Chargé de synchroniser l'activité de l’équipe, le chef opérateur de prises de vues occupe une place non négligeable sur le plateau de tournage. Il est en grande partie responsable de la qualité finale des images du film. Passionné de cinéma depuis son jeune âge, Koura Tibiri est chef opérateur de prises de vues et a travaillé sur plusieurs projets de films et de documentaires. Avec lui, Radars info Burkina s’est entretenu sur l’impact du métier qu’il exerce sur la qualité d’un film ainsi que sur d’autres questions ayant trait au cinéma burkinabè.
Radars infos Burkina (RIB) : Pourquoi avoir choisi le métier de cadreur, chef opérateur de prises de vues ?
Koura Tibiri (KT) : Comme tout passionné de cinéma, en allant à l’école de formation je voulais être réalisateur. C’est donc là-bas que ma formation m’a permis de comprendre que la technique, surtout l’image et le son, était encore plus difficile que la réalisation. Je me suis dit que j’allais aller faire la technique, qui est beaucoup plus difficile, et que si je m’en sors bien à ce niveau, ça va me permettre d’apprendre des choses pour que si un jour je décide me convertir en réalisateur, je puisse le faire beaucoup plus facilement. A l’école, j’étais très bon dessinateur et faire des images m’a toujours plu. C’est ainsi qu’au collège je faisais de la photographie, et c’est tout cela qui a guidé mon choix pour le domaine des prises de vues.
RIB : Sur un plateau de tournage, quel est le rôle du chef opérateur de prises de vues ?
KT : Nous sommes responsables du rendu du film, de la qualité esthétique, artistique et même technique des images. Il y a ce que veut le réalisateur, qu’il va vous exprimer par les mots, et vous, chef opérateur de prises de vues, vous devrez savoir techniquement quels sont les ingrédients qu’il faut réunir pour reproduire l’image exacte qu’il souhaite. Très souvent sur le plateau, le chef opérateur est le responsable de tous les techniciens qui sont là. Donc quand je vois que selon ce que le réalisateur veut, la peinture par exemple ne permet pas de mettre la lumière qu’il faut parce que le mur fait des reflets, je peux demander au décorateur de voir pour que le rendu soit comme on le veut. La qualité des images nous incombe. La qualité recherchée dépend aussi de la préparation du tournage. Ça tend à disparaître mais la norme voudrait qu’environ trois mois avant de commencer le tournage, le réalisateur et le chef opérateur de prises de vues échangent sur le niveau à atteindre pour le film. La beauté de l’image, le côté dramatique que l’image peut renvoyer doit être préparé en amont. Et c’est au chef opérateur de réunir tout le matériel nécessaire, que ce soient la lumière, les accessoires ou autre chose et nous faisons tout en conformité avec les besoins du réalisateur.
RIB : Quelles doivent être les qualités d’un bon chef opérateur de prises de vues ?
KT : Selon moi, c’est avoir le sens de l’écoute, être attentif à tout ce que le réalisateur demande. Pas seulement lui mais écouter aussi tous ceux qui sont autour de soi, à savoir le costumier, le décorateur, le chef électro, le chef machiniste. Il faut être très vigilant car tu peux construire une belle image mais par manque de vigilance quelque chose t’échappe et au final le rendu n’est pas bien. Il faut aussi avoir envie de toujours apprendre davantage, de s’améliorer. Et pour cela, il faut chaque fois regarder d’autres films où les images sont une référence, essayer de s’en inspirer. Il faut également avoir l’audace de s’engager. Aujourd’hui, la caméra numérique est comme un téléphone portable qu’il ne faut pas avoir peur de manipuler pour se l’approprier.
RIB : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans ce métier ?
KT : C’est surtout des difficultés techniques et financières, parce que liées aux budgets que les gens ont pour travailler. En général, les réalisateurs ne s’y prennent pas tôt, ce qui fait qu’il n’y a pas de préparation, pas de prévisions, on est obligé de naviguer à vue. Et sur le plateau, le minimum d’accessoires, de matériel pour faire le travail est souvent inexistant. A côté de ça, à la fin vous n’êtes pas bien payé. Mais par passion on y va, on se donne pour faire du bon travail. En plus de ces difficultés, je peux dire que nous n’avons pas assez de travail. C’est dans notre pays seulement que l’on peut rencontrer des gens qui n’ont pas de carte professionnelle mais qui se font appeler chef opérateur et font des films. On ne fait pas de différence entre les professionnels et les amateurs. Nous sommes souvent incompris de nos collaborateurs, surtout des réalisateurs. Nous avons certaines exigences sur le plateau afin que les images soient fidèles à l’idée, mais nous ne sommes pas toujours compris. La plupart des jeunes réalisateurs ne tiennent pas souvent compte des contraintes artistiques et esthétiques. Donc ça déçoit beaucoup quand tu sens que tu veux que les choses soient bien faites et qu’on ne te permet pas de bien travailler.
