation de la géante statue du leader de la révolution ce samedi 2 mars, journée marquant la clôture du FESPACO. Des médias internationaux présents dans le cadre de la biennale du cinéma africain ne se seraient, pour rien au monde, fait conter l’évènement, tout comme l’ex-président ghanéen John Jerry Rawlings, fidèle compagnon de Thom Sank, et de nombreux Very important personalities (VIP). Arrivée du président du Faso Roch Marc Christian Kaboré et de nombreuses hautes autorités nationales, revue des troupes, fanfare, hymne national, poing levé, discours nostalgiques et élogieux, dépôt de gerbes de fleurs à l’endroit où Sankara a été abattu. En somme, le déroulement du cérémonial était bien agencé jusqu’à ce que le rideau blanc soit ôté et dévoile le visage du camarade capitaine Noël Isidore Thomas Sankara. Les traits et la forme du visage sont loin de ressembler à ceux du camarade Sankara. Un désenchantement, une honte à la hauteur de la statue (5 mètres en ronde-bosse montée sur un socle de 3 mètres de haut en forme pyramidale) qui frise le ridicule et une honte nationale.
Tout sauf Sankara
Timides applaudissements, regards de désapprobation, clins d’œil, gêne, murmures dans la foule. La découverte du visage du monument a glacé les convives. Certains n’hésiteront d’ailleurs pas à exprimer à haute voix leur indignation : « Ça là, ce n’est pas Sankara ! » « Are you sure it’s Thomas Sankara ? » (Êtes-vous sûrs qu’il s’agit de Thomas Sankara ?) s’étonne un de nos confrères anglophone.
« C’est tout sauf Sankara, il faut le reprendre, au moins la tête… », suggère l’artiste sénégalais Didier Awadi, dont le studio à Dakar porte le nom de l’ex-président burkinabè.
Pour certains, le plus important, c’est qu’il y ait eu ce premier pas et surtout la présence de membres de la famille de Sankara qui, au départ, voyaient d’un mauvais œil qu’un monument soit érigé dans l’enceinte du Conseil de l’entente, où leur proche a trouvé la mort en même temps que douze de ses compagnons.
Les réseaux sociaux, aussitôt, s’embrasent. Certains facebookers et bloggeurs ironisent en ces termes : « Même Blaise Compaoré a fait un communiqué pour dire que ce n’est pas ce Sankara qu’il a tué. », « Il ressemble trop à Naaba Kiba, à Zida, Dadis Camara, Noufou Ouédraogo… »
Une certaine frange d’internautes fait remarquer que même le pseudonyme que les fans ont donné à leur héros (Thom Sank, abréviation de Thomas Sankara) a été mal orthographié (Tom Sank) sur la poitrine de la statue. « On ne veut pas de Tom Sawyer, respectez Thomas Sankara », s’indignent ces derniers.
La rectification du comité de pilotage et l’entêtement du concepteur du « chef-d’œuvre »
Ce tollé a obligé le comité de pilotage à publier un communiqué digne d’un mea culpa. « Il est prévu d’apporter les derniers recadrages après implantation de la statue en tenant compte des distances, volumes et angles de vision. Les dernières corrections seront donc portées», y lit-on. Même si dans sa teneur il reste peu convaincant, cet écrit est d’une humilité à saluer. « Les révolutionnaires n’ont pas peur de leurs fautes. Ils ont le courage politique de les reconnaître publiquement, car c’est un engagement à se corriger, à mieux faire », avait déclaré le défunt leader de la révolution burkinabè.
Le concepteur du monument, Jean-Luc Bambara, par contre, persiste et signe : la statue serait conçue pour être vue de loin. Les vrais traits ne seraient visibles qu’à au moins 200 mètres et non au pied de la réalisation. C’est un avis que ne partagent pas de nombreux citoyens, y compris des spécialistes de la sculpture qui rient sous cape.
Des zones d’ombre demeurent après la découverte de « ce colosse du Conseil de l’entente ». Pourquoi avoir anticipé la présentation d’une œuvre esthétiquement inachevée ? Comment les membres du comité de pilotage ont-ils pu valider l’ouvrage et organiser une réception en grande pompe ? L’opinion publique doit-elle espérer une cérémonie de « rectification » ? Pour les archives audiovisuelles, cet aspect apparaît comme une nécessité pour l’histoire.
Seul un laxisme pourrait expliquer cette démarche. Si l’erreur est humaine, il convient toutefois, à la lumière de ce premier acte, de se poser des questions sur la suite de ce projet pharaonique. En effet, à l’instar de cette figure géante entièrement réalisée au Burkina Faso par une équipe de 57 personnes, il est prévu l’érection d’un mémorial sur 4 hectares à travers plusieurs thèmes qui reflètent les idéaux du capitaine Thom Sank.
Il faut craindre que les éventuels mécènes et autres donateurs hésitent à délier les cordons de la bourse. A ce jour, le Comité international mémorial Thomas Sankara a pu officiellement mobiliser un peu plus de 1 milliard 23 millions de francs CFA sur les 5 milliards initialement annoncés et attendus.
Sous l’ère Sankara (1983-1987), de gigantesques projets, aujourd’hui encore visibles, ont été réalisés en un temps record. Il a fallu tuer dans l’œuf l’amateurisme et faire preuve de rigueur pour parvenir à des résultats qui traversent le temps et qui séduisent les plus sceptiques. Thom Sank, véritable adepte de la satire, s’extasie certainement de toute cette polémique post mortem.
Boubié Richard Tiéné