Le Barrage de Loumbila a été réalisé en 1947 avec pour objectif l’approvisionnement en eau potable de la ville de Ouagadougou. De nos jours, plusieurs autres activités sont menées autour de cet ouvrage. En effet, l’on note l’occupation des berges et de la cuvette de la retenue d’eau par les maraîchers avec pour conséquence l’envasement qui occasionne une diminution de la capacité de stockage de l’ouvrage, l’usage incontrôlé de produits chimiques, la spéculation foncière autour du barrage, le prélèvement clandestin de l’eau pour les travaux de génie civil, d’activités agricoles et de fermes d’élevage. Le Comité Locale de l’eau (CLE) de Massili Nord a pu dénombrer deux mille six cent quatre-vingt-six (2686) usagers dont deux mille trois cent vingt-trois (2323) maraîchers, cent vingt-huit (128) sylviculteurs, sept (07) éleveurs, deux cent dix-neuf (219) pêcheurs, huit (08) hôtels et une (01) adduction d’eau potable qui est l’ONEA. Autant d’activités qui menacent aujourd’hui la survie du barrage de Loumbila tant dans la quantité de l’eau que sa qualité. Déjà en 2012, un atelier avait permis aux différents acteurs mener la réflexion pour une pérennité du barrage. Au bilan après 06 ans mise en œuvre on note un taux de réalisation de 41%. Un faible taux qui se justifie par la réticence des populations riveraines, les changements institutionnels et la dissolution des conseils municipaux en 2014. Afin de relancer les différentes activités, les acteurs, à l’initiative de l’Agence de l’Eau du Nakambé (AEN), se sont retrouvées le jeudi 12 avril 2018 pour faire le bilan de mise en œuvre et également formuler des recommandations pour la période à venir. Au lendemain de cet atelier de réflexion sur l’avenir du barrage de Loumbila, madame le gouverneur Nana Fatoumata Benon/Yatassaye a pris deux arrêtés interdisant désormais les maraîchers installés aux abords du barrage de Loumbila de reprendre de nouveaux cycles de production et les entreprises des bâtiments et travaux publics (BTP) d’y prélever de l’eau, et ce jusqu’à nouvel. Cela, dans la perspective de sauver ce poumon économique de la région du Plateau Central. Dans cette interview accordée à Radars Info Burkina, madame le gouverneur revient sur les enjeux de sa décision et sur sa vision de la préservation du barrage de Loumbila au profit des générations à venir.
Radars Info Burkina : Quel est l’apport du barrage de Loumbila dans le développement socioéconomique de la région du Plateau Central ?
Nana Fatoumata BENON/YATASSAYE : L’apport du barrage dans les activités socioéconomiques est énorme. A l’image du Pôle de développement de Bagré, le barrage de Loumbila, ses rives, son lac ont connu des investissements importants tant de la part de l’Etat que des particuliers, de sorte qu’il constitue de nos jours un pôle incontestable de développement économique régional et national qu’il faut préserver impérativement. Nous avons par exemple la ferme semencière de Loumbila, qui fournit des semences améliorées à tout le pays, l’Usine de production de concentré de tomates en construction, Le centre d’amélioration des espèces animales, et surtout des fermes pour l’élevage et l’agriculture mis en place par une multitude d’investisseurs privés, des hôtels comme Loumbila beach, Lagoon Lodge. Tous ces investissements sont source de revenus des populations de plus de 50 villages riverains, auxquels des migrants se sont ajoutés. Nous ne devons pas aussi oublier que Loumbila, au-delà du Plateau Central, fourni de l’Eau potable à la ville de Ouagadougou et de l’eau brute aux unités industrielles installées dans la zone industrielle de Kossodo. En conclusion, je dirais que Loumbila est un modèle précurseur des pôles de croissance que le gouvernement met en œuvre actuellement.
RIB : Récemment, vous avez pris deux arrêtés interdisant aux maraichers installés autour de la retenue de Loumbila de reprendre de nouveaux cycles de production et les entreprises BTP d’y prélever de l’eau, jusqu’à nouvel ordre. Qu’est ce qui a motivé cette décision ?
NFB/Y : Notre décision a été motivée par une multitude de contraintes dont les deux principaux sont : D’abord il fallait empêcher le tarissement total de la retenue d’eau, qui se profilait à l’horizon immédiat, car comme je l’ai dis, Loumbila contribue à l’approvisionnement en eau potable de la ville de Ouaga et la zone industrielle de Kossodo. Comme le barrage n’était plus rempli qu’à 14%, il fallait arrêter les exploitations connexes pour satisfaire à la priorité absolue que constitue l’approvisionnement en eau potable des populations. Deuxièmement, il fallait aussi éviter l’assèchement total qui constitue en lui-même une catastrophe écologique car toutes les espèces aquatiques végétales comme animales notamment le poisson allait disparaître. Ce qui serait préjudiciable pour de longue années, car il faut du temps pour reconstituer l’écosystème.
