samedi 19 avril 2025

ogapo uneLors d’une conférence de presse tenue le jeudi 7 mai 2020, des  élus et responsables de l’Union pour le progrès et le changement  (UPC) de la région de l’Est, préoccupés par la situation sécuritaire, humanitaire et sociale qui prévaut dans cette partie du Burkina Faso, ont tiré la sonnette d’alarme et proposé l’opération « Ogapo » (Ndlr : dénouement final en langue locale) pour sauver l’Est du Burkina. Radars Infos Burkina a recueilli l’appréciation de quelques citoyens de la ville de Ouagadougou sur cette suggestion.

Selon les élus de l’UPC, l’opération « Ogapo» doit concerner les 5 provinces de la région de l’Est. Les volontaires pour la défense de la patrie doivent être associés aux Forces de défense et de sécurité (FDS) pour mener cette opération. En outre, « Ogapo » devra impliquer « fortement les détenteurs du savoir traditionnel du Gulmu et associer toutes les forces vives de la région ».  Un retour des populations déplacées, une fois l’opération menée avec succès, et la création d’un Centre de « déradicalisation » font également partie des propositions.

ogapo 2« La proposition est la bienvenue si vraiment l'armée accepte de mettre à contribution la chefferie traditionnelle. Actuellement, aborder la question de la sécurité est trop délicat, surtout pour un natif de cette partie du pays. Je trouve que les élus ont fait preuve de beaucoup de courage en prenant le risque d’aborder cette question. A l'Est, rien n'est fait pour que la paix revienne. Les terroristes sont dans la forêt », a soutenu un citoyen natif de la région concernée.

Selon Mme Sawadogo, faire des propositions pouvant contribuer à résoudre ce problème d’insécurité à l’Est est très louable. « Il n’y a pas la stabilité mais cette situation dépend des autorités. Si elles en ont la volonté, elles peuvent restaurer la sécurité à l’Est et partout dans le pays», a commenté cette femme.

« C’est très bien de faire des propositions dans le but de ramener la stabilité dans cette partie du pays. Mais l’application sera difficile. D’abord, il faut bien équiper les volontaires en armes et bien les prendre en charge. Les volontaires et les FDS ne peuvent pas participer à une même opération. Ils n’ont ni les mêmes armes ni la même formation. En outre, l’Etat semble actuellement exclusivement préoccupé par la question de la pandémie de coronavirus alors que dans certaines parties du territoire, les populations souffrent depuis », a affirmé M. Ilboudo, un de nos interlocuteurs.

Aly Tinto

curite uneLes violentes attaques terroristes, avec leur corollaire de populations déplacées, perdurent au Sahel. Au Burkina Faso, plus de 850 000 Burkinabè ont été obligés de fuir leurs localités d’origine. Dans cette situation d’insécurité, quand dit-on qu’un territoire échappe au contrôle de l’Etat central ? Pour trouver réponse à cette question, Radars Info Burkina a contacté tour à tour Yehia Ag Mohamed Ali, chercheur à l’Institut de veille et d’études des relations internationales et stratégiques (IVERIS), et Abdoul Karim Saïdou, politologue et enseignant-chercheur à l'université Ouaga 2.

«Je dirai que l’Etat n'y est plus présent par l’intermédiaire de ses démembrements comme l’administration territoriale, la justice, les forces de sécurité, etc. Ce vide est généralement comblé par une autre organisation qui assure la justice, le maintien de l'ordre, prélèvement des taxes et/ou impôts. Cette situation peut concerner une zone pendant un certain temps. Chez nous (Ndlr, au Mali),  en dehors des centres urbains,  le centre et le nord du pays sont gérés par des groupes islamistes, des milices, des mouvements armés dits signataires de  l’accord d’Alger. En conclusion,  l'Etat, par définition, est le détenteur exclusif de la violence légitime sur son territoire. 

curite 2Si des groupes ou organisations lui disputent ce monopole de la violence, alors il est attaqué dans ses fondements. La pire des choses, c'est quand l’Etat sous-traite ce monopole avec des organisations non étatiques ; dans ce cas, il s'autodétruit », a soutenu le chercheur Yehia Ag Mohamed Ali. Selon le politologue Abdoul Karim Saïdou, on dit qu’un territoire échappe au contrôle de l’Etat central lorsque des groupes armés occupent ce territoire ou empêchent l'État d'exercer sa souveraineté. « Dans ce dernier cas, par exemple, l'Etat est incapable de faire fonctionner son administration, ses services sociaux et de protéger les biens et les personnes. curite 3C’est le cas des villages qui se sont vidés de leurs habitants à cause de l'insécurité. Bien que ces villages ne soient pas territorialement occupés, ils échappent, dans les faits, au contrôle de l'État, d’autant plus que ce dernier est incapable d'y exercer sa souveraineté », a expliqué le juriste.

Pour ce qui concerne le Burkina Faso, une source sécuritaire a affirmé qu’il n’y a pas de zone qui échappe au contrôle de l’Etat central. Selon ladite source, l’armée met les pieds partout. Néanmoins, fait-elle remarquer, elle ne peut pas être présente 24h/24 sur chaque centimètre carré du territoire national.

