Il serait injuste, voire scandaleux d’estimer que les Kundé ne sont d’aucune utilité dans le paysage culturel burkinabè. Il faut reconnaître à sa juste valeur l’abnégation du commissaire général de l’évènement Salfo SORE dit Jah Press qui œuvre au quotidien pour la pérennisation de ce rendez-vous bien en vue dans l’agenda du showbiz (toujours embryonnaire au Burkina Faso). Cependant, de plus en plus de critiques fusent pour dénoncer des limites dans l’organisation de cette compétition artistique qualifiée de baromètre de la musique burkinabè.
Awa Boussim est la grande lauréate de cette 18e édition des Kundé en s’imposant dans trois catégories (Kundé du meilleur artiste féminin, Kundé de la meilleure chanson moderne d’inspiration traditionnelle, kundé de la meilleure réalisation vidéo) et en étant désignée par un jury à la consécration suprême (Kundé d’or). Awa Boussim est cependant loin d’être plébiscitée par le voting sms. Elle n’arrive qu’en troisième position avec 6,22% du vote derrière Donsharp de Batoro 30% et Habibou Sawadogo avec plus de 63% des voix.
Ce n’est pas un fait nouveau que le Kundé d’Or ne soit pas celui du public. Le sujet avait défrayé la chronique en 2006 entre Alif Naba et Smockey. Alif Naba avait obtenu onze mille (11 000) voix, soit plus de 60% des intentions de vote contre quatre mille (4000) pour Smockey et Solo Dja Kabaco. Le jury avait plébiscité le rappeur Smockey. Certains mélomanes vont même évoquer un hold up musical. L’histoire se répètera huit ans après. Alif Naba est désigné Kundé d’or en 2014 pourtant, il n’avait pas les faveurs du public. 76% du vote était en faveur de Bil Aka Kora, 16% pour Rovane et 8% pour Alif Naba. Personne n’a alors crié au scandale. Les notes du jury souverain comptent pour 75% contre 25% pour le public.
Les aspects positifs
Contre vents et marées les Kundé résistent au temps et à la conjoncture. Le public est devenu de plus en plus exigeant et les ressources financières de plus en plus difficiles à mobiliser. Des sponsors restent fidèles à l’évènement, mais les conditions qu’elles imposent aux organisateurs écœurent les passionnés de musique burkinabè. Ce sont eux qui décident relativement du plateau artistique. C’est à prendre ou à laisser.
Le spectacle au cours de cette édition 2018 était au rendez-vous avec en toile de fond un plateau artistique intéressant et un décor des plus féériques. Asalfo et sa bande (Magic System) ont réservé une agréable surprise aux convives. Un bel hommage a été rendu aux artistes disparus à l’image de Joseph Moussa Salembéré dit Salambo décédé le mardi 27 février 2018. Le clin d’œil fait aux anciennes gloires de la musique africaine comme le Béninois Nel Oliver et l’Ivoirien Frost Olly a ému plus d’un. A 88 ans, Biri Lingani (un artiste burkinabè qui a sorti récemment son premier album après plusieurs décennies dans l’ombre) voit sa détermination et son talent récompensés à travers un Kundé d’honneur.
L’initiative d’organiser un AFTER KUNDE au palais des sports de Ouaga 2000 est à saluer. Le public y fait un tour pour diverses raisons. Il y a entre autres ceux qui estiment que cinquante mille (50.000) francs CFA, c’est une somme astronomique pour suivre un spectacle et ceux qui préfèrent voir et apprécier leurs stars leur proposer plusieurs titres au cours d’une soirée avec un tarif d’entrée abordable. Mieux, certaines prestations y sont en live.
Le présentateur Alpha Ouédraogoa une fois de plus « fait parler » son éloquence. Le contraire aurait été surprenant. Sa co-animatrice Maguy Leslie Oka jadis décriée est aujourd’hui relativement tolérée.
Parmi les hommes de l’ombre des Kundé, un monsieur humble et discret gère la communication avec maestria. Boukary Ouédraogo connu sous le pseudonyme de Becker facilite la tâche aux journalistes au point où certains deviennent aphones quand il s’agit d’émettre des critiques relatives à l’évènement.
Abordons à présent les limites des Kundé 2018
Un show très chaud
Des convives qui se ventilent aux Kundé, la scène est devenue un truisme. La climatisation dans les salles abritant le show est sans effet sur les invités par ce mois de canicule (les Kundé se déroulent chaque dernier vendredi d’avril). Faut-il alors tenir l’évènement en décembre avec la « bénédiction » de l’harmattan? Il appartient aux organisateurs d’en juger. A moins que l’Etat, dans un sursaut d’orgueil, ne daigne enfin construire une salle de spectacle répondant aux normes techniques avec le confort approprié. Autrement, c’est une compétition d’éventails qui est servie aux téléspectateurs et qui est loin d’honorer le pays. Autre fait majeur, c’est le défilé du service traiteur. Déjà que les mets servis ne sont pas ceux du terroir, s’il faut également voir les serveurs s’offrir en spectacle, c’est déplorable. Malgré leur bonne volonté, les équipes de production et de réalisation de ce show télévisé, ne peuvent que subir ce bazar.
