Le jeudi 17 mai 2018, plus de quatre millions (4 000 000) d’électeurs burundais son appelés aux urnes pour approuver ou pas la réforme de la constitution qui donne la possibilité à Pierre NKURUNZIZA, président depuis 2005, d’exercer un pouvoir renforcé jusqu’en 2034. Trois ans après le début de sa plus grave crise depuis la fin de la guerre civile, cette étape est cruciale, car si l’ego (« oui » en kirundi) l’emporte, il entérine la prise de contrôle du pouvoir par le Président NKURUNZIZA et son parti le CNDD-FDD. Toutefois, le résultat du scrutin est moins incertain que ses suites.
Après trois (03) ans de crise politique, Pierre NKURUNZIZA, ancien chef rebelle et Président élu trois fois est en passe de réaliser son objectif, celui de mettre en application son titre de « Guide suprême éternel » et ce, jusqu’en 2034, le président tout-puissant du Burundi. En effet, si l'opposition juge ce troisième mandat contraire à la Constitution et à l'accord d'Arusha, qui a mis fin à la guerre civile, M. Nkurunziza lui, considère que son premier mandat obtenu en 2005 ne compte pas, car octroyé par le Parlement dans le cadre d'un mécanisme de sortie de guerre civile. Mais pour la Fédération internationale de droits de l’Homme (FIDH), le référendum apparaît non seulement comme un stratagème visant à légaliser et à légitimer le maintien au pouvoir de Nkurunziza pour deux mandats supplémentaires, mais aussi à renforcer son emprise sur le pays.
Dans la nouvelle constitution, le président récupère la quasi intégralité du pouvoir exécutif, jusque-là partagé avec le gouvernement et ses deux vice-présidents. Ce qui implique qu’il définira la politique de la Nation et que le gouvernement devra se contenter de la mettre en œuvre. Aussi, dans la nouvelle constitution, un poste de Premier ministre, issu du parti vainqueur des élections est créé, alors qu’un poste de vice-président est supprimé, laissant les pouvoirs du second, issu d’un parti différent de celui du président, réduits à peau de chagrin. C’est pourquoi, l’opposition redoute que le oui l’emporte, car cela va plonger le pays dans « une dictature sans nom ». En effet, les contre-pouvoirs, déjà laminés, seraient encore affaiblis dans la nouvelle Constitution, qui, en plus d’autoriser Nkurunziza à briguer deux nouveaux mandats de sept ans à partir de 2020, renforce les prérogatives institutionnelles du Président. Pour l’opposant burundais Agathon Rwasa, ce sera un pouvoir extraordinaire de l’exécutif qui risque de faire taire toutes les autres institutions de la République.
Il est impensable que son référendum lui échappe surtout que ce fervent « born again » considère que diriger le Burundi est une mission divine pour lui. En tout cas, pour que cette « volonté divine » s’accomplisse, toute la machine du parti au pouvoir, le CNDD-FDD a été mobilisée. Pourtant, dans ce pays, la formation présidentielle a une influence sans égal, car elle est même, à bien des égards, plus puissante que l’Etat lui-même. « Dans les collines, son ancrage territorial est énorme. Sa propagande est très efficace, mêlant le politique et le religieux », explique le chercheur indépendant Mathieu Boloquy.
Les gens en sont convaincus : « L’issue du vote ne fait aucun doute. Le "oui" va l’emporter, largement ». En effet, pour la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), la campagne s’est déroulée « à sens unique». D’ailleurs, lors de l’annonce du référendum en décembre, Nkurunziza avait prévenu : « Celui qui osera s’opposer au projet de révision de la Constitution en subira les conséquences». La suite des évènements a montré qu’il a tenu promesse : Les rassemblements de l’opposition ont été souvent interdits, et systématiquement perturbés. Des militants ont été arrêtés ou ont disparu. «On a reçu des menaces, des intimidations, les Imbonerakure (l’organisation de jeunesse du CNDD-FDD, devenue une véritable milice au service du parti) établissaient des barrières pour empêcher les gens de venir à nos meetings. Une bonne partie de l’administration ne fait plus la différence entre la nation et le parti au pouvoir », explique Agathon Rwasa, le leader du camp du « non » et le seul opposant burundais d’envergure à ne pas vivre en exil.