RIB : Est-ce que vous ne trouvez pas le métier ingrat, parce que quand le film a du succès, c’est généralement le réalisateur et les acteurs qui sont mis en avant, faisant fi de ceux qui ont travaillé dans l’ombre ?
KT : Dans tout travail de groupe, c’est ainsi : il y a ceux qui sont sous les projecteurs et ceux qui travaillent dans l’ombre. Pour un technicien, le plus important, c’est la reconnaissance. Je ne dirai pas que c’est le métier qui est ingrat mais plutôt les acteurs du milieu, les cinéastes et réalisateurs. Un réalisateur peut vous approcher pour vous demander de travailler sur son film et vous dire qu’il n’a pas les moyens de vous payer convenablement, néanmoins vous faites le travail. Et à la première du film vous n’êtes même pas convié. Et il y en a qui bombent le torse en disant par exemple qu’ils ont fait des films de douze millions. Est-ce qu’on peut faire un film à douze millions ? Là où ça nous rattrape, c’est quand il faut demander les financements. Parce que si quelqu’un a pu faire un film à douze millions, est-ce que cette personne-là peut aller vers un guichet pour demander un financement de cent millions ? Il faut tenir compte du sacrifice des techniciens. Si quelqu’un a accepté de diviser son salaire par trois, ne sortez pas dire après dans les médias que c’est normal qu’on puisse faire des films moins chers au Burkina. Quand je vois ce genre de débat, ça me fait très mal.
RIB : Quel regard portez-vous sur le cinéma burkinabè ?
KT : Pour moi, le cinéma burkinabè a perdu son lustre d’antan. Si nous voulons retrouver la première place, il va falloir beaucoup plus de travail. Le président a fait un geste que je salue, mais qui demeure insuffisant. Il fallait mettre en place un fonds qui finance le cinéma chaque année. Le FESPACO va passer ; comment les cinéastes se débrouilleront-ils pour faire des films le reste de l’année ? On ne doit pas faire des films juste pour le FESPACO. Et professionnellement, nous ne sommes plus bien organisés. Les textes qui régissent notre profession sont foulés aux pieds. Vous trouvez des plateaux où les gens tournent sans autorisation, il y a des gens quelque part qui ne font pas leur boulot. Les tarifs de rémunération des techniciens ne sont jamais respectés, mais personne ne s’en plaint. Il y a trop de laisser-aller dans notre domaine de travail. Un réalisateur qui n’a pas de carte professionnelle et qui arrive à tourner un film, c’est inadmissible. De plus,, il n’y a plus de commission de visa. Après avoir tourné un film dans les normes, le comité de visa, qui regroupe des experts, se réunit, regarde le film et dit si oui ou non ledit film peut passer en salle. Mais de nos jours, ce n’est plus le cas. A force de cela on a habitué le cinéaste burkinabè à une certaine norme de qualité. Un film attire les gens en salle de nos jours parce qu’il fait rire, on n’a plus besoin d’avoir une histoire qui a une intrigue où les choses se développent jusqu’à la fin du film. On aligne des sketchs de théâtre drôles, et après on dit que c’est du cinéma. Ça garde notre cinéma dans une bulle. Des films comme « Tilaï », « Yaaba », « Buud-Yam », ont été des ambassadeurs du Burkina, ont vendu la destination Burkina Faso ailleurs, ont donné à des gens l’envie de découvrir ce pays classé parmi les plus pauvres du monde mais où il y a des gens fort courageux qui font du cinéma. Malheureusement, on ne fait plus ça.
RIB : Pour cette 26e édition du FESPACO, trois films burkinabè sont en compétition pour l’Etalon d’or. Est-ce que vous pensez que le Burkina a des chances de remporter ce trophée ?
KT : L’Etalon d’or de Yennenga, c’est une compétition des meilleurs films, le talent du réalisateur ne suffit pas. C’est après avoir regardé les films qu’on pourra apprécier. Mais aussi quelle sera la qualité des films venus d’ailleurs. C’est vrai que le président a financé des projets mais ce n’est pas pour cette raison que nous allons forcément gagner. Il faut préserver l’esprit FESPACO. Si le Burkina a le meilleur film, que nous remportions l’Etalon. Dans le cas contraire, que le meilleur gagne.
RIB : Un dernier mot ?
KT : Je souhaite à tous les Burkinabè un très bon FESPACO et un agréable séjour à tous les étrangers qui seront là. Que les attaques terroristes qui ont fait peur à beaucoup de gens qui ne pourront pas être de la partie ne soient qu’une fausse alerte et qu’à la prochaine édition, tout le monde soit là. Je voudrais dire aussi merci à tous ceux qui seront là et qui ont fait confiance au Burkina en faisant le déplacement. Bon festival à tout le monde.
Propos recueillis par Armelle Ouédraogo (Stagiaire)