Après le colonel-major Raboyinga Kaboré, Chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) pendant les évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants, un autre haut gradé de l’armée burkinabè était à la barre du juge Seidou Ouédraogo en qualité de témoin dans le cadre du putsch de septembre 2015. Il s’agit du général de division Honoré Nabéré Traoré qui était aux commandes de l’armée burkinabè jusqu’à l’insurrection populaire d’octobre 2014. Son témoignage entre en droite ligne avec ceux de ses pairs de la hiérarchie militaire déjà passés à la barre. Le général trois étoiles affirme que dès la rencontre du 16 septembre 2015 sous l’œil des médiateurs, les chefs militaires ont opposé leur refus catégorique d’accompagner le père spirituel de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP), le général de brigade Gilbert Diendéré, dans ses velléités de coup d’Etat et cela, malgré son insistance.
A l’instar des autres chefs militaires déjà passés à la barre pour leur témoignage, le général de division Honoré Nabéré Traoré ne reconnaît pas le fait que la hiérarchie militaire ait accompagné le général Gilbert Diendéré dans la consommation du coup d’Etat, comme il le martèle depuis son audition. En effet, il explique qu’aux différentes réunions de la Commission de réflexion et d’aide à la décision (CRAD), convoquées les 16 et 17 septembre 2015 à la demande du général Gilbert Diendéré, les chefs militaires ont opposé leur refus catégorique à un éventuel coup d’Etat, et ce, malgré son insistance. « D’une façon générale, tout le monde a désapprouvé ce coup de force. Mais il a dit qu’il avait besoin du soutien de l’armée et cela est revenu à plusieurs reprises », note-t-il, avant d’ajouter : « Il ne voulait pas que le coup d’Etat soit vu comme une action du RSP, mais celle de toute l’armée ».
Selon son récit, à cette rencontre, Golf a égrainé trois principales raisons qui ont poussé les éléments de l’ex-RSP à l’action : l’exclusion de certaines personnes du jeu électoral, la dissolution programmée du RSP et l’élévation controversée du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, alors Premier ministre, au grade de général de division par le président de la Transition Michel Kafando. Une nomination que le témoin qualifie de « triple saut » car, dit-il, c’est du jamais vu dans l’armée burkinabè, puisque avec cette élévation le Premier ministre fait un bond de treize ans, foulant ainsi aux pieds les règles établies en la matière. Ce qui passait difficilement au sein des forces armées nationales, notamment de la hiérarchie militaire. Mais le général trois étoiles ajoute que même s’il ne voyait pas d’un bon œil la Transition, il n’était pour autant pas d’accord qu’on mette fin à sa marche par la force. « J’ai pris la parole à la réunion de la CRAD le 16 pour dire que j’étais contre la Transition, mais je n’étais pas pour le coup de force », a-t-il souligné.
Selon le témoin, le président du CND a souligné que ce sont toutes ces raisons qui ont poussé les hommes à mettre un coup d’arrêt au pouvoir de la Transition. Toutefois, le témoin affirme que le général de brigade, au cours de cette réunion, a exprimé le désir des éléments de remettre le pouvoir à l’armée afin de repartir sur de nouvelles bases. Mais appelés à la barre (les adjudants-chefs Moussa Nébié dit Rambo et Jean Florent Nion, le major Eloi Badiel, le capitaine Zoumbri, le commandant Korogo), aucun des sous-officiers partis chercher le général Diendéré à son domicile après l’arrestation des autorités de la Transition et aucun des officiers ayant participé à la rencontre avec Golf une fois escorté au camp n’a reconnu avoir donné des mobiles au père spirituel du RSP pour justifier la confiscation du pouvoir. Toute chose qui fait conclure à Me Pierre Yanogo de la partie civile que « les éléments du RSP n’ont eu aucune raison d’agir le 16 septembre 2015. Personne n’a donné au général des raisons à exposer à la CRAD. Pourtant à la réunion de la CRAD, il a mis toutes ses revendications sur le dos du RSP. Ses raisons ont été conçues par lui seul ».