La vague de répression qui s’est abattue sur le pays depuis 2015 après les manifestations contre le troisième mandat de Nkurunziza, puis une tentative avortée de coup d’Etat, s’est encore durcie à l’approche du scrutin. La FIDH, qui est interdite de séjour au Burundi mais s’appuie sur un réseau d’observateurs locaux clandestins, a recensé 1 710 assassinats, 486 cas de disparitions forcées et 8 561 arrestations arbitraires en trois ans. La plupart de ces crimes sont commis par le Service national de renseignement (SNR) ou les Imbonerakure, qui font régner la terreur en toute impunité.
«La police ne fait rien sans leur en référer. Ils représentent à la fois une forme d’ordre et de protection, car on vient les voir pour régler des problèmes, mais aussi un danger, car ils agissent en toute impunité, disposent du monopole de la violence physique, et créent la plupart du temps eux-mêmes des problèmes, explique Anne-Claire Courtois, historienne au Laboratoire des Afriques dans le monde. Le 22 février, ils auraient battu à mort un membre d’un parti d’opposition qui refusait de montrer son récépissé d’inscription sur les listes électorales, selon la Ligue Iteka, une organisation de défense des droits de l’homme qui a documenté des dizaines de cas de passage à tabac similaires depuis le début de l’année.
Toute chose qui montre que l’enjeu de ce référendum tant contesté n’est plus seulement la mainmise sur le pouvoir. C’est l’unité et la paix du Burundi qui est en jeu. En effet, après le renforcement autoritaire une restauration démocratique semble improbable. Les sanctions internationales et l’enquête ouverte par la CPI en 2016 restent sans effet, et Bujumbura répond aux dénonciations par des accusations. Si le Burundi atteint un point d’équilibre, il risque d’être un équilibre de la terreur.
Quoi qu’il en soit, l'enjeu de ce vote est de taille, même si l'issu de ce scrutin ne fait aucun doute. D'autant que l'opposition et des journalistes ont déjà dénoncé de nombreux cas d'irrégularités, notamment des mandataires d'opposition chassés par dizaines de bureaux de vote ou encore des gens forcés de voter pour le oui.
Ce référendum sonne comme un enterrement de l’accord d’Arusha. Un accord qui depuis la fin de la guerre civile au Burundi régissait les équilibres politiques et ethniques dans le pays. En effet, Au-delà de la dérive autocratique, la nouvelle constitution fait craindre une mise à mal des dispositions sur les équilibres ethniques de l’Accord de paix d’Arusha (2000) et de la constitution de 2005. Ils avaient permis de mettre fin à la guerre civile qui a fait plus de trois cent mille (300 000) morts entre 1993 et 2006, en instaurant un système de partage par quota des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire entre les belligérants de l’époque, la minorité tutsie et la majorité hutue dont est issu Pierre Nkurunziza. Le nouveau texte, qui ne revient pas explicitement sur la question des quotas, ouvre la possibilité pour le Sénat de réexaminer ces équilibres dans un délai de cinq ans. « Même si ces équilibres ethniques ont déjà été largement remis en cause depuis avril 2015 et que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont en grande partie contrôlés par le parti au pouvoir, le fait que la possibilité soit offerte au Sénat de pouvoir mettre fin aux quotas ethniques est extrêmement préoccupante dans le contexte actuel d’exacerbation des tensions ethniques par le pouvoir en place », affirme la FIDH.
En clair, l’adoption du projet de Constitution marquera l’échec d’une tentative de solution négociée et enterrera de facto trois années de dialogue de sourds, encadrée par une communauté Est-africaine impuissante et divisée sur la stratégie à adopter afin de mettre fin à cette tyrannie. . « Les chefs d’État de la région n’ont jamais été unanimes lors de la médiation. Nkurunziza était conscient des divisions et il en a habilement joué », estime Pancrace Cimpaye, porte-parole du Cnared, la plateforme de l’opposition en exil.
Si aujourd’hui cet accord est enterré, la porte d’une solution négociée au Burundi devient maintenant une équation à double inconnu. Il est alors plus que temps que la communauté internationale se réveille, car Nkurunziza a assez prouvé que les timides mises en garde verbales ne l’ébranlent pas. Bien au contraire. « Le très croyant » Pierre Nkurunziza devra encore faire combien de morts afin qu’elle réagisse ?
Candys Solange PILABRE/ YARO