Aly Tinto

 

                

jpg uneCes derniers temps, des médias font état d’une rivalité meurtrière dans le nord du Burkina Faso et le centre du Mali entre le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) et l'Etat islamique au grand Sahara (EIGS), les deux principaux groupes terroristes au Sahel. Pour une lecture de ces affrontements et de leurs conséquences, Radars Info Burkina a contacté tour à tour Yehia Ag Mohamed Ali, chercheur à l'Institut de veille et d'études des relations internationales et stratégiques (IVERIS), et Juliette Nsimba, coordonnatrice adjointe de projets au Réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel (2r3s).

Selon le chercheur Yehia Ag Mohamed Ali, la question idéologique est d'abord la principale raison de ces affrontements meurtriers.  « De façon idéologique, les deux groupes n'ont jamais fait bon ménage. C'est l'aile dure d'Al-Qaïda qui a formé l'Etat islamique (EI). Quand ils ont formé l'EI, il fallait pratiquement effacer Al-Qaïda pour avoir le monopole du jihad. Au Mali, surtout au niveau des trois frontières, l'EIGS aussi est né de dissidences d'Al-Qaïda.  Abou Walid Al-Sahraoui, qui est le chef de l'EIGS, était avec Al-Qaïda. A la mort du chef d'Al-Mourabitoune, il s'attendait à remplacer ce dernier. Ça n'a pas été le cas, donc il a décidé de créer un groupe et de faire allégeance à l'EI. Al-Mourabitoune était composé essentiellement d’anciens du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO). C'est ainsi qu'il a été très actif dès le début, essentiellement entre le Niger et le Mali et accessoirement au niveau du Burkina Faso. Au Burkina Faso, la première katiba Ansarul Islam était affiliée à Al-Qaïda. Malam Dicko, son fondateur, était avec Iyad Ag-Ghali, chef du GSIM. Donc ces conflits visent d’abord le contrôle du territoire et ensuite à imposer certaines idées sur le jihad. En effet, Al-Qaïda, par principe, n'attaque pas les populations civiles tant qu'elles ne s'attaquent pas à ses intérêts, ou tant qu'elles ne s'allient pas à ceux qu'ils appellent les mécréants contre lui. Par contre l'EI règne par la terreur. En outre, il y a une lutte pour le pouvoir car celui qui contrôle le territoire a aussi le pouvoir », a-t-il expliqué.

jpg 2Quant à Juliette Nsimba, elle affirme que la gestion des troupeaux de bétail et de conflits fonciers serait à l’origine de l’escalade de la violence entre les deux groupes armés. « Au sein du 2r3s, nous avons analysé la situation et constaté que la crise du COVID-19 a entraîné un changement idéologique en matière de contre-terrorisme ; les Etats sahéliens adoptent désormais une approche centrée sur la sécurité humaine. Cette nouvelle approche a permis aux groupes armés de consolider, voire de renforcer leur position, en particulier dans le centre du Mali », déclare-t-elle.

Les combats se sont intensifiés ces derniers temps parce que « l'EIGS est monté en puissance. En plus, il y a eu beaucoup de défections, surtout dans la partie centre du Mali, au sein de la katiba du Macina en faveur de l'EIGS>>, a avancé le chercheur à IVERIS. « De nombreux combattants de l’EIGS, recrutés au Burkina Faso et au Niger, sont arrivés dans la région de Mopti, un espace originellement « dominé » par des groupuscules se revendiquant d’Al-Qaïda et du prédicateur Amadou Koufa. L’EIGS semble vouloir étendre son influence et renforcer sa position dans le centre du Mali », a renchéri la coordonnatrice adjointe de projets au 2r3s.

jpg 3Par conséquent, « les chefs d'Al-Qaïda, à un moment donné, étaient physiquement menacés. Maintenant ils jouent simplement leur survie>>, a commenté le chercheur Yehia.

 « Je crois que le rapport de force est actuellement en faveur de l’EIGS, qui dispose d’importants moyens financiers techniques et d’un avantage de taille : sa position stratégique, à cheval sur trois pays, lui offre ainsi plusieurs options stratégiques non négligeables>>, a ajouté Mme Nsimba.

Pour Yehia Ag Mohamed Ali, au Mali c'est plutôt le GSIM, c'est-à-dire Al-Qaïda, qui est en train de prendre le dessus.  « Au Burkina, les combats ont commencé il n'y a pas très longtemps et je ne connais pas la configuration à ce niveau.  La configuration au Burkina est un peu particulière », a-t-il ajouté. « Je crois plutôt qu'à la fin, ils vont pouvoir s'entendre sur une répartition du territoire parce que c'était le cas avant », a poursuivi le chercheur.

Les États du Sahel peuvent-ils profiter de cette rivalité sanglante entre ces ennemis ? « Abou Walid al-Sahraoui, chef de l’État islamique au grand Sahara, est désormais l’ennemi numéro un des services de renseignements occidentaux et sahéliens. En rappel, le président IBK avait annoncé l’ouverture d’un dialogue les chefs djihadistes maliens Iyad Ag-Ghali et Amadou Koufa. On peut également se poser la question de savoir si l’annonce des négociations avec le GSIM a un lien avec la recrudescence des attaques de l’EIGS dans la zone du Liptako-Gourma », a soutenu Juliette Nsimba.

Pour M. Yehia, les Etats du Sahel, surtout les différentes forces armées qui interviennent dans la lutte contre le terrorisme, doivent plutôt faire preuve d'intelligence. « Il faut faire en sorte que les populations soient des alliés au lieu de les pousser dans les bras des terroristes », a-t-il conclu.

Aly Tinto

 

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