Nana Fatoumata BENON/YATASSAYE, gouverneur de la région du Plateau Central
RIB : C’est un secret de polichinelle, beaucoup de maraichers arrivent à vivre grâce à ce barrage et beaucoup d’entreprises BTP de la Région l’utilisent dans le cadre du développement de la Région. Est-ce qu’en marge de cette décision des mesures palliatives ont été prévues afin que cela n’influence pas négativement les activités socioéconomiques de la localité ?
NFB/Y : Bien sûr, il est évident que nous ne pouvons pas prendre ce genre de décisions sans proposer des mesures palliatives pour atténuer autant que possible les impacts négatifs. Par exemple, en ce qui concerne les entreprises du BTP, nous les referons à l’Agence de l’Eau du Nakanbé qui les oriente vers d’autres retenues pour leur prélèvement. Pour le cas des maraîchers, nous leur avons proposé de continuer leur production en cours jusqu’à boucler les cycles. Ils peuvent donc prélever mais pas pour emblaver de nouveaux cycles de productions. Par contre, il leur est interdit de recommencer. Bien sûr, de telles décisions ne sont pas forcément populaires auprès de la population, car elles bousculent leur liberté traditionnelle d’accès à l’eau.
RIB : N’avez-vous pas peur qu’une telle décision n’ait de conséquences négatives sur l’économie de la région voire pousser des entreprises à abandonner la région et encourager les jeunes à l’exode rurale et à l’immigration illégale ?
NFB/Y : Non, pas du tout. Tout d’abord, il y a d’abord le fait que ces décisions sont conjoncturelles et provisoires. Dès que la saison des pluies va bien s’installer, nous lèverons ces suspensions en ce qui concerne les prélèvements. Les BTP pourront bientôt revenir prélever légalement. Nous nous attendons même à ce que ces décisions incitent à de nouveaux investissements. En effet, ce que les arrêtés ne disent pas, c’est que sous l’impulsion de l’Agence de l’Eau du Nakanbé, une feuille de route a été élaborée depuis 2012 pour la gestion durable du barrage. Récemment, nous avons fait le bilan de cette feuille de route qui est mis en œuvre à 44%. Pour 2018, un site doit être identifié, puis aménagé en 2019 pour recevoir par exemple les maraichers loin du lit du barrage. Ce nouveau cadre va certainement inciter des agro-business men à investir.
RIB : Dites-nous véritablement quels sont les causes de l’ensablement dans votre région ?
NFB/Y : Il y a d’abord une cause qui n’est pas spécifique au plateau central, qui est la principale cause à savoir la dégradation générale de l’environnement au Burkina Faso. Cette dégradation générale de l’environnement a rendu les sols plus vulnérables au phénomène de l’érosion hydrique, car presque partout le couvert végétal a significativement régressé. Les sols ainsi dénudées sont plus facilement érodés. La seconde cause de l’ensablement concerne les usagers du barrage : le non-respect de la bande de servitude, l’occupation de la cuvette du barrage, les spéculations foncières et occupations illégales du domaine public de l’eau qui facilitent la dégradation des sols à côté du barrage, favorisant ainsi l’envasement.
RIB : Qu’est ce qui est prévu à votre niveau pour les récalcitrants ?
NFB/Y : Comme tout récalcitrant à la loi, ils seront exposés aux mesures prévues par les textes notamment, en allant des amendes , aux saisies de matériels, voire des peines privatives de liberté après passage devant le juge. La police de l’eau, les services de l’environnement, de la police et la gendarmerie y veilleront. D’ailleurs de telles mesures sont déjà en application autour du barrage de Ziga ou régulièrement nos services de sécurité appréhendent les récalcitrants sur les berges. Nous tenons à rassurer l’opinion que notre main sera ferme là-dessus.
RIB : Quels résultats attendez-vous avec la prise de cette décision ?
NFB/Y : Un seul résultat principal : de l’eau disponible pour répondre aux besoins prioritaires que sont la desserte en eau potable de la ville de Ouaga et la zone industrielle de Kossodo. Un résultat annexe : sauver Loumbila d’une catastrophe écologique.
Interview réalisée par Candys Solange PILABRE/ YARO