Achille Tapsoba, 1er vice-président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), est le deuxième homme politique et cacique de l’ancien parti au pouvoir à passer à la barre du juge Seydou Ouédraogo en qualité de témoin. Confronté à l’ex-député Salifou Sawadogo, il a été appelé à l’instar de son camarade Noël Sourwema, ancien secrétaire général de la section Kadiogo du parti, à dire ce qu’il sait des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants.
« Le 16 septembre 2015, j’étais au siège du CDP sur l’avenue Kwame Nkrumah pour une réunion du secrétariat permanent du parti. L’objet de la rencontre était le remplacement des candidats exclus des législatives. Nous étions à trois jours de l’ouverture de la campagne et les camarades s’inquiétaient du fait qu’ils ne disposaient pas encore des moyens financiers nécessaires pour faire face à la campagne. Le président du parti, Eddie Komboïgo, est alors parti chercher de l’argent et m’a laissé diriger la réunion. Il est revenu par la suite avec 15 millions de francs CFA pour les structures dans le cadre de la préparation de cette campagne dont dix ont été remis au camarade Salifou Sawadogo pour le Kadiogo. La réunion a pris fin vers 13h, mais j’y suis resté avec le secrétaire général du parti, Anicet Poda, pour mettre de l’ordre dans le travail qui venait de se faire. C’est à la fin de la réunion qu’on a été informé de la prise d’otage des autorités de la Transition au palais de Kosyam », a expliqué Achille Tapsoba, enseignant à la retraite et par ailleurs premier vice-président du CDP pendant les évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants. Mais pour l’accusé et ex-député de l’ancien parti Salifou Sawadogo, ce récit des faits est en déphasage avec ce qui s’est réellement passé le 16 septembre 2015 pendant et après la réunion du secrétariat permanent pour le peaufinage de la liste électorale du parti en vue des législatives. Selon lui, même si l’ancien premier vice-président ne veut pas le reconnaître, il y a eu deux réunions le 16 septembre 2015 au lieu d’une seule. Il affirme que les quinze millions de francs CFA ont été remis au cours de la deuxième rencontre en vue d’aider les cadres du parti à sécuriser leur domicile. « Il y a quelques points centraux qui nous séparent. Pour Monsieur Achille Tapsoba, la 2e réunion n’a pas eu lieu, mais j’insiste pour dire qu’elle a bel et bien eu lieu. Les choses ne se sont pas vraiment passées telles qu’il le raconte. Le matin, c’est effectif que le secrétariat permanent s’est réuni pour peaufiner la liste pour les législatives. Après cette réunion, Achille Tapsoba, Anicet Poda et moi sommes allés nous restaurer au Square bar. Par coïncidence, d’autres camarades politiques, comme Zembendé Théodore Ouédraogo, Michel Tapsoba, nous y ont trouvés et peuvent attester au besoin de ce que je dis. C’est là-bas que nous avons appris l’arrestation des autorités de la Transition. Lorsque nous avons appris cette info, séance tenante, nous nous sommes donné rendez-vous au siège dans les trente minutes qui suivaient pour parler de la question. A ce rendez-vous, je me rappelle qu’il y avait Eddie Komboïgo, Fatou Diendéré, Léonce Koné, Anicet Poda, Achille Tapsoba et moi-même. Ce n’était pas une réunion statutaire. Nous avons cherché à savoir ce qui se passait réellement et la seule information qu’on avait, c’est que le président et ses ministres avaient été arrêtés par des éléments du RSP. Et comme dans la conscience populaire on assimilait le RSP au CDP et au regard des dommages que nous avions subis pendant l’insurrection populaire d’octobre 2014, nous avons estimé qu’il y avait nécessité de sécuriser les domiciles. Dès que cette idée a été levée, le besoin de financement se posait donc. C’est ainsi que le président du parti Eddie Komboïgo a quitté la réunion. Il est revenu plus tard avec un petit carton contenant 15 millions de francs CFA afin d’aider les camarades à sécuriser leurs domiciles et à sécuriser le siège. C’est ainsi que j’ai appelé le camarade Noël Sourwema pour lui dire de convier sa base pour une rencontre, car j’avais un message important à transmettre. C’était donc les clauses de notre rencontre informelle que je devais partager avec elle », explique-t-il.
De cette contradiction apparente avec le témoin et les autres camarades entendus dans le cadre de cette affaire, l’accusé note une machination et une volonté manifeste de ses amis politiques d’hier visant à le noyer afin de se dédouaner. Mais c’est la main sur le cœur qu’il affirme que même s’il est seul contre tous, il dit la vérité, il explique ce qui s’est réellement passé. Pour lui, chacun tire la couverture à lui, en essayant de l’accabler.
Concernant la mobilisation au monument des Martyrs le 17 septembre 2015, le témoin s’en lave les mains et estime que cela a été organisé de façon spontanée, car le message ne venait pas la direction du parti. « Je cherchais dans la matinée du 17 à réunir le bureau exécutif, car je n’arrivais pas à entrer en contact avec le président du parti et en tant que premier vice-président, je me devais de prendre des initiatives afin que le parti puisse parler le même langage face à ce qui venait de se produire. La direction n’a donc pas instruit quelque chose. Ça peut être des initiatives des camarades au niveau provincial. Nous en avons été informés, mais nous n’avons pas donné les instructions », a-t-il expliqué. Mais pour le parquet, si les initiatives étaient spontanées, les manifestations, elles, ne l’étaient pas, puisque Noël Sourwema, le secrétaire général provincial dans ses déclarations, a eu à affirmer que les manifestations du 17 étaient de l’initiative des structures provinciales et celles du 19 de la direction du parti.
Pendant le passage d’Achille Marie Joseph Tapsoba, il a aussi été question de la rencontre entre les cadres du Front républicain et le général Gilbert Diendéré, président du Conseil national pour la démocratie (CND) qui avait pris le pouvoir au lendemain de l’arrestation des autorités de la Transition. Mais pour l’homme politique, cette rencontre a été demandée par les nouvelles autorités et non par les partis qui formaient le Front républicain. Il explique que le nouveau président a souhaité les rencontrer pour faire le point de la situation. « Il y avait Léonce Koné, René Emile Kaboré, Hermann Yaméogo et moi-même. Nous avons été reçus par le général Gilbert Diendéré qui nous a expliqué ce qui se passait. Il nous a dit qu’il était en train d'entrer en contact avec la hiérarchie militaire pour voir ce qui devait en être. Il nous a aussi dit qu’il était en train de voir comment remettre rapidement le pouvoir aux civils », a-t-il relaté.
Si beaucoup estiment que le CDP, frappé pendant la Transition par l’exclusion de certains de ces caciques, était au courant du putsch avant son exécution, c’est la main sur le cœur que son ancien premier vice-président balaie du revers de la main cette thèse qui accable son parti.
Candys Solange Pilabré/ Yaro