D’ici fin décembre 2020, 5 élections présidentielles se tiendront en principe dans des pays d’Afrique de l’Ouest. Il s’agit du Burkina Faso, du Niger, du Ghana, de la Guinée Conakry et de la Côte d’Ivoire. Les enjeux électoraux sont certes distincts d’un pays à un autre mais dans les deux derniers cités, à quelques semaines des scrutins, la situation sociopolitique est tendue en raison de la volonté des présidents sortants de se maintenir au pouvoir après avoir déjà fait deux mandats. Une chose est certaine, les crises pré-électorales ou postélectorales sont à éviter dans la région ouest-africaine, d'autant plus que les pays du Sahel sont déjà éprouvés par les attaques terroristes itératives, auxquelles est venue se greffer une crise humanitaire sans précédent.
Les Burkinabè iront aux urnes le 22 novembre prochain pour élire le président du Faso ainsi que les députés de la 8e législature. Roch Marc Christian Kaboré, président sortant, élu en 2015 dès le premier tour avec 53,5 des voix, est candidat à sa propre succession pour un second mandat. Le parti au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), s’est fixé pour objectif de faire réélire Roch Marc Christian Kaboré dès le 1er tour avec 60% des voix, soit 6 points de plus qu'en 2015. Il importe cependant de souligner qu’en 2015, un certain nombre de partis politiques n’étaient pas dans la compétition. Au nombre de ceux-ci figure le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), ex-parti au pouvoir. En outre, des candidats déclarés et 22 partis de l’opposition ont signé un accord politique en août dernier dans l’objectif de faire front commun contre le président Kaboré. Point n’est besoin d’être devin donc pour savoir que la compétition sera plus rude qu’en 2015. La crise sécuritaire a déjà impacté le processus électoral. Dans ce contexte d’insécurité, le peuple et les institutions doivent travailler pour la tenue d’élections apaisées.
Le Niger, pays voisin du Burkina Faso, également confronté au défi sécuritaire, tiendra son élection présidentielle le 27 décembre 2020. Le président Mahamadou Issoufou ne peut pas céder à la tentation d’un troisième mandat car il lui est interdit par l’article 47 de la Constitution de 2010 de de son pays de faire acte de candidature une fois ses deux mandats terminés. La succession du président nigérien est donc ouverte. Le PNDS, le parti au pouvoir au Niger, a choisi l'ancien ministre de l'Intérieur Mohamed Bazoum pour porter ses couleurs. Début septembre, l’opposition politique a créé une coalition. Mahamane Ousmane, ancien chef de l’Etat de 1993 à 1996, Seyni Oumarou, du Mouvement national pour la société de développement, et le général Salou Djibo, ex-chef de la junte militaire au pouvoir de février 2010 à avril 2011, sont candidats. Mais Hama Amadou, le plus grand rival du président Issoufou, leader du Moden Fa Lumana et chef de file de l’opposition nigérienne, condamné en mars 2017 à un an de prison dans une affaire de trafic présumé de bébés, a récemment bénéficié d’une grâce présidentielle. La question sur sa possible candidature à l’élection du décembre à venir reste posée.
Au Ghana, habitué aux alternances pacifiques depuis les années 90, les citoyens iront aux urnes en décembre pour élire leur président. L’actuel locataire du palais présidentiel, Nana Akufo-Addo, affrontera l’ancien président John Dramani Mahama. Il s’agira de la 3e confrontation électorale consécutive entre ces deux hommes politiques de ce pays anglophone. L’ancien président l’avait emporté en 2012 devant Nana Akufo-Addo. En 2016, Akufo-Addo est arrivé au pouvoir en battant Dramani Mahama. Le « match » programmé en décembre prochain s’annonce déjà très passionnant. Le Ghana poursuivra très certainement sa transition démocratique à l’issue de cette élection.