Quoi qu’il en soit, l’ancien chef d’état-major général des armées constate que les propositions des chefs militaires et des médiateurs lors de la réunion de la CRAD le 16 septembre 2015 ont été rejetées par les éléments du RSP, à en croire Golf, qui a été mandaté pour aller les leur exposer. Il s’agissait de la libération des autorités, de la mise en place d’un organe de médiation incluant l’armée et de l’élaboration d’un communiqué pour rassurer les populations. « Il (le général Diendéré) ne m’a pas donné l’impression d’être un médiateur. Si on l’avait suivi, comme cela, il serait le président du CND. Franchement nous (les chefs militaires) nous sommes exprimés sans ambiguïté. C’est pourquoi la réunion a pris tout ce temps. Il nous a suppliés de le soutenir, mais nous avons catégoriquement refusé. Il ne pouvait pas comprendre cela autrement », souligne-t-il.
Quant aux humiliations qu’aurait subies l’armée pendant la Transition du fait des agissements du Premier ministre de l’époque, et maintes fois évoquées par l’ancien chef d’état-major particulier de la présidence du Faso, l’ancien chef d’état-major général des armées fait porter le chapeau au commandement du RSP. « En octobre 2014, il y a effectivement eu des humiliations de la hiérarchie militaire du fait du Premier ministre, mais c’est de leur faute (les chefs militaires du RSP), car c’est eux qui ont envoyé leur second couteau à notre réunion », a-t-il lancé au général Gilbert Diendéré.
« Ça allait être une grosse erreur de l’arrêter »
On se rappelle que pendant sa déposition à la barre le présumé cerveau du coup d’Etat de septembre 2015 a affirmé que si la hiérarchie était contre son entreprise de prendre le pouvoir, elle avait les moyens de l’arrêter. Il a été soutenu hier par le colonel-major Raboyinga Kaboré qui avait déclaré que la hiérarchie militaire aurait pu le mettre aux arrêts et procéder à un échange d’otages contre les autorités de la Transition. Interrogé sur la question, le général Honoré Nabéré Traoré réplique : « Ça allait être une grosse erreur de l’arrêter. Si on l’avait fait, il allait y avoir un échange de tirs et ce serait du désordre. Ce n’est pas une idée qui nous a traversé l’esprit. De plus, aucun texte ne nous permettait de l'arrêter, car il parlait au nom d’une unité ». Toutefois, le témoin note que les choses auraient pu se dérouler autrement le 16 septembre 2015 et jours suivants, si Golf avait utilisé la brutalité au cours de la réunion du 16 septembre 2015. « Tout cela s’est passé ainsi parce qu’il (le général Diendéré) a voulu être conciliant avec nous. Il n’est pas venu en se disant qu’il allait nous obliger à le suivre. Ça ne se fait pas ainsi sous d’autres cieux. Il n’est pas venu avec la brutalité sinon les choses pouvaient se passer autrement. Ça aurait pu changer s’il avait usé de la brutalité. On était au ministère de la Défense. On était lourdement encerclé », a-t-il reconnu. Et Me Prosper Farama, avocat de la partie civile, de réagir « sur ce point, le général Diendéré a raison de dire que vous (la hiérarchie militaire) êtes dans la mollesse. Effectivement, la hiérarchie militaire a eu une posture équivoque. Ce type de vision a permis d’asseoir ce que nous avons vécu », avant de s’étonner : « Un militaire subordonné vient vous dire qu’il vient de mettre un coup d’arrêt à un régime et vous dites qu’il n’y a pas de texte qui permette de l’arrêter ! De ma petite vie, je n’ai jamais vu un putschiste faire marche arrière tout simplement parce qu’on lui a dit de le faire ».
Face au refus de Golf de répondre à ses questions, Me Hervé Kam de la partie civile note dans ses observations que toutes les déclarations sont concordantes au détriment du général Diendéré. Ce qui montre, selon lui, que la vérité émane des témoins et non de l’accusé. « Depuis que l’audition des témoins a commencé, il y a une certaine concordance des témoignages, mais qu’une seule personne remet en cause, le général Diendéré. Pour lui, tout le monde ment, sauf lui. Mais entre les témoignages de témoins assermentés qui s’appuient sur la réalité des faits et des déclarations d’un accusé, le tribunal appréciera », observe-t-il.
De ce témoignage, le parquet retient qu’il a l’avantage d’apporter plus de clarté quant à l’agenda caché du général de brigade, lorsqu’il portait les habits de médiateur entre les éléments du RSP et la CRAD. Pour lui, l’ancien chef d’état-major général des armées vient confirmer que le président du CND n’a jamais voulu négocier, mais qu’il voulait légitimer le coup d’arrêt de la Transition.
Candys Solange Pilabré/ Yaro