Aux Kundé, une pléthore d’artistes internationaux sont invités. Nous n’avons rien contre. Dans un contexte de mondialisation, la culture voyage et s’abreuve à la source du village planétaire. Sauf que le cachet de stars non burkinabè fait partie des charges importantes des organisateurs. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit avant tout d’un évènement de valorisation de la musique burkinabè. Malheureusement, certains artistes nominés déclarent n’avoir reçu aucune invitation pour prendre part à la cérémonie. « Quand tu ne reçois ni invitation, ou même pas un sms, c’est mieux de suivre la manifestation trankilos à la télé, de peur d’arriver devant la porte, te présenter, pour qu’on te dise : on te connait pas… », a publié sur facebook Duden J. Pourtant, l’artiste burkinabè a été désigné kundé du meilleur featuring de l’intégration africaine avec Malika (Burkina Faso) et Nash (Côte d’Ivoire).
La valse du copinage
Concernant les artistes en compétition, il y a un certain nombre de questions à se poser au sujet de la présélection. Comment une artiste aussi talentueuse qu’Awa Melone qui a sorti un album de qualité et qui a connu un succès médiatique, peut-elle être absente de la liste des « kundeables » ? La liste à ce sujet est loin d’être exhaustive.Plusieurs artistes dénoncent le copinage dans les désignations. En somme des membres du commissariat général des Kundé (ayant le statut de managers et/ou producteurs d’artistes) feraient dans l’abus. Eunice Goula est une artiste talentueuse dont le producteur et manager est Papus Zongo de la structure Merveilles Productions. Elle sera présentée au public des Kundé en 2016 à travers l’interprétation magistrale de son titre « ferignita ». Pour cette 18e édition, elle aura droit aux Kundé du meilleur espoir et celui de la révélation. C’est amplement mérité ! Mais est-ce une raison suffisante pour la voir jouer deux fois sur scène (en solo et avec le collectif Burkina Voice) au cours de la même soirée ? Les sorties discographiques de qualité sont-elles aussi pauvres au Burkina Faso ? D’autres membres du comité d’organisation usent de leur statut pour faire jouer leurs artistes, car l’évènement est un tremplin promotionnel idéal.
Les prestations en live attendent d’être intégralement au menu des Kundé. Des artistes nationaux et des stars à l’image de Charlotte Dipanda n’hésitent pas à déplorer le playback au cours des trophées de la musique burkinabè. Dans une interview qu’elle a accordée à Hervé Honla, la Camerounaise déclare : « On sera en playback, parce que c’est l’organisation qui décide. J’aurai aimé être en live mais bon…je suis une artiste qui ne fait que du live ».
Récompenses : miss universités fait mieux que les Kundé
Que dire des récompenses en espèce des artistes lauréats ? Elles rivalisent avec les prix proposés aux footballeurs des tournois de maracana ; un million cinq cents (1.500.000) francs CFA pour le Kundé d’or contre six millions (6.000.000) de francs CFA pour la miss Universités 2018 (soit 3 millions du comité d’organisation et 3 millions des sponsors). Cet évènement tenu à la salle des fêtes de Ouaga 2000, a connu un retentissant succès. Soit le commissariat général des Kundé envisage de revoir son enveloppe à la hausse, soit il décide, comme dans bien d’autres compétitions majeures à travers le monde, de juste décerner un trophée aux lauréats.
Convier des animateurs ivoiriens auprès de Burkinabè pour assurer le spectacle est original et stratégiquement bien pensé. Sauf que tout le monde n’est pas Yves Zogbo Junior. Désigner un animateur de talent de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI) pour chaque édition est plus pertinent que de faire la ronde de présentateurs venus d’Abidjan qui ne sont pas tous à la hauteur de l’évènement. Tata Naomi semble n’avoir pas été suffisamment briefée. Sa prestation laisse à désirer.
Oui critiquer les Kunde semble être un exercice aisé au point où sur sa page facebook Thierry Hot, conseiller à la présidence du Faso et ancien journaliste, s’érige en défenseur de Jah Press et de son staff. « Nous sommes tous Kundé ! Mais c'est un secret de polichinelle : la critique est aisée mais l'art difficile.
Et Même si certaines critiques de bonne foi visent à l'amélioration des Kundé, la manière de les formuler peut apparaître comme une forme d'inélégance à l'endroit des fondateurs d'une aussi belle initiative », écrit-il sur son profil facebook.
L’activiste Zinaba Rasmane n’est pas du même avis et réagit : « Monsieur le conseiller du président je ne sais pas où vous avez vu des critiques faciles. Ceux qui critiquent font même des propositions…Les défenses faciles sont aussi légitimes mais trop faciles. … ».
Les défis du commissariat général
Comme le clame les sages : « On ne lapide pas un arbre qui n’a pas de fruits ». Prêtons-nous au nième jeu de propositions pour l’amélioration d’un point de vue organisationnel de cet évènement d’intérêt national.
Le commissariat général des Kundé pourrait :
- à défaut du live, envisager un semi-live pendant les prestations ;
- réduire la « balade» des serveurs semblable à une foire en proposant le dîner avant la retransmission de l’évènement en direct à la télé;
- réduire le nombre d’artistes internationaux et affecter une partie de leur cachet au lauréat du kundé d’or ;
- donner un peu plus de chance à des jeunes animateurs, véritables talents du micro, à l’image de Daouda Sané, à moins que son calendrier ne justifie un désistement ;
- exiger de son staff plus de rigueur dans le choix des artistes en compétition et par ricochet celui du plateau artistique ;
- réfléchir à des formules d’indépendance économique pour ne pas quasi-totalement dépendre des sponsors.
Certes, les Kundé restent une initiative privée, il convient toutefois d’engager des réflexions idoines visant à assurer sa pérennité et son originalité. De ce fait, les critiques, aussi acerbes soient-elles, sont une base de travail pouvant « influer » sur l’idéal tant souhaité par Jah Press et ses collaborateurs directs.
Kandobi YEDA