En Guinée Conakry, le scrutin présidentiel est prévu pour le 18 octobre prochain. Alpha Condé, au pouvoir depuis 2010 et réélu en 2015, est le premier président démocratiquement élu du pays de Sékou Touré, qui n’a pas une tradition d’organisation d’élections compétitives. Le 2 septembre, l’ex-opposant historique à la dictature de Lansana Conté a confirmé sa participation au scrutin présidentiel à venir pour un troisième mandat. La Constitution guinéenne limite le nombre de mandats présidentiels à deux, mais l’adoption, en mars dernier, d’une nouvelle loi fondamentale lors d’un référendum boycotté par l’opposition « permet » au président sortant de remettre son compteur à zéro. Douze candidats sont en compétition, dont Alpha Condé, le président sortant, ainsi que Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition guinéenne. Le Front national de défense de la Constitution (FNDC), qui mobilise des milliers de Guinéens depuis octobre 2019 contre un éventuel troisième mandat d’Alpha Condé, a annoncé la reprise des manifestations à partir du 29 septembre. La contestation a déjà donné lieu à des heurts et a été plusieurs fois sévèrement réprimée. Des dizaines de civils ont été tués.
Alpha Condé, dont l’élection en 2010 avait été saluée comme une victoire de la démocratie, était l’homme qui devait permettre à la Guinée de connaître enfin sa toute première succession dans le respect des règles démocratiques, sans bain de sang. Hélas !
Le pays de Félix Houphouët-Boigny, voisin de la Guinée, doit désigner également son prochain président de la République en fin octobre 2020. Actuellement, toutes les conditions sont réunies pour que cette élection engendre une crise.
Il faut d’abord relever l’effritement de la majorité présidentielle depuis la réélection du président Ouattara en 2015, avec notamment le retrait du PDCI-RDA d’Henri Konan-Bédié et la dissidence de Guillaume Soro, le « rebelle » qui s’est exilé en France. Par ailleurs, on comprend difficilement la démission du vice-président Daniel Kablan en juillet 2020.
A cela s’ajoute la question de la réconciliation nationale. On est tenté de dire que cette réconciliation tant chantée fut un échec en dix ans de présidence D’ADO. L’ex-prisonnier de La Haye Laurent Gbagbo, rival historique du président Ouattara peine à rentrer au pays, lui qui dénonce le « refus » des autorités ivoiriennes de lui délivrer un passeport.
Alassane Dramane Ouattara, 78 ans, a pris la décision le 6 août d’être candidat à l’élection présidentielle pour un 3e mandat. Une candidature que conteste l’opposition, car elle la juge « illégale » en vertu de la Constitution de ce pays, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Du côté des partisans du chef de l’Etat, on explique que l’adoption d’une nouvelle loi fondamentale en 2016 a remis les compteurs à zéro. Déjà, des manifestations se multiplient à travers le pays avec plusieurs morts et blessés. La tension est encore montée d’un cran, le 14 septembre, avec la publication de la liste des candidats retenus. Sur les 44 candidatures déposées, quatre dossiers ont été validés par le Conseil constitutionnel. Il s’agit de celles d’Alassane Dramane Ouattara du RHDP, d’Henri Konan Bédié du PDCI-RDA, de Pascal Affi N’Guessan de l’aile dissidente du FPI, et enfin de Kouadio Konan Bertin.
Au terme de la réunion du dimanche 20 septembre, les partis politiques de l’opposition ont appelé, entre autres, au rejet de la candidature du chef de l’Etat sortant ; à la dissolution de la Commission électorale indépendante (CEI) ; à la dissolution du Conseil constitutionnel ; au retour des exilés et même à la désobéissance civile ainsi qu’à des manifestations sur toute l'étendue du territoire. Guillaume Soro, de son pays d’exil, a déclaré le 17 septembre devant les journalistes qu’ « il n’y aura pas d’élection le 31 octobre en Côte d’Ivoire ». Ces propos de l’ancien secrétaire général de la rébellion des Forces nouvelles sont à prendre au sérieux, même si d’aucuns disent que Kigbafori n’est plus qu’un « lion édenté ».
Ainsi donc, on peut balayer le scénario d’une alternance pacifique qui ne s’est jamais produite depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny. Les blessures des violences postélectorales de 2010 sont toujours ouvertes. Les voisins, surtout du Sahel, n’ont plus intérêt que le pays de la lagune Ebrié s’embrase de nouveau, d’autant plus que le débordement de l’insécurité vers la Côte d’Ivoire est net depuis les attaques de juin 2020 dans l’extrême-nord.
Les Ivoiriens veulent voter dans la paix et vivre dans la paix ! C’est le moment pour la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) de s’impliquer énergiquement dans l’impartialité pour que les acteurs politiques ivoiriens trouvent un consensus politique avant d’aller à cette élection présidentielle. Autrement, elle aurait failli à sa mission.
Aly Tinto